Vincent DELAVOUET

  

       
         
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Mémoires

                     

 
                                           
         

d'un colporteur

         
                                           
             

devenu Prospecteur

     
                                           
   

Les mines d'or et les solitudes de l'Alaska

     
                                                   
   

CHAPITRE PREMIER : 

Mon enfance

Aussi loin que mes souvenirs d'enfance me reviennent en mémoire, je suis obligé d'éprouver des sentiments de tristesse et de peine, et de déplorer la dureté de cœur des gens qui m'employèrent dans ma jeunesse.

Né à Lullin (Haute Savoie), de petits cultivateurs, quatrième enfant sur sept, je me revois encore, tout gamin, affublé d'une hotte sur le dos, barbotant l'hiver dans la neige avec de vieux sabots percés et allant de ferme en ferme faire garnir ma hotte de quelques morceaux de pain, ou pommes de terre, par les villageois des environs.

Vers ma dixième année, j'eus le malheur de perdre ma mère. Quant à mon père, qui aimant mieux le jus de la treille que ses enfants, il me fit comprendre qu'il était temps de gagner ma vie, et ne ne plus être à sa charge. C'est alors que j'appris le dur métier de domestique de ferme, à un âge où actuellement notre génération use ses fonds de culotte sur les bancs de l'école.

Mal nourri, mal vêtu, une botte de paille comme literie, avec un salaire maximum de 10 francs par mois, je fus contraint aux travaux les plus pénibles et bien au-dessus de mes forces; à tel point que le froid et la fatigue me contractèrent les muscles des mains qui restèrent déformées.

Ces trois ou quatre années furent pour moi un long calvaire, je dirais même un un martyre, moral et physique, car, fourbu de fatigue, tombant de sommeil, jamais un mot d'encouragement ni même de piété, ne venait me réchauffer le coeur. Des reproches à profusion, et toujours la crainte de n'en point faire assez.

Bref, vers l'âge de 16 ans,, ma position s'améliora légèrement, en ce sens que, de 120 francs par an, mes appointements furent augmentés à 160 francs, chez un meunier des environs.

Mais ce supplément de prix fut aussi suivi d'un  supplément de travail, dont peu de personnes peuvent se faire une idée. Levé le premier, hiver comme été, il fallait que mes attelages de mulets soient prêts pour charger le grain moulu des clients, et aller le porter à domicile. Inutile d'ajouter que, tout chétif, lesté d'une simple soupe de farine d'orge qui devait me servir de nourriture, et, une nuit sur deux, je ne pouvais dormir que deux ou trois heures, ayant à surveiller alternativement, avec mon patron, la marche du moulin, qui fonctionnait ainsi jour et nuit.

 
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
     
                                                   
                                                   
  Malgré cela, cette existence toute de labeur et de fatigue ne me rebuta pas ; j'avais l'amour de mon travail et faisais  tous mes efforts pour recruter à mon patron des clients nouveaux. Le lecteur verra par la suite comment j'en fus récompensé !.

C'est ainsi que je restai pendant trois années chez ce premier meunier, qui consentit à élever mon salaire de 40 francs à la fin de la deuxième année et de 40 francs à la fin de la troisième, mais qui refusa de continuer à m'employer, sous le prétexte que mes gages étaient trop élevés (240 francs par an).

En le quittant, j'eus la faiblesse d'accepter une proposition qui consistait à lui confier mes économies, se montant alors à 200 francs, dont il devait me servir l'intérêt à 5%.

J'avais alors 19 ans et connaissais bien mon travail. Quoique d'un tempérament plutôt chétif, j'étais arrivé savoir manipuler assez adroitement mes sacs de farine, conduire mes mulets sans accident, et exercer la surveillance de nuit du moulin sans difficultés. 

Ainsi, dès avant mon départ de ce premier moulin, me fut-il offert, par un meunier concurrent, un emploi similaire, aux mêmes appointements de 240 francs par an. J'acceptai.

 
     
     
     
     
     
     
     
     
     
                                     
  Les deux années où je traivaillai dans ce moulin ne me laissent aucun souvenir bien particulier; si ce n'est qu'en quittant cette place pour me présenter au service militaire, j'eus encore la faiblesse de laisser entre les mains de ce patron, et sur sa demande, mes économies se montant alors à 240 francs, productifs d'intérêts à 5%.

Ces intérêts me furent d'ailleurs payés régulièrement, aussi bien par l'un que par l'autre meunier, jusqu'à mon retour du service militaire. Ajourné pour un an par le conseil de révision, comme faible de constitution , je passai cette année de sursis dans les chantiers d'une ligne de chemin de fer qui se construisait du coté de Cluses.

C'est de là que je partis pour faire mon service militaire à Alger, à la fin de 1887, pour une période de deux ans. 

 

CHAPITRE II : 

Alger -Paris Octobre 1887

Ces deux années furent pour moi des meilleurs et des plus douces de ma vie, surtout en comparaison de tous les déboires que je venais d'éprouver. Aussi ai-je gardé d'Alger le plus charmant souvenir. Je n'eus que six mois d'exercices à faire, et encore bien atténués par de nombreuses permissions. J'avais de bons chefs et je faisais de tout mon possible pour le contenter. Sachant conduire les chevaux, on m'en confia deux, qui me servaient à camionner des munitions, denrées, etc. d'un fort à l'autre. Je n'ai pas besoin de vanter la douceur du climat l'hiver, ni le prix des vivres, qui était infime à cette époque; le vin se vendait deux sous le litre. Avec mon prêt-francs de 2 fr. 50 par jour, je faisais des économies, d'autant plus que des bons spéciaux, délivrés pour la subsistance des chevaux, et quelques rabiots , pour moi, augmentaient mes ressources. C'est là que je fis la connaissance d'un Parisien jovial, qui capta ma confiance. J'eus le tort de me lier d'amitié avec lui et de lui raconter "mes affaires. Il profita de mes confidences pour me soustraire différents papiers, entre autres un certificat ou livret ouvrier qui m'avait été délivré par la Compagnie de chemin de fer dont il est question dans le chapitre précédent, et je ne me doutais guère alors de l'usage que cet individu devait faire de ces papiers et du préjudice que cela me causerait par la suite..

Bref, sans autre incident bien notable, l'époque de ma libération arriva, vers la fin de l'année de l'exposition parisienne de 1889. Je m'empressai alors de revenir par les voies les plus rapides dans mon village revoir  mon père, ma famille et mes. amis.

Au bout dune semaine d'inactivité, n'ayant comme pers­pective d'avenir que de reprendre le dur métier de domes­tique de ferme, je résolus d'aller tenter la chance à Paris. Muni des quelques économies faites pendant ma période militaire, des intérêts échus de mes deux meuniers, je bouclai ma valise, et en route pour Paris.

 
-Paris. — J'arrivai dans un mauvais moment. L'exposi­tion universelle venait de fermer ses portes, et l'hiver s'an­nonçait rigoureux. Je trouvai une chambre, ou plutôt un. cabinet noir, rue Doudeauville, à Montmartre, pour le prix de 20 francs par mois et, en causant à ma logeuse et aux voisins, je trouvai assez facilement à m'employer chez un juif, marchand de chaussures, rue de la Chapelle. Moyennant un appontement ridicule de 60 francs par mois, je devais servir d'homme de peine, de commis, de surveillant et au besoin de vendeur. A 7  heures du matin, j'ouvrais les volets, et passais une partie de la matinée à battre la semelle, en surveillant l'étalage extérieur. A peine une demi-heure pour aller casser la croûte à midi, dans un petit restaurant où je dévorais une portion de « bouilli » pour 35 centimes plus 15 centimes de pain ; quant au vin, je le revoyais en rêve, sous la forme d'eau claire.

Je  passai donc cet hiver 1889-1890, chez ce Lévy, et, lorsque au printemps suivant, je lui parlai d'une légère augmentation d'appointements, il poussa les hauts cris et prétendit qu'il faisait plus qu'il ne pouvait, même, en m'octroyant ces 2 francs par jour. « Pourquoi ne vous contentez-vous pas, me disait-il, de « la soupe et le bœuf » ? »; L--,pour la bonne raison que mon garni payé, mon .blanchissage et l'usure de mes vêtements défalqués, il ne me restait même pas 1 franc par jour pour me nourrir. — On peut me taxer d'exagération, on peut même me traiter de menteur; ce que je raconte n'est que l'expression de la plus stricte vérité.

Cependant, je ne restai pas inactif ;  à force de chercher patiemment, je trouvai, autour des, halles de Paris, une situation bien plus avantageuse. Mes émoluments furent portés dès mon entrée, à 4 fr. 50, puis à 5 francs ,par jour, avec une demi-journée de travail le dimanche matin, qui m'était payée comme .journée entière.                .

A part l'inconvénient de commencer la journée de grand matin, je n'ai eu qu'à me louer de mes nouveaux patrons et de mes nouveaux collègues. Nous faisions des journées de 12 à, 14 heures de travail effectif, quelquefois assez pénible, lorsqu'il s'agissait de manutentionner d'énormes sacs de marrons ou de pommes de terre ; mais comme, à cette époque, j'étais en pleine force, je ne rebutais pas à l'ouvrage et nous ne pensions guère, mes collègues et moi, à, la future journée de 8 heures obligatoire.

CHAPITRE  III

Une erreur judiciaire

 Octobre 1892.

C'est ici que s'intercale un fait inouï, invraisemblable, une erreur judiciaire, dont je fus victime et qui faillit  compro­mettre mon avenir et entacher mon honneur.

Procédons par ordre

Depuis quelque temps des Idées de voyage me hantaient ; j'avais lu sur différents journaux et brochures, qu'en Amé­rique du Nord on donnait des terrains gratis à ceux qui voulaient les défricher. Et l'ambition de me créer une situa­tion indépendante me tentait. J'avais déjà. gravi quelques échelons de simple domestique de ferme, j'étais arrivé à être commis, pourquoi n'essaierais-je pas de devenir agri­culteur ? J'étais à l'âge des illusions, mais j'avais pleine confiance en mon étoile, et surtout dans mes bras vigoureux, et dans mon désir d'arriver à un résultat par ma volonté. D'autre part, mes frères et sœurs étaient morts, à part une jeune sœur, Marie, un peu abandonnée, louée comme domes­tique près de mon village, avec des gages insignifiants. J'avais, en outre, déjà écrit à mon père, encore valide à cette époque, et lui avais saurais cet audacieux projet de partir tous trois pour l'Amérique, afin d'y tenter la fortune.

-Ce projet semblait même lui sourire. C'est dans ces disposi­tions d'esprit que je quittai ma maison d'alimentation parisienne, pour venu dans mon village, me concerter avec mon père et ma sœur à ce sujet.

J'arrive donc vers la fin d'octobre 1892, à Lullin, avec mes bagages, et, pour ne pas déranger mon père, je descends dans le principal hôtel de la localité. Chemin faisant, je rencontre un camarade qui m'accompagne jusqu'à ma cham­bre d'hôtel. Son attitude plutôt embarrassée aurait dû. me donner l'éveil. Mais j'étais loin de me douter de la situation. Sans me gêner, et tout en lui demandant des nouvelles du pays, je pris possession de ma chambre, c'est-à-dire que je plaçai dans les placards et armoires, linge et vêtements que j'avais apportés.

Tout en procédant à cette. besogne, mon ami me dévisa­geait curieusement et à un moment me dit à brûle-pourpoint :si tu venais d'l'on prétend, tu ne serais pas si bien appro­visionné. -- Que veux-tu dire ? -- Qu'on prétend, dans le pays, que tu sors de prison » On peut penser si je fus stupéfait. Il n'y avait qu'un moyen de me renseigner exactement, .afin de couper court à cette fâcheuse nouvelle ; c'était de, me rendre à la gendarmerie. Ce que je fis sur l'heure, spontanément, même avant d'aller embrasser mon père, que je n'avais pas vu depuis trois ans.

Le brigadier, qui me reçut chercha dans ses papiers et trouva, en effet, un mandat d'arrêt délivré contre moi par Je Parquet de Dreux, depuis l'été de 1891, c'est-à-dire depuis plus d'un an.

J'expliquai le mieux possible ,mon cas. Je lui montrai mes certificats des maisons de Paris où j'avais travaillé, et fis tout mon possible pour le convaincre qu'une erreur de personne avait été commise, n'ayant jamais été à Dreux de ma vie.

Ce brigadier qui n'avait, en somme, aucune raison de m'en vouloir, me rassura quant au présent, me dit que l'affaire s'arrangerait certainement, qu'il allait en référer au Parquet -de Thonon ; mais qu'il était utile de ne pas m'éloigner du pays pour le moment, afin de me présenter à la gendarmerie .à toute réquisition.

On peut deviner quels furent pour moi les jours d'angoisse qui suivirent je sentais les gens du village plutôt hostiles à mon égard, car il est à remarquer qu'en général, le public prête plutôt, une oreille bienveillante aux calomniateurs qu'aux persécutés. Mon père lui-même ne croyait guère à mes protestations d'innocence ; seule une vieille marraine me réconforta, ne douta jamais de mon innocence, alors qu'un mauvais sire, un certain X, avait juré :ma perte ainsi, qu'on le verra par la suite.

Sur ces entrefaites, je demandai 'au brigadier ' la permission -d'aller chercher ma sœur qui, ignorante de ce qui se passait .attendait  mon arrivée que je lui avais annoncée; .je la fis donc venir et l'installai également à l'hôtel où j’étais installé.

 

vendu, avec le ferme espoir de l'emmener avec moi et de quitter le pays au plus vite. Comme mes frais d'hôtel avaient absorbé déjà une partie de ma réserve d'argent, je résolus, toujours persuadé de pouvoir partir incessamment, de vendre une .parcelle de terre qui m'appartenait en propre, comme provenant de l'a succession de ma défunte mère.

C'est à X., dont je ne pouvais soupçonner alors la dupli­cité, que je m'adressai pour me trouver un acquéreur. J'avais trouvé déjà un amateur, mais le prix offert me semblait trop faible. X., lui, me proposa de me mettre en pourparlers avec un de ses amis, un certain M. Y., qui devait me payer cette parcelle comptant à 350 francs.

Le marché fut donc conclu rapidement. Ce que j'ignorais alors, c'est que les deux compères (ou plutôt complices) s'étaient entendus pour profiter de ma fausse situation actuelle, pour me dévaliser. Aidés d'un troisième larron, au lieu" de rédiger un acte de vente sous-seings privés, ils me firent signer un billet constatant que je prêtais audit Y. une somme de 350 francs productive d'intérêts à 5" % l'an !!!

Le lecteur se demandera, non sans raison, comment je fus assez faible, naïf même, pour signer un semblable papier, qui n'avait aucune raison d'être, puisque j'attendais ces 350 francs pour effectuer le voyage d'Amérique projeté.

Mais il suffira. de se rappeler que j'étais sous le coup d'un mandat d'arrêt injustifié, que j'avais alors toute confiance en ce sire X (croyant qu'il partageait les idées des siens sur mon innocence), que je n'avais aucun guide, aucun soutien, que des gens hostiles autour de moi. Mon père lui-même croyait aussi à ma culpabilité. Toute cette mise en scène, en somme, n'avait pour but que de capter ma confiance, et profiter de mon désarroi pour se partager sans bourse délier le bien qui me venait de ma mère. Et comme un malheur n'arrive jamais seul, mes pauvres économies, que j'avais stupidement confiées à ces deux meuniers, furent perdues pour moi. Depuis plusieurs années je n'avais plus touché. d'intérêts ; l'un des meuniers, poursuivi par de nombreux créanciers, avait tout abandonné en s'expatriant, et ne lais­sant que des dettes. Donc, il n'y avait rien à faire de ce côté. Quant à l'autre meunier récalcitrant, je mis mon billet de 240 francs entre les mains d'un huissier, qui me fit verser 29 francs pour ses, honoraires et, comme résultat, mes 240 francs plus 29 francs furent perdus.

CHAPITRE IV

  En Prison

Ma situation semblait donc désespérée. D'aucun se seraient laissés aller au découragement, au désespoir même : volé et menacé de prison ! Telle était ma situation lamentable.

Ce fut justement dans ces moments les plus terribles de: ma vie que mon courage ne m'abandonna pas. Fort de mon innocence, je savais qu'elle serait tôt où tard reconnue. Quant à l'argent perdu, je me sentais assez d'énergie pour en regagner, et la pensée que ma jeune sœur Marie n'avait que moi comme seul soutien, décuplait mes forces et ma volonté. Je me sentais charge d'âme ; je voulais servir de père à cette jeune fille inexpérimentée, puisque mon père se désintéressait de nous, et m'aurait plutôt accusé . que défendu. En tous cas, je ne restai pas inactif, et, dès le lende­main du jour où ma signature me fut arrachée par surprise, j'allai trouver sire X. pour avoir une explication avec lui.

II sut trouver des mots et des phrases qui endormirent une fois de plus ma confiance. Il me conseilla d'aller rendre visite .à son ami Y., dont la protection pouvait alors m'être efficace, et je le quittai, berné une fois de plus.

Ce M. Y., que j'allai trouver, tout en me promettant . de me remettre mon, argent sous peu de jours, me proposa d'aller avec moi à là gendarmerie et d'user de toute son influence (qui était réelle de par sa situation) pour étouffer cette. malheureuse affaire.

Nous voici donc à la gendarmerie ; moi, persuadé d'avoir en ce Monsieur Y un utile défenseur. On me fait passer dans un autre bureau et voici le brigadier en conversation fort animée avec ce Y. Le résultat de cette conférence ne fut pas précisément ce que je- supposais ; car, aussitôt après le départ de mon défenseur, le brigadier vint me prévenir qu'il avait reçu des ordres de la sous-préfecture pour me garder à sa disposition, en attendant mon transfert à Thonon. On me conduisit donc à la geôle, où je passai la nuit, comme un vagabond. J'eus encore la naïveté de remettre av brigadier une somme de 7 fr. 50 en le priant de bien vouloir la donner à ce Y., pour l'indemniser de son déplacement, dans le cas où il accepterait de venir déposer en ma faveur à Thonon.

 

Le lendemain commença pour moi mon chemin de croix. Encadré de deux gendarmes, je dus suivre, à pied, les 18 kilomètres de route poussiéreuse qui séparent Lullin de Thonon, suivi au départ des regards hostiles de mes conci­toyens.

Arrivé à Thonon, je fus, comme un vulgaire malfaiteur, incarcéré à la maison d'arrêt.

Le même jour, présenté au Parquet, après avoir indiqué au substitut mes nom, prénoms, profession et domicile et. avoir protesté de nouveau de mon innocence, j'eus la satisfaction de voir ce M. Y., qui s'était .effectivement dérangé pour venir déposer en ma faveur ! Ces Messieurs s'enfermèrent dans le cabinet du substitut et le résultat

de leur conversation fut que l'on me reconduisit dans ma cellule, où je fus mensuré.

C'est alors que, livré à mes méditations, je compris que j'avais été indignement trompé par sire X. d'abord et par son ami Y ensuite, qui usa de toute son influence contre moi.

Et tout cela, dans le vil dessein de s'emparer de mon petit patrimoine. Ces dignes associés sont morts actuellement. Je devrais dire : << Paix à leurs cendres » Mais, réellement, la façon dont ils ont agi l'un et l'autre contre moi, qui ne leur avais jamais fait de mal, est indigne, révoltante et d'autant plus vile, qu'ils profitaient pour me dévaliser, d'un moment où j'étais incapable de me défendre.  

Certes, je ne crie pas : Vengeance ! mais je voue à la réprobation universelle de tels actes monstrueux. Que ceux qui me liront` et qui se rappellent de ces faits me jettent la première pierre (s'ils l'osent).

Revenons dans ma cellule, où je me morfondis pendant une huitaine de jours, en ayant le temps de réfléchir copieu­sement sur l'injustice des hommes et leur férocité vis-à-vis, des faibles.

Enfin, un beau matin, je fus mandé au Parquet. Mes cer­tificats avaient été vérifiés. On reconnut qu'il ne m'était .guère possible d'être à Paris et à Dreux en même temps et que mon signalement ne devait pas trop correspondre avec celui de mon homonyme.

Relaxé, je m'empressai de retourner au village, où je retrouvai ma jeune sœur réfugiée chez ma vieille marraine. Je ne proposai pas à. mon père de venir avec nous, en raison de son attitude et, après de rares adieux à de rares, amis restés presque fidèles, je me disposai à quitter à jamais  le pays qui m'avait vu naître, pour essayer de tenter la chance chez les Américains plus hospitaliers. Puis, ce qui me décida complètement fut que, par, l'intermédiaire d'un ami, je pus rentrer en possession d'une partie des 350 francs que l'on avait voulu me voler.  

 

CHAPITRE V

  Faux départ -- Bondy

Novembre 1892.

Nous voici donc partis, ma jeune sœur et moi, de ce maudit pays, que je pensais alors quitter définitivement. Ma bourse était peu garnie, mais mon cœur était plein d'espoir, avec  une volonté absolue de réussir.

Nous nous arrêtâmes deux ou trois jours à Paris, pour faire visiter à ma jeune sœur les principales curiosités de la capitale, dont elle ne pouvait se faire une idée; puis nous  partîmes directement sur Anvers, pensant trouver un bateau  en partance pour New York.  

 

Mais là, une déception nous attendait. Aucun bateau ne faisait le service de l'Amérique pendant l'hiver. On me con­seilla d'aller à Liverpool, où le service n'était jamais interrompu ; ne sachant pas l'anglais, je ne voulus pas me hasar­der à me rendre en Angleterre, surtout avec ma sœur. Nous décidâmes de revenir à Paris, et c'est ainsi que le voyage d'Amérique fut ajourné.

A Paris, l'on me conseilla d'aller rendre visite aux Sœurs de la rue de Vaugirard, qui pouvaient se charger de recueillir et de caser ma sœur, en attendant les événements. Ce fut par l'intermédiaire de ma bonne marraine, qui fit intervenir les Sœurs .d'une institution de mon village, que celles de la rue de Vaugirard acceptèrent de se charger momentanément de Marie, puis elle fut casée peu après comme domestique. De mon côté, je ne restai pas les bras croisés et trouvai à m'em­ployer comme charretier chez un marchand de bois à Bondy, près Paris, où je restai pendant l'hiver, jusqu'au printemps de 1893.

Comme nous avions, ma sœur et moi, nos dimanches libres dans l'après-midi, nous en profitions pour nous voir et nous attendions le beau temps pour mettre notre projet

à           exécution. Mais je ne sus jamais pour quelle cause ma sœur Marie, changeant brusquement d'avis, vers février 1893, me pria de la reconduire chez les bonnes Sœurs de la rue de Vaugirard, et me proposa même de m'indemniser des frais et dépenses qu'elle m'avait occasionnés : ce que je refusai. Je la Confiai donc aux bonnes Sœurs, et la recommandai à un de mes amis, en qui j'avais la plus grande confiance, puisque .je le, connaissais d'enfance comme voisin de mon village. (Cette confiance devait être encore trahie, comme on le verra par la suite.)

Bref, bien décidé cette fois à tenter la fortune en Amé­rique, je m'embarquai à Anvers, riche d'illusions, mais la bourse très pauvre.

Je dus, en premier lieu, débourser près de 200 francs pour le prix de mon voyage en troisième classe ; il est évi­dent que, comparé au prix actuel, c'était peu, mais, beau-coup pour moi, qui ne possédais à peine que 400 francs pour toute fortune.

Mars 1893.

C'était au moment de l'équinoxe ; nous avons, subi une tempête affreuse, et j'ai bien cru ma dernière heure arrivée, surtout lorsque j'entendis les lamentations et les cris de terreur des passagères.

Je dus payer mon tribut comme les. autres, mais après quatre ou cinq jours, l'appétit me revint et, quoique la nourriture fût des plus défectueuses, sur ce bateau alle­mand, nous débarquâmes enfin au bout de quatorze jours à, New York, sans dommage, mais, ne sachant pas un mot d'anglais, j'étais tout dépaysé de mettre le pied sur ce nouveau Continent.

 

DEUXIÈME PARTIE :
Chapitre
I

New York Colporteur

Mars 1893.

Débarqué à New York, je ne m'arrêtai pas à en visiter les curiosités. J'avais comme objectif Chicago, qui allait ouvrir une Exposition universelle, comme celle de 1889 de Paris. J'étais persuadé que j'y trouverai une occupation quelconque, un emploi si infinie soit-il,: pour me permettre de vivre. Ne connaissant pas un mot de la langue anglaise, ce ne fut que. par gestes que je pus me faire comprendre, pour avoir quelque nourriture. Puis un changeur me con­vertit mes billets .de banque français en billets des États-Unis, et je m'enquis de la direction .à suivre pour . me rendre sans délai à Chicago, par les voies les plus rapides,

Je pus comprendre qu'il me fallait traverser sur un bateau la rivière du Nord, pour me rendre à la gare de New-jersey, point de départ du chemin de fer de Pennsylvanie. J'arrivai trop tard pour prendre un train dans cette direction, me servis de la salle d'attente pour me reposer et y passer la nuit et le lendemain matin, à moitié réveillé, je demandai un billet pour. Chicago ; mais l'employé comprit : « Baltimore » ce. qui me fit prendre une fausse direction et perdre un temps précieux :

A Baltimore, tout dépaysé, je parvins non sans peine me faire remettre des vivres, contre la monnaie que l'on me demandait et que j'étais incapable. vérifier, puis un employé de chemin de fer finit par comprendre que je dési­rais me rendre à Chicago et, après m'avoir fait étaler le restant de mes billets et de mes pièces, prit la somme néces­saire pour le coût de ce billet.

jetais enfin dans la bonne voie ; après douze heures d'express, j'arrivai enfin à Chicago. Entre temps, j'avais fait le compte de mon avoir : Il ne me restait, pour toute fortune, qu'une somme de 11 fr. 75 de notre monnaie, équi­valent à un peu plus de deux dollars !!!      

Que faire ? Que devenir ? Sans aucun appui, ne connaissant pas la langue anglaise, isolé dans cette foule .indiffé­rente, il y avait de quoi se livrer au plus sombre désespoir.

Offrir mes services ? A qui ? Comment m'expliquer au milieu de ces gens affairés, tout occupés de leur « business » .

.C'est alors qu'une inspiration miraculeuse me vint. Je me trouvais alors dans un quartier commerçant, devant. un magasin qui vendait de la mercerie. Ce fut pour moi une révélation qui décida de ma vocation je serais colporteur. J'entre dans ledit magasin, fais comprendre, par gestes, que je désire acheter fil, aiguilles, boutons, etc. L'on me garnit une boîte d'un assortiment qui me coûta environ neuf francs (un peu moins de deux dollars) et, aussitôt dans la rue, je me mis à offrir ma  camelotte » aux passants que je ren­contrais. Il .faut croire que ma figure était sympathique et. que mon boniment fait. en français amusa les gens rencon­trés. Toujours est-il que les objets payés par moi mi ou deux sous s'enlevaient rapidement à cinq et six sous et que je voyais avec joie les piécettes gonfler mes poches.

Arrivé dans les faubourgs de la ville, je changeai de tactique. Comme les passants devenaient plus rares, je me hasardai à entrer résolument dans les villas et maisons par­ticulières qui bordaient ma route ; le résultat fut encore meilleur pour moi, en ce sens que les gens, prenant de suite de la sympathie pour ce Français aventureux, n'hésitaient pas à me payer un franc et même plus la « valeur de dix centimes, limes. d'aiguilles, dont ils n'avaient  peut-être même pas besoin.

 Bref, cette journée me fut des plus fructueuses, et je ne pus que me réjouir de cette idée lumineuse, qui tout. d'un coup me redonnait un courage. surhumain.

Je ne me rappelle guère si je mangeai seulement une croûte de pain ce jour-là, ni où et comment je passai la nuit, mais je me sentais pleinement heureux ; j'avais enfin trouvé ma voie.

le lendemain, je fis en sens inverse la même promenade que la veille, entrai hardiment dans les maisons oubliées la veille, interpellai, les passants, bref, je fis si bien que mon stock était écoulé quand je me retrouvai devant ma mercerie et qu'en comptant mon trésor, j'étais en possession d'environ 35 francs, alors que mon point de départ de la  veille était 11 fr. 75.

Le lecteur peut juger si ce premier résultat était encoura­geant pour moi ; aussi, n'hésitai-je pas à acheter 25. francs, soit 5 dollars de marchandises nouvelles. Cette fois, non seulement mon assortiment était plus complet, mais le choix plus judicieux. Et, pour comble de bonheur, j'avais eu la chance. de me fournir dans une maison de gros ! .

Cette seconde expédition dura trois jours. Le système jovial qui m'avait si bien réussi fut continué de la :même manière ; ma figure réjouie et ma qualité de Français (esti­mée dans le pays) continuèrent à me faire récolter nombre de clients plus généreux les uns que les autres. Au bout de trois jours, j'avais. en caisse, bien à moi, une soixantaine. de francs (une petite fortune !).

Pour ma troisième expédition, je résolus de frapper un grand coup ! Il me fallait réussir ou sombrer ! A cet effet, je me fis remettre sur mes 60 francs disponibles, pour dix dol­lars (soit 50 fr.) de marchandises et me lançai dans la direc­tion du nord-ouest, à tout hasard, droit devant moi.

Inutile de dire que ma nourriture était des plus rudimen­taires (pain, fromage et eau claire) ; j'avais cependant trouvé, pour m'abriter la nuit, de petits hôtels, dénommés «  saloon » où,. moyennant une légère collation prise le soir, et 50. centimes environ versés, donnaient droit à une banquette.

 

sur laquelle je ne dormais que d'un oeil, afin de surveiller ma marchandise, mon argent, et surtout les gens patibulaires, compagnons d'infortune échouée là, Dieu. sait d'où.. Et cependant je n'eus, à cette époque, aucun sujet de plainte contre ces ivrognes et gens sans aveu. Je ne fus; jamais ni molesté ni volé. Il est vrai que rien en moi ne ressemblait à un capitaliste. J'eus encore la chance de voir en quelques jours ma marchandise se changer en beaux dollars et c'est ainsi que je vins un soir me présenter à la gare d'une petite localité sise à plus de 10 kilomètres de Chicago, espérant bien y passer la nuit à l’œil.

CHAPITRE II

  Un agent de la Compagnie « Express »

Avril 1893.

Dans la gare de ce petit village, je vis un employé galonné avec lequel je cherchai de suite à me lier ; je lui offris du fil, des aiguilles afin qu'il me permette de passer la nuit. sur une banquette. Je me croyais en présence du « chef dé gare . Il n'en était rien. Ce Monsieur était simplement un employé d'une Compagnie indépendante de celle du chemin de fer, mais s'y rattachant indirectement en ce sens qu'il était chargé d'expédier et de recevoir : colis, paquets, malles, argent, valeurs à transporter d'un point à un autre sur ladite ligne. (On reconnaît bien là le côté pratique et. utili­taire des Yankees). Ma bonne mine et ma qualité de Fran­çais séduisirent aussi ce brave homme,. à qui le travail dans. cette petite gare de banlieue devait laisser quelques loisirs. Et, chose bizarre, sans pouvoir nous comprendre dans notre langue, nous arrivâmes, par gestes et jeux de physionomie, moi, à connaître son emploi, lui, à savoir que je. tentais la fortune avec la belle insouciance de la. jeunesse.

La maison de mercerie avait glissé dans ma poche, lors de mes derniers adula, un catalogue' complet, que je fis. voir. à cet employé. Après en avoir pris connaissance, il m'expli­qua qu'il était très dispendieux de me réapprovisionner moi-même dans-cette maison de gros ;.qu'il n'y avait qu'à faire une commande écrite et me faire adresser dans la gare la. plus proche' et .contre remboursement,' les marchandises dont j'avais besoin. Il est certain que tout autre que moi aurait été au courant de ce moyen d'achat, mais il ne faut pas oublier que je débutai  seulement dans le commerce et n'en connaissais pas le premier mot. Ce brave employé ne voulut, jamais accepter le moindre pourboire, quoique se chargeant d'écrire mon courrier ; il prévint aussi la gare de Chicago d'avoir à m'expédier mes bagages; je passai la nuit à la gare dans un fauteuil confortable, et le lendemain je continuai, dans le village et les environs, à écouler mon stock de mercerie. .

Le surlendemain, mes bagages arrivèrent, ainsi que ma commande nouvelle : j'eus beaucoup de peine à faire accepter à ce  brave employé quelques pelotes de fil et paquets d'aiguilles comme souvenir, et le quittai enchanté de savoir que je n'avais plus qu'à aller toujours «en avant » !!

Ne voulant pas tomber dans des redites et surtout dans la banalité, je n'ennuierai pas le lecteur en lui racontant par le menu mes pérégrinations de la suite.

Je. suivais,' comme  point de repaire, la grande ligne du « Northern Pacifique ; car, dans ces pays et à cette époque, les seules routes praticables étaient encore, celles existant entre les rails de ses grandes voies. Je n'eus alors aucun sujet 'de remarque digne d'attention ni aucun accident ou contre-temps notable. Mon petit pécule s'arrondissait; j'avais augmenté mon stock de nouvelles, espèces de mar­chandises (la bijouterie en doré), qui avait tout .l'air d'être appréciée de mes clients et me donnait des bénéfices très intéressants.

Vancouver, novembre 1893..

 

Bref, après avoir « trimardé » six mois le long de cette grande ligne du Northern Pacifique, après avoir parcouru près de cinq mille kilomètres tantôt à pied, tantôt en chemin de fer, et avoir vécu plus ou moins bien j'arrivai un beau jour à Vancouver (Canada), possesseur d'un stock de mar­chandises d'environ 600 francs (120 dollars) et un fond de caisse bien liquide de 1100 francs !

Je rappellerai au. lecteur, sans autre commentaire, que j'étais parti de Chicago au printemps précédent, avec 11 fr. 75 en poche !

CHAPITRE III

Rencontre d'un compatriote

Vancouver, novembre 1893.

 

Ce fut dans ces conditions que je résolus de me reposer quelques jours à Vancouver et de réfléchir sur mes projets futurs. Installé dans un bon hôtel, au prix d'un dollar par jour tout compris (soit 5 francs de notre monnaie de l'époque), je m'aperçus que nombre de voyageurs causaient le français. Ce qui n'avait rien d'étonnant, puisque j'étais au Canada, pays où de nombreuses familles françaises avaient émigré aussi bien depuis l'époque de la Révocation de l'Edit de Nantes, qu'à celle plus récente de la Révolution Française. Je fus surpris des expressions bizarres employées dans ma  langues dont  certaines rappelaient le  vieux français .

Je demandai ensuite quelques renseignements à la patronne de cet hôtel sur le pays, sur les mœurs des habitants,  les coutumes, etc... et elle-même, Italienne de naissance, mais ayant habité la France, se fit un plaisir de me renseigner de son mieux.

Ayant appris que j'étais natif de la Savoie, elle me parla en termes élogieux d'un certain M. Laurent Guichon ; multimillionnaire, habitant les environs de Vancouver, parti, lui aussi, de la Savoie en sabots et ayant édifié une fortune colossale, grâce à une activité prodigieuse et une téna­cité admirable.

Bref, cette histoire fantastique de mon compatriote m'in­téressa à tel point. que je résolus d'aller lui rendre visite . et de l'interviewer si possible pour connaître le. secret ou plutôt les moyens employés par lui, pour arriver à un pareil résultat, afin d'en faire . éventuellement mon profit. Dès le lendemain, je mis mon projet à exécution : je quittai mon « European Hôtel » et me rendis à New-Westminster, à une vingtaine de kilomètres de là, où j'avais chance de le ren­contrer, puisqu'il y possédait trois hôtels.

A New-Westminster, il me fut dit que M. Laurent Guichon était en ce moment sur ses fermes, à un centre créé par lui et portant d'ailleurs son nom : Port-Guichon. Ce fut encore une vingtaine de kilomètres à franchir par bateau le long de la côte

Ma curiosité était éveillée à tel point que, arrivé à huit heures du soir, à Port-Guichon, je ne pus remettre au lendemain ma visite et c'est à cette heure plutôt tardive, et sans avoir même pris de nourriture, que je me présentai à l'une de ses  fermes, à tout hasard.

Ce sont les Chinois, en général, dans ce pays, qui servent de domestiques.. Ce fut,: en effet, l'un de ces exotiques qui me reçut et me demanda, même assez brusquement, ce que je lui voulais, à M. Guichon, son maître.

J'hésitai pour remettre ma visite au lendemain, quand le bruit , de notre altercation fit venir M. Guichon lui-même, un grand et beau vieillard de 65 ans environ, à la figure ouverte et affable, qui me tendit spontanément la main et me fit entrer aussitôt que je lui dis être son compatriote.

Notre conversation ce soir-là fut un peu à bâtons rompus, donnant une large part au souvenir de notre chère France. Je lui, expliquai en quelques mots pourquoi j'étais venu en Amérique, le résultat inespéré obtenu en si peu de temps et ne lui cachai pas la curiosité intense que j'avais éprouvée à Vancouver, lorsqu'on m'avait parlé d'un compatriote ayant fait fortune sur la terre étrangère. Puis je m'excusai de mon mieux d'être venu le déranger à une heure. indue; en lui demandant s'il pourrait me recevoir le lendemain.

 

CHAPITSE IX

 M. Laurent Cuichon

Non seulement ce bon M. Guichoh m'accueillit cordiale-ment et me mit de suite à mon aise par sa franchise et son «  sans façon », mais il ne fallut pas parler de le quitter ce soir-là. Malgré l'heure tardive, il m'invita a. souper (et j'avais grand besoin de me restaurer un peu) ; puis nous continuâ­mes notre conversation jusqu'à trois heures du matin. Il me raconta son histoire, que je transcris fidèlement  ou du moins aussi fidèlement que ma mémoire ne le permet Originaire des environs du lac du Bourget, ce Monsieur quitta son pays vers 1855, avec trois autres de ses compa­triotes : 1 son frère, Joseph Guichon ; 2 Vincent Cireux ; 3 Jean Giroux.

Ces quatre hardis pionniers quittèrent leur pays avec le prix de leur voyage comme tout pécule, mais avec une  volonté et une énergie capable de capter la fortune.

Les Giroux possédaient un peu d'instruction ; les Guichon, aucune. Ce fut vers 1855 qu'ils s'embarquèrent sur un bateau se dirigeant sur le Pérou (en doublant le cap Horn), attirés par l'or que les Espagnols y avaient découvert.

Lorsque nos quatre « prospecteurs » arrivèrent au Pérou, ils trouvèrent à s'employer comme extracteurs »,- C’est-à ­dire simple manœuvres, pour le compte de différents pro­priétaires de mines. Ils se mirent courageusement à la beso­gne, vécurent de privations et, trois ans plus tard, en .1858, se dirigèrent sur la Californie, dont les gisements aurifères attiraient de nombreux chercheurs d'or. Il faut croire que les économies de nos quatre aventuriers n'étaient pas encore-suffisantes pour essayer de se mettre « à leur compte », puisqu'ils continuèrent à travailler comme extracteurs jus-qu'en 1863, époque où ,ils. se dirigèrent sur la Colombie Anglaise, vers l'entrée de la rivière « Fraeser », où l'on venait-de découvrir de nouveaux gisements.

C'est à l'embouchure de cette rivière que se trouvé New‑Westminster, ville que je venais de traverser, peu distante de Vancouver. Quand les Cuichon Giroux arrivèrent . à cet endroit,: d'autres explorateurs, bien entendu, les avaient précédés ; aussi ne s'attardèrent-ils pas à examiner les « restes » de leurs prédécesseurs et n'eurent-ils qu'un seul .objectif « toujours en avant ». C'est ainsi que nos quatre pionniers mirent près d'une année pour remonter péniblement le cours de cette rivière aurifère et parcoururent ainsi plus de 700 kilomètres pour rattraper les premiers prospecteurs, qui cherchaient inlassablement l'origine de cette veine d'or dont quelques parcelles seulement s'échappaient, roulées par le flot. et le gravier.

CHAPITRE X

Le filon Cuichon-Ciroux

Arrivés, non sans peine, vers la fin de l'été 1863, à un embryon de village,, composé de quelques huttes en bois et dénommé « Much Channel », les quatre amis s'aperçurent que si l'or devenait abondant, les vivres, par contre, étaient-rarissimes. Ce .fut pour eux une révélation. Au lieu de cher-cher de l’or, comme tous ces âpres prospecteurs, il existait un filon bien .plus intéressant à exploiter : ravitailler le pays en vivres, vêtements, outils, etc.

L'idée était merveilleuse, mais son exécution présentait des difficultés presque insurmontables ; faut dire qu'à  cette . époque, aucune route, aucun sentier même n'était tracé. Il fallait suivre les traces de précédents explorateurs, qui avaient laissé, quelques points de repère (bois abattu, traces apparentes), et l'hiver on avait la ressource de voyager sur la glace de la rivière gelée, mais en tenant compte des «. rapides »  semés â foison de glaçons souvent empilés et impraticables à un traîneau. Impossible à. une voiture ou à un traîneau. de suivre la voie de terre, les arbres abattus ou certaines forêts inextricables en empêchaient l'accès.

Bref, tout ceci est pour montrer quelle patience, queltravail surhumain et quelle volonté de fer, il fallait avoir, pour essayer d'entreprendre le ravitaillement à dos dé mulet de ce « Muçh Channel » en franchissant les 700 kilomètres d'obstacles qui le séparaient de New-Westminster. On ne parlera que comme mémoire des intempéries et d'un froid de 30° qui fait fendre le bois et produit même ce faisant une déflagration curieuse.

 

C'est cependant ce que ces hardis compagnons entreprirent. Deux restèrent sur place, afin de se procurer le terrain nécessaire pour construire des hangars fermés devant abriter les futurs approvisionnements. Deux autres repartirent en sens inverse et emportèrent une somme considé­rable, pour faire leurs provisions. Leur fortune, composée des économies faites par ces quatre amis, de .1855 à 1863, se montait alors à environ trois cent cinquante mille francs !!!

Tout se passa à souhait : les deux prospecteurs restés sur place trouvèrent du bois en abondance pour construire de vastes hangars hermétiquement clos ; les deux autres arrivèrent sans encombre à New Westminster, achetèrent soixante mulets, les chargèrent de toutes espèces de provi­sions et mirent à profit tout l'été pour franchir les 700 kilo-mètres qui les séparaient de leurs compagnons. Tout ne se passa pas sans incidents sans doute, mais la chance voulut que les soixante mulets et les deux compagnons arrivassent sains et saufs avec leur caravane au complet.

Inutile d'ajouter que tout cela se vendit au poids de l'or (c'est le cas de le dire) et que, enhardis par ce premier succès, ils n'attendirent pas le mauvais temps et l'entrée de l'hiver pour retourner au point d'origine « cousus d'or ».

L'année suivante, non seulement ils se mirent en marche avec cent vingt mulets, mais, grâce à certains travaux de nivellement entrepris par le Gouvernement Canadien, le sentier étant un peu plus praticable, ces deux pionniers purent faire deux voyages de ravitaillement.

Je laisse à penser les bénéfices qu'ils eurent à se partager.

Pendant onze années, nos quatre amis continuèrent d'ex­ploiter ce «filon », jusqu'au jour où la concurrence se mit de la partie et qu'ils décidèrent de dissoudre l'association. Chacun prit la part lui revenant. Les Giroux revinrent en France au pays natal, les deux frères Guichon achetèrent au Gouvernement canadien et à vil prix, d'immenses ter­rais, où ils se mirent à faire de «  l'élevage », c'est-à-dire de la reproduction des chevaux et bœufs, après y avoir construit quelques bâtiments rudimentaires..

Trois ans après, !a grande ligne du «  Canadian Pacific » traversait la propriété des frères Guichon et cela lui donna une énorme plus-value. Sur ces entrefaites Joseph Guichon se maria et se retira d'avec son frère après partage. M. Lau­rent Guichon vendit tout son bétail, revint s'installer à , New-Westminster et c'est à ce moment que, poussé, entraîné par des conceptions gigantesques, il jeta un regard sur un . terrain situé à quelques «  milles », terrain n'ayant aucune valeur, étant submergé par la mer à marée haute. Cette étendue de terrain marécageux pouvait contenir de douze à treize mille hectares.

C'est alors .que M. Laurent Guichon entreprit un travail cyclopéen, acheta pour un prix minime cette immense étendue et entreprit d'en faire une «  terre ferme ».

A cet effet, il recruta une armée de Chinois, fit creuser tout le long de la mer un. immense canal, en commençant du côté de la rivière de Fraeser, de façon à faire écouler les eaux. La terre tirée des fouilles formant une digue contre la mer, il fit construire en même temps une forte écluse, afin que les eaux à marée haute ne pénètrent pas dans ce nouveau canal.

Quand ces travaux furent menés à bonne fin (et il fallut plusieurs années pour en arriver là) et le terrain asséché, drainé et converti en prairies, M. Guichon Construisit une .douzaine de fermes sur cet emplacement, trois manufac­tures pour mettre en boîtes le saumon péché dans la rivière, une population nouvelle et empressée afflua en peu de temps. Ce fut l'origine d'une ville de 7.000 habitants; dénommée Port-Guichon, dont M. Guichon pouvait être fier d'avoir été le fondateur et où il me racontait tout bonnement et simplement ses travaux, comme si cela eût été l'ouvrage d'un autre.

Je restai une quinzaine de jours l'hôte de ce Monsieur, qui s'était pris d'amitié, je dirais. même d'affection, pour moi Il me proposa de m'associer à ses travaux, de surveiller son personnel ; enfin, si je l'avais écouté, j'étais tranquille chez lui, jusqu'à la fin de mes jours.

 

Cependant je refusai ! et voici pourquoi :. J'avais encore présente en ma mémoire la servitude de mon. enfance ; je venais de goûter à la jouissance insoupçonnée de l'indépendance. Aucune situation, si brillante fût-elle, ne pouvait pour moi, à cette époque, où je n'avais pas encore trente ans, remplacer cette belle liberté que je venais seulement de conquérir depuis peu et dont j'étais, jaloux.

. Aussi, nous nous quittâmes les meilleurs amis du monde, et je me souvins toujours qu'en nous séparant, cet excellent homme avait les larmes aux yeux.

J'oubliais d'indiquer au lecteur un fait qui a son impor­tance : M. Laurent Guichon ne savait ni lire ni écrire et ne signait son nom qu'avec une croix !!!

CHAPITRE XI

Première expédition

Je n'avais rien dit à M. Guichon' de mes projets futurs. Mais les aventures des chercheurs d'or, dont il m'avait parlé, avaient non. seulement excité ma curiosité,, mais m'avaient donné une furieuse envie d'en essayer pour mon compte.. Dans ce but, et, sans rien brusquer, je continuai, pendant l'hiver 1893-1894,. à vendre mes marchandises dans les. environs de Vancouver, mais sans m'approvisionner à nouveau. Je suivis les mines encore en exploitation, les chantiers de bois le long de la côte, qui emploient de nom­breux ouvriers, et, en mars 1894, j'étais arrivé à me débar­rasser entièrement de mon stock de marchandises et. me trouvais possesseur d'environ 3.000 francs. C'est avec cette somme en poche que je mis mon projet à exécution. J'achetai un cheval tout. harnaché et, malgré. la neige. qui couvraitencore le sol, me mis en devoir de remonter la route alors faite, que les Guichon avaient suivie .trente ans plus tôt, c'est-à-dire remonter la rivière Fraeser par petites étapes (de 40 à 50 kilomètres par jour. C'est ainsi que j'arrivai à Mach Channel, ancien entrepôt des. Guichon-Giroux, aban­donné depuis, pour être remplacé par de vastes magasins alors fort bien approvisionnés.

Descendu dans un hôtel de la ville, je fis la connaissance d'un Français, du nom de Boulanger, qui fut assez aimable pour m'offrir l'hospitalité dans sa ferme toute proche. et commença à me donner les premières leçons. indispensables pour un chercheur d'or.

Ce ne fut que vers le 15 mai, époque où la neige était à peu près fondue, que je me dirigeai, d'après les indications données, sur Barkville, qui est la capitale du Caribou, soit à environ 150 kilomètres plus au nord.

C'est à Barkville ou dans les environs que des. fortunes colossales s'étaient édifiées.. Tout l'or charrié par la rivière Fraeser provenait de pulvérisations. produites par un cata­clysme préhistorique sans doute,. qui avait mis à découvert, au pied des Montagnes Rocheuses, des gisements. aurifères en telle abondance, que les premiers pionniers qui décou­vrirent ces gisements n'eurent qu'à se << baisser pour en ramasser à pleine pelle s.

Il est évident que lorsque j'y arrivai tout le meilleur avait été recueilli, mais il n'était pas rare de trouver encore à cette époque, à côté du puits complètement fouillés et vidés, des poches d'or représentant une petite fortune.. Mais c'était au hasard de la rencontre ; aucune indication précise ne pouvait aider aux recherches.

Le lecteur me saura gré sans doute de lui indiquer sommairement les deux principaux moyens en usage à cette époque pour extraire de l'or.

Le moyen le plus facile, mais qui ne donnait qu'un faible rendement, était de repasser dans les trous ou puits de mine abandonnés, et chercher un peu au hasard à retrouver des traces d'or échappées au « lavage » des prédécesseurs. C'est ainsi qu'avec des instruments rudimentaires,. tels que trois planches clouées, de façon à. former un caniveau, il s'agissait

 

des « filtrer » le sable ou gravier ayant des apparences aurifères, en lavant ce gravier à grande eau.

C'est le même procédé qu'employaient les premiers pros­pecteurs dans le lit d'une rivière. Lorsque l'eau était très basse, ce phénomène physique se produisait automatique-ment. L'or, plus lourd que le gravier, demeurait au 'fond du lit de la rivière, retenu souvent par quelques aspérités du sol. Mais, je le répète, ce moyen ne donnait qu'un faible rendement et il fallait, en outre, mélanger de mercure ces lavages successifs, afin que les parcelles d'or soient dissoutes et entraînées par le fond.  

Le rendement le plus avantageux, mais qui exigeait des fonds souvent considérables en raison des machines employées consistait à mettre à nu des quartiers de roche reconnus aurifères et de les broyer et pulvériser. Mais il arrive quel­quefois que simplement avec un pic ou une pioche vous rencontrez, en creusant dans les différentes couches super-posées, ce qu'on appelles de la roche pourrie ». Presque toujours une pépite d'or qui peut varier. d'épaisseur s'y trouve cachée, quelque fois grosse comme le poing, ovale comme un oeuf, ou allongée, se terminant en pointe. Ce sont là des aubaines inespérées qui récompensent les efforts et donnent un nouvel élan que l'on peut qualifier de « fièvre de l'or ».

Tous ces renseignements furent précieusement recueillis par moi pendant les trois semaines suivantes, où il me fallut attendre la fonte complète de la neige. Ce qui n'eut lieu que vers fin juin, car dans ces pays glacés, il n'y a guère que trois mois de végétation, si l'on peut appeler végétation les quelques salades hâtivement semées autour de la maison.

Comme nourriture, dans ces pays froids, il n'y a que de la « conserve », surtout comme légumes, quelquefois de rare

 gibier, tels que chevreuils ou bœufs sauvages, que l'on cap­ture lorsqu'ils cherchent' à s'abreuver près des sources dége­lées. Comme, élevage, néant ; ni chevaux, ni bœufs, ni animaux de basse-cour, car ils ne peuvent vivre sous ces froides latitudes.

Un phénomène curieux et peu connu en Europe . : c'est l'apparition, aussitôt la fonte des neiges, de nuées de moustiques !... Une grosse espèce d'un gris foncé dont la morsure est très douloureuse. On pourrait supposer que cet insecte «  carnivore » est exclusivement le fléau des pays chauds, mais je peux affirmer, pour en avoir souffert moi-même, que les moustiques dont les larves ont éclos sous la neige sont autrement « piquants » que ceux de notre Côte DAzur l'été et, qu'il y a lieu de prendre quelques précautions pour se garantir les yeux. Heureusement que leur apparition ne concorde qu'aven les rayons d'un pâle soleil, assez rare d'ailleurs.

CHAPITRE XII

Veine et déveine

C'est ainsi que, muni de ces renseignements et après avoir acheté un pic, une pelle et un plat pour laver l'or, je partis un beau matin de Barkville, droit devant moi, au hasard. Lorsque j'eus fait une dizaine de kilomètres, je m'arrêtai au bord d'un terrain marécageux et me mis en devoir de casser la croûte. Puis, sans grand espoir, je me mis à creuser quelques trous, au petit bonheur, A un moment donné, je rencontrai, à 30 centimètres du sol, une couche de terre glaise, ferme comme du ciment, puis un gravier et du sable qui me rappelaient la couleur et la forme de même gravier et sable aurifère que l'on m'avait déjà montrés. En creusant jusqu'à 50 centimètres, je trouvai la roche et n'insistai pas davantage. Je mis deux pelletées de ce gravier dans le plat dont je m'étais muni et, après avoir recueilli de l'eau suffisamment, je commençai le lavage de ce sable, ainsi qu'on me l'avait indiqué.

Le résultat, quoique de minime importance, fut cependant -des plus encourageants. Dans ce petit tas de gravier, je pus extraire quelques brins d'or vierge. Je recommençais à creuser une dizaine de trous un peu au hasard, chaque fois, je pus recueillir quelques paillettes infimes du précieux métal..

Le lecteur peut juger si un commencement de «  fièvre de l'or » m'avait gagné. Je rebouchai soigneusement les

 

trous faits et revins directement à Barkville, où je me confiai à- un Suisse, en qui je pouvais avoir confiance, .afin de lui. demander à qui je devais m'adresser pour « recorder »  la place que je venais de découvrir. II me donna les renseigne­ments nécessaires et, le lendemain, je me présentai au com­missionnaire de l'or du gouvernement, afin d'obtenir la.. concession du terrain, et en devenir locataire pendant Une année.

Lorsque j'expliquai audit commissaire l'endroit précis. où se trouvait mon « gisement » il me rit au nez en me disant que jamais il n'y ,avait eu d'or dans ce terrain et que je devais être victime d'une hallucination.

Mais, devant mon insistance, il fit le nécessaire, me loua. environ 100 pieds carrés, me fit payer le droit de place et me remit des étiquettes que je devais coller aux piquets que j'avais à planter pour indiquer l'endroit qui m'avait été. concédé. Je recevais en outre comme prime à ma décou­verte 100 autres pieds carrés. Ma concession comprenait donc 200 pieds carrés. Je pris avec moi trois hommes que je payai à la journée ; nous construisîmes une petite cabane sur l'emplacement même de mon « claim» avec simplement des piquets aux coins, indiquant exactement la surface concédée, puis nous nous mîmes tous quatre en devoir d'extraire le plus d'or possible, avec le système des plan­ches formant caniveau, ainsi qu'il a été expliqué dans le chapitre précédent.

Lorsque l'on sut que ce terrain était aurifère, tout le monde s'y précipita et je fus vivement entouré de voisins. Puis, une grosse Société anglaise eut vent de l'affaire, sur-tout lorsqu'elle apprit qu'avec mon système rudimentaire je pouvais arriver à extraire journellement un millier de francs avec dix heures de travail.

C’est alors que des offres sérieuses me furent faites. La Société en question m'offrit jusqu'à 8.000 dollars, soit 40.000 francs pour me déloger. Je refusai et j'eus tort, comme on va le voir. D'autres, plus avisés que moi, vendirent leur droit de place et cette Société s'installa avec une puissante machinerie afin de broyer et attaquer la roche même, peu profonde à cet endroit. Lorsque cette puissante. Compagnie comprit que je résis­terais passivement à toute offre de vente, elle . tourna` la' difficulté, prit des renseignements  sur mon compte, essaya en un mot d'obtenir par la ruse ce qu'elle n'avait pu obtenir de moi. bénévolement. Et son moyen réussit pleinement. J'avais, ou croyais bien avoir rempli toutes les formalités pour devenir locataire incontesté de ce terrain .que j'avais découvert le premier. Hélas ! je n'avais oublié qu'une for­malité, malheureusement essentielle : J'aurais dû prendre une « licence » du prix de 25 francs !

Inutile de dire que j'avais péché par ignorance et ce que je ne pus jamais m'expliquer est qu'aucune des personnes. qui m'avaient cependant donné des renseignements précieux, ne m'avait prévenu de prendre, avant tout, cette licence. Et le plus fort est que le commissionnaire de l'or, employé du Gouvernement, donc payé pour donner tous les rensei­gnements, ne m'en avait pas avisé non plus.

C'est ainsi que, du jour au lendemain, je fus dépossédé du fruit de mon labeur, que je perdis une fortune que je pouvais édifier en peu de temps et qu'une veine aurifère, découverte par moi, se changea en une affreuse : déveine.

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