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Vincent DELAVOUET |
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Version intégrale |
Mémoires d'un colporteur devenu Prospecteur |
Les mines d'or et les solitudes de l'Alaska |
CHAPITRE PREMIER : |
Mon enfance |
Aussi loin
que mes souvenirs d'enfance me reviennent en mémoire, je suis obligé
d'éprouver des sentiments de tristesse et de peine, et de déplorer la
dureté de cœur des gens qui m'employèrent dans ma jeunesse.
Né à Lullin (Haute Savoie), de petits
cultivateurs, quatrième enfant sur sept, je me revois encore, tout gamin,
affublé d'une hotte sur le dos, barbotant l'hiver dans la neige avec de vieux
sabots percés et allant de ferme en ferme faire garnir ma hotte de
quelques morceaux de pain, ou pommes de terre, par les villageois des
environs.
Vers ma dixième année, j'eus le malheur de
perdre ma mère. Quant à mon père, qui aimant mieux le jus de la treille
que ses enfants, il me fit comprendre qu'il était temps de gagner ma vie,
et ne ne plus être à sa charge. C'est alors que j'appris le dur métier
de domestique de ferme, à un âge où actuellement notre génération use
ses fonds de culotte sur les bancs de l'école.
Mal nourri, mal vêtu, une botte de paille comme
literie, avec un salaire maximum de 10 francs par mois, je fus contraint
aux travaux les plus pénibles et bien au-dessus de mes forces; à tel
point que le froid et la fatigue me contractèrent les muscles des mains
qui restèrent déformées.
Ces trois ou quatre années furent pour moi un
long calvaire, je dirais même un un martyre, moral et physique, car,
fourbu de fatigue, tombant de sommeil, jamais un mot d'encouragement ni
même de piété, ne venait me réchauffer le coeur. Des reproches à
profusion, et toujours la crainte de n'en point faire assez.
Bref, vers l'âge de 16 ans,, ma position
s'améliora légèrement, en ce sens que, de 120 francs par an, mes
appointements furent augmentés à 160 francs, chez un meunier des
environs.
Mais ce supplément de prix fut aussi suivi
d'un supplément de travail, dont peu de personnes peuvent se faire
une idée. Levé le premier, hiver comme été, il fallait que mes
attelages de mulets soient prêts pour charger le grain moulu des clients,
et aller le porter à domicile. Inutile d'ajouter que, tout chétif,
lesté d'une simple soupe de farine d'orge qui devait me servir de
nourriture, et, une nuit sur deux, je ne pouvais dormir que deux ou trois
heures, ayant à surveiller alternativement, avec mon patron, la marche du
moulin, qui fonctionnait ainsi jour et nuit. |
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Malgré cela, cette existence
toute de labeur et de fatigue ne me rebuta pas ; j'avais l'amour de mon
travail et faisais tous mes efforts pour recruter à mon patron des
clients nouveaux. Le lecteur verra par la suite comment j'en fus récompensé
!.
C'est ainsi que je restai pendant trois années chez ce premier
meunier, qui consentit à élever mon salaire de 40 francs à la fin de la
deuxième année et de 40 francs à la fin de la troisième, mais qui
refusa de continuer à m'employer, sous le prétexte que mes gages
étaient trop élevés (240 francs par an).
En le quittant, j'eus la faiblesse d'accepter une proposition qui
consistait à lui confier mes économies, se montant alors à 200 francs,
dont il devait me servir l'intérêt à 5%.
J'avais alors 19 ans et connaissais bien mon travail. Quoique d'un
tempérament plutôt chétif, j'étais arrivé savoir manipuler assez
adroitement mes sacs de farine, conduire mes mulets sans accident, et
exercer la surveillance de nuit du moulin sans difficultés.
Ainsi, dès avant mon départ de ce premier moulin, me fut-il offert,
par un meunier concurrent, un emploi similaire, aux mêmes appointements de
240 francs par an. J'acceptai. |
Les deux années où
je travaillai dans ce moulin ne me laissent aucun souvenir bien
particulier; si ce n'est qu'en quittant cette place pour me présenter au
service militaire, j'eus encore la faiblesse de laisser entre les mains de
ce patron, et sur sa demande, mes économies se montant alors à 240
francs, productifs d'intérêts à 5%.
Ces intérêts me furent d'ailleurs payés régulièrement, aussi bien
par l'un que par l'autre meunier, jusqu'à mon retour du service
militaire. Ajourné pour un an par le conseil de révision, comme faible
de constitution , je passai cette année de sursis dans les chantiers
d'une ligne de chemin de fer qui se construisait du coté de Cluses.
C'est de là que je partis pour faire mon service militaire à Alger,
à la fin de 1887, pour une période de deux ans. |
CHAPITRE II : |
Alger - Paris Octobre 1887 |
Ces deux années furent pour moi des meilleurs et des plus douces de ma
vie, surtout en comparaison de tous les déboires que je venais
d'éprouver. Aussi ai-je gardé d'Alger le plus charmant souvenir. Je
n'eus que six mois d'exercices à faire, et encore bien atténués par de
nombreuses permissions. J'avais de bons chefs et je faisais de tout mon
possible pour le contenter. Sachant conduire les chevaux, on m'en confia
deux, qui me servaient à camionner des munitions, denrées, etc. d'un
fort à l'autre. Je n'ai pas besoin de vanter la douceur du climat
l'hiver, ni le prix des vivres, qui était infime à cette époque; le vin
se vendait deux sous le litre. Avec mon prêt-francs de 2 fr. 50 par jour,
je faisais des économies, d'autant plus que des bons spéciaux,
délivrés pour
la subsistance des chevaux, et quelques rabiots , pour moi, augmentaient
mes ressources. C'est là que je fis la connaissance d'un
Parisien jovial, qui capta ma confiance. J'eus le tort de me
lier d'amitié avec lui et de lui raconter "mes affaires. Il profita
de mes confidences pour me soustraire différents papiers, entre autres un
certificat ou livret ouvrier qui m'avait été délivré par la Compagnie
de chemin de fer dont il est question dans le chapitre précédent, et je
ne me doutais guère alors de l'usage que cet individu devait
faire de ces papiers et du préjudice que cela me causerait par la suite..
Bref, sans autre incident bien notable, l'époque
de ma libération arriva, vers la fin de l'année de l'exposition
parisienne de 1889. Je m'empressai alors de revenir par les voies
les plus rapides dans mon village revoir mon père, ma famille et
mes. amis.
Au bout d’une semaine d'inactivité,
n'ayant comme perspective d'avenir que de reprendre le dur métier
de domestique de ferme, je résolus d'aller tenter la chance
à Paris. Muni des quelques économies faites pendant ma période
militaire, des intérêts échus de mes deux meuniers, je bouclais ma
valise, et en route pour Paris.
|
-Paris. — J'arrivai dans un mauvais
moment. L'exposition universelle venait de fermer ses portes,
et l'hiver s'annonçait rigoureux. Je trouvais une chambre, ou
plutôt un. cabinet noir, rue Doudeauville,
à Montmartre, pour le prix de 20 francs par mois et, en causant à ma
logeuse et aux voisins, je trouvai assez facilement à m'employer
chez un juif, marchand de chaussures,
rue de la Chapelle. Moyennant un appontement ridicule de 60 francs
par mois, je devais servir d'homme de peine, de commis, de surveillant et
au besoin de vendeur. A 7 heures du matin, j'ouvrais les
volets, et passais une partie de la matinée à battre la semelle, en
surveillant l'étalage extérieur. A peine une demi-heure pour aller casser la croûte à midi, dans un petit restaurant où je dévorais
une portion de « bouilli » pour 35
centimes plus 15 centimes de pain ; quant
au vin, je le revoyais en rêve, sous la forme d'eau
claire.
Je
passai donc cet hiver 1889-1890, chez ce Lévy, et, lorsque au printemps
suivant, je lui parlai d'une légère augmentation
d'appointements, il poussa les hauts cris et prétendit qu'il faisait plus qu'il ne pouvait, même,
en m'octroyant ces 2 francs par jour. « Pourquoi ne vous contentez-vous
pas, me disait-il, de « la soupe et le bœuf » ? »; L--,pour
la bonne raison que mon garni payé, mon .blanchissage et l'usure
de mes vêtements défalqués, il ne me restait même pas 1 franc par jour
pour me nourrir. — On peut me taxer d'exagération, on peut même
me traiter de menteur; ce que je raconte
n'est que l'expression de la plus stricte vérité.
Cependant,
je ne restai pas inactif ; à force de chercher patiemment, je
trouvai, autour des, halles de Paris, une situation bien plus
avantageuse. Mes émoluments furent portés dès mon entrée, à 4 fr. 50,
puis à 5 francs ,par jour, avec une demi-journée de travail
le dimanche matin, qui m'était
payée comme .journée entière. .
A
part l'inconvénient de commencer la journée de grand matin, je n'ai eu qu'à me
louer de mes nouveaux patrons et de mes nouveaux collègues. Nous faisions
des journées de
12 à, 14 heures de travail effectif, quelquefois assez pénible, lorsqu'il s'agissait
de manutentionner d'énormes sacs de marrons ou de pommes de terre ; mais comme, à cette époque,
j'étais en pleine force, je ne rebutais pas à l'ouvrage et
nous ne pensions guère, mes collègues et moi, à, la future journée de 8 heures obligatoire.
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CHAPITRE III |
Une erreur judiciaire.
Octobre
1892 |
C'est
ici que s'intercale un fait inouï, invraisemblable, une erreur
judiciaire, dont je fus victime et qui faillit compromettre
mon avenir et entacher mon honneur.
Procédons
par ordre
:
Depuis quelque temps des Idées de voyage me
hantaient ; j'avais lu sur différents
journaux et brochures, qu'en Amérique du Nord on donnait
des terrains gratis à ceux qui voulaient les défricher. Et l'ambition
de me créer une situation indépendante
me tentait. J'avais déjà. gravi quelques échelons
de simple domestique de ferme, j'étais arrivé à être
commis, pourquoi n'essaierais-je pas de devenir agriculteur ?
J'étais à l'âge des illusions, mais j'avais
pleine confiance en mon étoile, et surtout dans mes bras
vigoureux, et dans mon désir d'arriver
à un résultat par ma volonté. D'autre part, mes frères et sœurs
étaient morts, à part une jeune
sœur, Marie, un peu abandonnée, louée comme domestique
près de mon village, avec des gages insignifiants. J'avais, en
outre, déjà écrit à mon père, encore valide à cette époque, et lui
avais saurais cet audacieux projet de partir tous trois pour l'Amérique,
afin d'y tenter la fortune.
- Ce
projet semblait même lui sourire. C'est dans ces dispositions
d'esprit que je quittai ma maison d'alimentation
paris-ienne, pour venu dans mon
village, me concerter avec mon père et
ma sœur à ce sujet.
J'arrive
donc vers la fin d'octobre 1892, à Lullin, avec mes
bagages, et, pour ne pas déranger mon père, je descends dans le principal hôtel
de la localité. Chemin faisant, je rencontre un camarade qui m'accompagne
jusqu'à ma chabre
d'hôtel. Son attitude plutôt embarrassée aurait dû. me
donner l'éveil. Mais j'étais loin de me douter de
la situation. Sans me gêner, et tout en lui demandant des nouvelles du
pays, je pris possession de ma chambre, c'est-à-dire que je
plaçai dans les placards et armoires, linge et vêtements que j'avais
apportés.
Tout
en procédant à cette. besogne, mon ami me dévisageait curieusement et à
un moment me dit à brûle-pourpoint :si tu venais d'où l'on prétend, tu ne serais pas si bien approvisionné. -- Que veux-tu dire ? -- Qu'on prétend, dans le
pays, que tu sors de prison » On peut penser si je fus stupéfait. Il n'y
avait qu'un moyen de me renseigner exactement, .afin de couper
court à cette fâcheuse nouvelle ; c'était de, me rendre à
la gendarmerie. Ce que je fis sur l'heure, spontanément, même avant d'aller
embrasser mon père, que je n'avais pas vu depuis trois ans.
Le
brigadier, qui me reçut chercha dans ses papiers et trouva, en effet, un
mandat d'arrêt délivré contre moi par Je Parquet de Dreux, depuis l'été
de 1891, c'est-à-dire depuis plus d'un an.
J'expliquai
le mieux possible ,mon cas. Je lui montrai mes certificats des
maisons de Paris où j'avais travaillé, et
fis tout mon possible pour le convaincre qu'une erreur de personne avait été commise, n'ayant jamais été à Dreux de ma vie.
Ce
brigadier qui n'avait, en somme, aucune raison de m'en
vouloir, me rassura quant au présent, me dit que l'affaire s'arrangerait certainement, qu'il allait en référer au Parquet
de Thonon ; mais qu'il était utile de ne pas m'éloigner du
pays pour le moment, afin de me présenter à la gendarmerie à toute réquisition.
On peut deviner quels
furent pour moi les jours d'angoisse qui
suivirent je sentais les gens du village plutôt hostiles à mon égard,
car il est à remarquer qu'en général, le public prête plutôt,
une oreille bienveillante aux calomniateurs qu'aux
persécutés. Mon père lui-même ne croyait guère à mes protestations d'innocence ; seule une vieille marraine me réconforta, ne
douta jamais de mon innocence, alors qu'un mauvais sire, un certain X,
avait juré :ma
perte ainsi, qu'on le verra par la suite.
Sur ces entrefaites,
je demandais 'au brigadier ' la
permission d'aller chercher ma sœur qui, ignorante de ce qui se passait attendait mon arrivée que
je lui avais annoncée; .je
la fis donc venir et l'installais également à l'hôtel où j’étais installé.
|
vendu,
avec le ferme espoir de l'emmener avec moi et de quitter le
pays au plus vite. Comme mes frais d'hôtel avaient absorbé déjà
une partie de ma réserve d'argent, je
résolus, toujours persuadé de pouvoir partir incessamment, de vendre une .parcelle
de terre qui m'appartenait en propre, comme
provenant de l'a succession de ma défunte mère.
C'est
à X., dont je ne pouvais soupçonner alors la duplicité, que je m'adressai
pour me trouver un acquéreur. J'avais trouvé déjà un amateur, mais le
prix offert me semblait trop faible. X., lui, me proposa de me mettre en
pourparlers avec un de ses amis, un certain M. Y., qui devait me payer
cette parcelle comptant à 350 francs.
Le marché fut donc
conclu rapidement. Ce que j'ignorais alors, c'est que les deux compères (ou plutôt complices) s'étaient
entendus pour profiter de ma fausse situation actuelle, pour me dévaliser.
Aidés d'un troisième
larron, au lieu" de rédiger un acte de vente sous-seings privés, ils me firent signer un billet constatant que je prêtais audit Y. une somme de 350 francs productive d'intérêts
à 5" % l'an !!!
Le
lecteur se demandera, non sans raison, comment je fus assez faible, naïf même, pour signer un semblable
papier, qui n'avait
aucune raison d'être, puisque j'attendais ces 350 francs pour
effectuer le voyage d'Amérique projeté.
Mais il suffira. de se
rappeler que j'étais sous le coup d'un mandat d'arrêt
injustifié, que j'avais alors toute confiance en ce sire X
(croyant qu'il partageait les idées des siens sur mon innocence), que je
n'avais aucun guide, aucun soutien, que des gens hostiles
autour de moi. Mon père lui-même croyait aussi à ma culpabilité. Toute
cette mise en scène, en somme, n'avait pour but que de capter
ma confiance, et profiter de mon désarroi pour se partager sans bourse délier
le bien qui me venait de ma mère. Et comme un malheur n'arrive
jamais seul, mes pauvres économies, que j'avais stupidement
confiées à ces deux meuniers, furent perdues pour moi. Depuis plusieurs
années je n'avais plus touché. d'intérêts ; l'un
des meuniers, poursuivi par de nombreux créanciers, avait tout abandonné
en s'expatriant, et ne laissant que des dettes. Donc, il n'y
avait rien à faire de ce côté. Quant à l'autre meunier récalcitrant,
je mis mon billet de 240 francs entre les mains d'un huissier,
qui me fit verser 29 francs pour ses, honoraires et, comme résultat,
mes 240 francs plus 29 francs furent perdus.
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CHAPITRE IV |
En Prison |
Ma situation semblait donc désespérée. D'aucun
se seraient laissés aller au découragement,
au désespoir même : volé et menacé
de prison ! Telle était ma situation lamentable.
Ce fut justement dans ces moments les plus terribles de: ma
vie que mon courage ne m'abandonna pas. Fort de mon innocence, je savais
qu'elle serait tôt où tard reconnue. Quant à l'argent
perdu, je me sentais assez d'énergie pour en regagner, et la
pensée que ma jeune sœur Marie n'avait que moi comme seul soutien, décuplait
mes forces et ma volonté. Je me sentais charge d'âme ; je
voulais servir de père à cette jeune fille inexpérimentée, puisque mon
père se désintéressait de nous, et m'aurait plutôt accusé . que défendu.
En tous cas, je ne restai pas inactif, et, dès le lendemain du jour où
ma signature me
fut arrachée par surprise, j'allai trouver sire X. pour avoir une
explication avec lui.
II sut trouver des mots et des phrases qui endormirent une
fois de plus ma confiance. Il me conseilla d'aller rendre
visite .à son ami Y., dont la
protection pouvait alors m'être efficace, et je
le quittai, berné une fois de plus.
Ce M. Y., que j'allai trouver, tout en me promettant . de
me remettre mon, argent sous peu de jours, me proposa d'aller
avec moi à là gendarmerie et d'user de toute son influence (qui était réelle
de par sa situation) pour étouffer cette malheureuse affaire.
Nous voici donc à la gendarmerie ; moi, persuadé d'avoir en
ce Monsieur Y un
utile défenseur. On me fait passer dans
un
autre bureau et voici le brigadier en conversation fort animée avec ce Y.
Le résultat de cette conférence ne fut pas précisément ce
que je supposais ; car, aussitôt après le départ de mon défenseur, le
brigadier vint me prévenir qu'il avait reçu
des ordres de la sous-préfecture pour me garder à sa disposition, en attendant
mon transfert à Thonon. On me conduisit donc à la geôle, où je passai la nuit, comme un vagabond. J'eus
encore la naïveté de remettre av brigadier une somme de 7 fr. 50 en le priant
de bien vouloir la donner à ce Y., pour l'indemniser de son déplacement, dans
le cas où il accepterait de venir déposer en ma faveur à Thonon.
|
Le lendemain commença pour moi mon
chemin de croix. Encadré de deux gendarmes, je dus suivre, à pied, les 18 kilomètres de route
poussiéreuse qui séparent Lullin de Thonon, suivi au départ des regards
hostiles de mes concitoyens.
Arrivé à Thonon, je fus, comme un vulgaire
malfaiteur, incarcéré à la maison d'arrêt.
Le
même jour, présenté au Parquet, après avoir indiqué au substitut mes nom,
prénoms, profession et domicile et. avoir protesté de nouveau de mon
innocence, j'eus la satisfaction de voir ce M. Y., qui s'était
.effectivement dérangé pour venir déposer en ma faveur
! Ces
Messieurs s'enfermèrent dans le cabinet du substitut et le résultat
de
leur conversation fut que l'on
me reconduisit dans ma cellule, où je fus mensuré.
C'est alors que, livré à mes méditations, je
compris que j'avais été indignement trompé par sire X. d'abord et
par son ami Y ensuite, qui usa de toute son influence contre moi.
Et tout cela, dans le vil dessein de s'emparer de
mon petit patrimoine. Ces dignes associés sont morts actuellement.
Je devrais dire : << Paix à leurs cendres » Mais, réellement,
la façon dont ils ont agi l'un et l'autre contre moi, qui ne leur
avais jamais fait de mal, est indigne, révoltante et d'autant plus vile, qu'ils
profitaient pour me dévaliser, d'un moment où j'étais incapable de me défendre.
|
|
Certes,
je ne crie pas : Vengeance ! mais je voue à la réprobation universelle de tels
actes monstrueux. Que ceux qui me liront` et qui se rappellent de ces
faits me jettent la première pierre (s'ils l'osent).
Revenons dans ma cellule, où je me morfondis pendant une huitaine de jours, en ayant le temps de réfléchir copieusement sur
l'injustice des hommes et leur férocité vis-à-vis, des faibles.
Enfin,
un beau matin, je fus mandé au Parquet. Mes certificats avaient été vérifiés.
On reconnut qu'il ne m'était .guère possible
d'être à Paris et à Dreux en même temps et que mon signalement ne devait pas
trop correspondre avec celui de mon homonyme.
Relaxé, je m'empressai de retourner au village, où je retrouvai ma jeune sœur réfugiée
chez ma vieille marraine. Je ne proposai pas à. mon père
de venir avec nous, en raison de son attitude et, après de rares adieux à de
rares, amis restés presque fidèles, je me disposai à quitter à
jamais le pays qui m'avait vu naître,
pour essayer de tenter la chance chez les Américains plus hospitaliers.
Puis, ce qui me décida complètement fut que, par, l'intermédiaire
d'un ami, je pus rentrer en possession d'une partie des 350 francs que l'on avait voulu me voler.
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CHAPITRE V
Faux
départ -- Bondy
Novembre
1892.
Nous voici donc partis, ma jeune sœur
et moi, de ce maudit pays, que je pensais alors quitter définitivement. Ma bourse était peu
garnie, mais mon cœur était plein d'espoir, avec une
volonté absolue de réussir.
Nous
nous arrêtâmes deux ou trois jours à Paris, pour faire visiter à ma jeune sœur
les principales curiosités de la capitale, dont elle ne
pouvait se faire une idée ; puis nous partîmes
directement sur Anvers, pensant trouver un bateau en partance pour New York.
|
Mais là,
une déception nous attendait. Aucun bateau ne faisait le service de l'Amérique
pendant l'hiver. On me conseilla d'aller à Liverpool, où le
service n'était jamais interrompu ; ne sachant pas l'anglais, je ne voulus pas me hasarder à me rendre en Angleterre,
surtout avec ma sœur. Nous décidâmes de revenir à Paris, et c'est
ainsi que le voyage d'Amérique fut ajourné.
A Paris,
l'on me conseilla d'aller rendre visite aux Sœurs de la rue de Vaugirard, qui
pouvaient se charger de recueillir et de caser ma sœur, en attendant les événements.
Ce fut par l'intermédiaire de ma bonne marraine, qui fit intervenir les Sœurs
d'une institution de mon village, que celles de la rue de Vaugirard acceptèrent
de se charger momentanément de Marie, puis elle fut casée peu après comme
domestique. De mon côté,
je ne restai pas les bras croisés et trouvai à m'employer comme
charretier chez un marchand de bois à Bondy, près Paris, où je restai pendant
l'hiver, jusqu'au printemps de 1893.
Comme
nous avions, ma sœur et moi, nos dimanches libres dans l'après-midi, nous en
profitions pour nous voir et nous attendions le beau temps pour mettre notre
projet
àà exécution.
Mais je ne sus jamais pour quelle cause ma sœur Marie, changeant brusquement d'avis, vers février
1893, me pria de la
reconduire chez les bonnes Sœurs de la rue de Vaugirard, et me proposa même de
m'indemniser des frais et dépenses qu'elle m'avait occasionnés : ce
que je refusai. Je la Confiai donc aux bonnes Sœurs, et la recommandai à un de
mes amis, en qui j'avais la plus grande confiance, puisque .je le, connaissais d'enfance comme voisin de mon village. (Cette confiance
devait être encore trahie, comme on le verra par la suite.)
Bref, bien décidé cette fois à tenter la fortune en Amérique, je m'embarquai
à Anvers, riche d'illusions, mais la bourse très pauvre.
Je dus, en premier lieu, débourser près de 200 francs pour le prix de mon voyage en troisième classe
; il est évident que, comparé au prix actuel, c'était peu, mais, beau-coup pour moi, qui ne possédais à peine que 400 francs pour toute
fortune.
Mars 1893.
C'était au moment de l'équinoxe ; nous avons,
subi une tempête affreuse, et j'ai bien cru ma dernière heure arrivée,
surtout lorsque j'entendis les lamentations et les cris de terreur des passagères.
Je dus payer mon tribut comme les. autres, mais après
quatre ou cinq jours, l'appétit me revint et, quoique la nourriture
fût des plus défectueuses, sur ce bateau allemand, nous débarquâmes enfin
au bout de quatorze jours à, New York, sans dommage, mais, ne sachant pas un
mot d'anglais, j'étais tout dépaysé de mettre le pied sur ce nouveau
Continent.
|
DEUXIÈME
PARTIE : |
Chapitre VI
New York
Chigago Colporteur
Mars 1893.
|
Débarqué à New York, je ne m'arrêtai pas à
en visiter les curiosités. J'avais comme objectif Chicago, qui
allait ouvrir une Exposition universelle, comme celle de 1889 de Paris. J'étais persuadé
que j'y trouverai une occupation quelconque, un emploi si
infinie soit-il,: pour me permettre de vivre. Ne
connaissant pas un mot de la langue anglaise, ce ne fut que. par gestes que
je pus me faire comprendre, pour avoir quelque nourriture. Puis un
changeur me convertit mes billets .de banque français en billets des États-Unis,
et je m'enquis de la direction .à suivre pour . me rendre sans délai à Chicago, par les voies les plus rapides,
Je pus comprendre qu'il me fallait traverser sur un bateau la rivière du Nord, pour me rendre à la gare de New-jersey,
point de départ du chemin de fer de Pennsylvanie. J'arrivai
trop tard pour prendre un train dans cette direction, me servis de la
salle d'attente pour me reposer et y passer la nuit et le lendemain matin,
à moitié réveillé, je demandai un billet pour. Chicago ; mais l'employé
comprit : « Baltimore » ce. qui me fit prendre une
fausse direction et perdre un temps précieux :
A Baltimore, tout dépaysé,
je parvins non sans peine me faire remettre des vivres, contre la monnaie que
l'on me demandait et que j'étais
incapable. vérifier, puis un employé de chemin de fer finit par
comprendre que je désirais me rendre à Chicago et, après m'avoir
fait étaler le restant de mes billets et de mes pièces, prit la somme nécessaire
pour le coût de ce billet.
j'tais enfin dans la bonne voie ; après douze heures d'express, j'arrivai
enfin à Chicago. Entre temps, j'avais fait le compte de mon avoir : Il ne
me restait, pour toute fortune, qu'une
somme de 11 fr. 75 de notre monnaie,équivalent
à un peu plus de deux dollars !!!
Que faire ? Que
devenir ? Sans aucun appui, ne connaissant pas la langue anglaise, isolé
dans cette foule .indifférente, il y avait de quoi se livrer au plus sombre désespoir.
Offrir mes services ?
A qui
? Comment m'expliquer au milieu
de ces gens affairés, tout occupés de leur « business » .
.C'est
alors qu'une
inspiration miraculeuse me vint. Je me trouvais alors dans un quartier
commerçant, devant. un magasin qui vendait de la mercerie. Ce fut pour
moi une révélation qui décida de ma vocation je serais colporteur.
J'entre dans ledit magasin, fais comprendre, par gestes, que je désire
acheter fil, aiguilles, boutons, etc. L'on me garnit une
boîte d'un assortiment qui me coûta environ neuf francs (un peu
moins de deux dollars) et, aussitôt dans la rue, je me mis à offrir ma camelotte
» aux passants que je rencontrais. Il .faut croire que ma figure était
sympathique et. que mon boniment fait. en français
amusa les gens rencontrés. Toujours
est-il que les objets payés par moi mi ou deux sous s'enlevaient
rapidement à cinq et six sous et que je voyais avec joie les piécettes
gonfler mes poches.
Arrivé dans les
faubourgs de la ville, je changeai de tactique. Comme les passants
devenaient plus rares, je me hasardai à entrer résolument dans les
villas et maisons particulières qui bordaient ma route ; le résultat
fut encore meilleur pour moi, en ce
sens que les gens, prenant de suite de la sympathie pour ce Français
aventureux, n'hésitaient pas à me payer un franc et même plus la « valeur de dix centimes,
limes. d'aiguilles, dont ils n'avaient peut-être
même pas besoin.
Bref, cette journée me fut
des plus fructueuses, et je ne pus que me réjouir de cette idée
lumineuse, qui tout. d'un coup me redonnait un courage.
surhumain.
Je
ne me rappelle guère si je mangeai seulement une croûte de pain ce jour-là, ni où et comment je passai la nuit, mais je me
sentais pleinement heureux ; j'avais enfin trouvé ma voie.
le lendemain,
je fis en sens inverse la même promenade que la veille, entrai hardiment
dans les maisons oubliées la veille, interpellai, les
passants, bref, je fis si bien que mon stock était écoulé quand je me
retrouvai devant ma mercerie et qu'en comptant mon trésor, j'étais en
possession d'environ 35 francs, alors que mon point de départ
de la veille était 11 fr. 75.
Le lecteur peut juger
si ce premier résultat était encourageant pour moi ; aussi, n'hésitai-je
pas à acheter 25. francs, soit 5 dollars de marchandises nouvelles. Cette
fois, non seulement mon assortiment était plus complet, mais le choix plus judicieux. Et, pour comble de bonheur, j'avais
eu la chance. de me fournir dans une maison de gros ! .
Cette seconde expédition
dura trois jours. Le système jovial qui m'avait si bien réussi fut
continué de la :même manière ; ma figure réjouie et ma
qualité de Français (estimée dans le pays) continuèrent à me faire
récolter nombre de clients plus généreux les uns que les autres.
Au bout de trois jours, j'avais. en caisse, bien à moi, une
soixantaine. de francs (une petite fortune !).
Pour ma troisième
expédition, je résolus de frapper un grand coup ! Il me fallait réussir
ou sombrer ! A cet effet, je me fis
remettre sur mes 60 francs disponibles, pour dix dollars (soit 50
fr.) de marchandises et me lançai
dans la direction du nord-ouest, à tout hasard, droit devant moi.
Inutile de dire que
ma nourriture était des plus rudimentaires (pain, fromage et eau
claire) ; j'avais cependant trouvé, pour m'abriter la nuit, de petits hôtels,
dénommés « saloon » où,. moyennant une légère
collation prise le soir, et 50. centimes environ versés, donnaient droit
à une banquettsur laquelle
je ne dormais que d'un oeil, afin de
surveiller ma marchandise, mon argent, et
surtout les gens patibulaires, compagnons d'infortune échouée
là, Dieu. sait d'où.. Et cependant je n'eus, à cette
époque, aucun sujet de plainte contre ces ivrognes et gens sans aveu.
Je ne fus; jamais ni molesté ni volé. Il est vrai que rien en moi ne
ressemblait à un capitaliste. J'eus encore la chance de voir en quelques
jours ma marchandise se changer en beaux dollars et c'est ainsi que je
vins un soir me présenter à la gare d'une petite localité sise à plus
de 10 kilomètres de Chicago, espérant bien y passer la nuit... à l’œil.
|
CHAPITRE VII |
Un
agent de la Compagnie « Express »
Avril
1893. |
Dans la gare de ce petit village, je vis
un employé galonné avec lequel je cherchai de suite
à me lier ; je lui offris du fil, des aiguilles afin
qu'il me permette de passer la nuit. sur une
banquette. Je me croyais en présence du « chef dé gare
. Il n'en était rien. Ce Monsieur était simplement un employé
d'une Compagnie indépendante de celle du
chemin de fer, mais s'y rattachant indirectement en
ce sens qu'il était chargé d'expédier et de
recevoir : colis, paquets, malles, argent, valeurs à transporter d'un
point à un autre sur ladite ligne. (On reconnaît bien là le côté
pratique et. utilitaire des Yankees). Ma bonne mine et ma qualité de
Français
séduisirent aussi ce brave homme,. à qui le travail dans. cette petite gare de banlieue devait laisser quelques loisirs. Et,
chose bizarre, sans pouvoir nous comprendre dans notre langue,
nous arrivâmes, par gestes et jeux de physionomie, moi, à connaître son emploi, lui, à savoir que je. tentais
la fortune avec la belle insouciance de la. jeunesse.
La maison de mercerie avait glissé
dans ma poche, lors de mes derniers adula, un catalogue'
complet, que je fis. voir. à cet employé. Après en avoir pris connaissance, il m'expliqua
qu'il était très dispendieux de me réapprovisionner moi-même
dans-cette maison de gros ;.qu'il n'y avait qu'à
faire une commande écrite et me faire adresser dans la gare la. plus proche' et .contre remboursement,' les
marchandises dont j'avais besoin. Il est certain que tout autre que moi aurait
été au courant de ce moyen d'achat, mais il ne faut pas
oublier que je débutai seulement
dans le commerce et n'en connaissais pas le premier mot. Ce
brave employé ne voulut, jamais accepter le moindre pourboire,
quoique se chargeant d'écrire mon courrier ; il prévint aussi
la gare de Chicago d'avoir à m'expédier mes bagages; je
passai la nuit à la gare dans un fauteuil confortable, et le lendemain je
continuai, dans le village et les environs, à écouler mon stock de
mercerie. .
Le surlendemain, mes bagages arrivèrent, ainsi que ma commande
nouvelle : j'eus beaucoup de peine à faire accepter à ce brave employé quelques
pelotes de fil et paquets d'aiguilles comme souvenir, et le quittai
enchanté de savoir que je n'avais plus qu'à aller toujours «en avant »
!!
Ne voulant pas tomber dans des redites et surtout dans la
banalité, je n'ennuierai pas le lecteur en lui racontant par le menu mes
pérégrinations de la suite.
Je. suivais comme point de repaire, la grande ligne du «
Northern Pacifique ; car, dans ces pays et
à cette époque, les seules routes praticables étaient encore, celles existant entre les rails de ses grandes voies. Je n'eus alors aucun
sujet de remarque digne d'attention ni aucun accident ou
contre-temps notable. Mon petit pécule s'arrondissait; j'avais augmenté
mon stock de nouvelles, espèces de marchandises (la bijouterie en doré),
qui avait tout l'air d'être appréciée de mes clients et me donnait des
bénéfices très intéressants.
Vancouver,
novembre 1893..
Bref, après avoir « trimardé »
six mois le long de cette grande ligne du Northern Pacifique, après avoir
parcouru près de cinq mille kilomètres tantôt à pied, tantôt en
chemin
de fer, et avoir vécu plus ou moins bien j'arrivai un beau jour à Vancouver (Canada), possesseur d'un stock de marchandises
d'environ 600 francs (120 dollars) et un fond
de caisse bien liquide de 1100 francs !
Je rappellerai au. lecteur, sans autre
commentaire, que j'étais parti de Chicago au printemps précédent,
avec 11 fr. 75 en poche !
|
CHAPITRE VIII |
Rencontre
d'un compatriote
Vancouver, novembre 1893. |
Ce fut dans ces conditions que je résolus de me reposer
quelques jours à Vancouver et de réfléchir sur mes projets futurs.
Installé dans un bon hôtel, au prix d'un dollar par jour tout
compris (soit 5 francs de notre monnaie de l'époque), je
m'aperçus que nombre de voyageurs causaient le français. Ce qui n'avait
rien d'étonnant, puisque j'étais au Canada, pays où
de nombreuses familles françaises avaient émigré aussi bien depuis l'époque
de la Révocation de l'Edit de Nantes, qu'à celle plus récente
de la Révolution Française.
Je fus surpris des expressions bizarres employées dans ma langues dont certaines rappelaient le vieux
français .
Je demandai ensuite quelques renseignements à la patronne de cet hôtel sur le pays, sur les mœurs des habitants, les coutumes, etc... et elle-même, Italienne de naissance,
mais ayant habité la France, se fit un plaisir de me renseigner de son
mieux.
Ayant appris que j'étais
natif de la Savoie, elle me parla en termes élogieux d'un
certain M. Laurent Guichon ; multimillionnaire,
habitant les environs de Vancouver, parti, lui aussi, de la Savoie
en sabots et ayant édifié une fortune colossale, grâce à une activité
prodigieuse et une ténacité admirable.
Bref, cette histoire fantastique de mon
compatriote m'intéressa à tel point. que je résolus
d'aller lui rendre visite . et de l'interviewer si possible pour connaître
le. secret ou plutôt les moyens employés par lui, pour
arriver à un pareil résultat, afin d'en faire . éventuellement
mon profit. Dès le lendemain, je mis mon projet à exécution : je
quittai mon « European Hôtel » et me rendis à New-Westminster, à
une vingtaine de kilomètres de là, où j'avais chance de le rencontrer,
puisqu'il y possédait trois hôtels.
A New-Westminster, il me fut dit que M. Laurent Guichon était
en ce moment sur ses fermes, à un centre créé par lui et portant
d'ailleurs son nom : Port-Guichon. Ce fut encore une vingtaine de kilomètres
à franchir par bateau le long de la côte
Ma curiosité était éveillée à
tel point que, arrivé à huit heures du soir, à Port-Guichon, je ne pus
remettre au lendemain ma visite et c'est à cette heure plutôt tardive,
et sans avoir même pris de nourriture, que je me présentai à l'une de
ses fermes, à tout hasard.
Ce sont les Chinois, en général, dans ce pays, qui
servent de domestiques.. Ce fut,: en effet, l'un de ces exotiques qui me
reçut et me demanda, même assez brusquement, ce que je lui voulais, à
M. Guichon, son maître.
J'hésitai pour remettre ma visite au
lendemain, quand le bruit , de notre altercation fit venir M. Guichon
lui-même, un grand et beau vieillard de 65 ans environ, à la figure
ouverte et affable, qui me tendit spontanément la main et me fit entrer
aussitôt que je lui dis être son compatriote.
Notre conversation ce soir-là fut un peu à bâtons
rompus, donnant une large part au souvenir de notre chère France. Je lui,
expliquai en quelques mots pourquoi j'étais venu en Amérique, le résultat
inespéré obtenu en si peu de temps et ne lui cachai pas la curiosité
intense que j'avais éprouvée à Vancouver, lorsqu'on m'avait
parlé d'un compatriote ayant fait fortune sur la terre étrangère. Puis
je m'excusai
de mon mieux d'être venu le déranger à une heure. indue, en lui demandant s'il
pourrait me recevoir le lendemain. |
CHAPITRE IX |
|
M. Laurent Cuichon
|
Non seulement ce bon M. Guichoh m'accueillit
cordialement et me mit de suite à mon aise par sa franchise et son
« sans
façon », mais il ne fallut pas parler de le quitter ce soir-là. Malgré
l'heure tardive, il m'invita a. souper (et j'avais grand besoin de me
restaurer un peu) ; puis nous continuâmes notre conversation jusqu'à
trois heures du matin. Il me raconta son histoire, que je transcris fidèlement ou du moins aussi fidèlement que ma mémoire ne le permet
Originaire des environs du lac du Bourget, ce Monsieur quitta son pays
vers 1855, avec trois autres de ses compatriotes : 1 son frère, Joseph Guichon ; 2 Vincent
Cireux ; 3 Jean
Giroux.
Ces quatre hardis pionniers quittèrent
leur pays avec le prix de leur voyage comme tout pécule, mais avec une volonté et une énergie capable de capter la fortune.
Les Giroux possédaient un peu d'instruction
; les Guichon, aucune. Ce fut vers 1855 qu'ils s'embarquèrent sur
un bateau se dirigeant sur le Pérou
(en doublant le cap Horn), attirés par l'or que les Espagnols y avaient découvert.
Lorsque nos quatre « prospecteurs » arrivèrent au Pérou, ils trouvèrent
à s'employer comme extracteurs »,- C’est-à dire simple
manœuvres, pour le compte de différents propriétaires de
mines. Ils se mirent courageusement à la besogne, vécurent
de privations et, trois ans plus tard, en .1858, se
dirigèrent sur la Californie, dont les gisements aurifères attiraient de
nombreux chercheurs d'or. Il faut croire que les économies de nos quatre
aventuriers n'étaient pas encore-suffisantes
pour essayer de se mettre « à leur compte », puisqu'ils continuèrent
à travailler comme extracteurs jus-qu'en 1863, époque où ,ils. se dirigèrent sur la Colombie Anglaise, vers l'entrée de la rivière « Fraeser », où l'on
venait-de découvrir de nouveaux
gisements.
C'est
à l'embouchure de cette rivière que se trouvé
New‑Westminster, ville que je venais de traverser, peu distante de
Vancouver. Quand les Cuichon Giroux
arrivèrent . à cet endroit,: d'autres explorateurs, bien entendu, les
avaient précédés ; aussi ne s'attardèrent-ils pas à examiner les «
restes » de leurs prédécesseurs et n'eurent-ils
qu'un seul .objectif
« toujours en avant ». C'est
ainsi que nos quatre pionniers mirent près d'une année pour remonter péniblement
le cours de cette rivière aurifère et parcoururent ainsi plus de 700 kilomètres pour rattraper
les premiers prospecteurs, qui cherchaient inlassablement l'origine de
cette veine d'or dont quelques
parcelles seulement s'échappaient, roulées par le flot. et le
gravier.
|
CHAPITRE X |
Le
filon Cuichon-Ciroux
|
Arrivés, non sans peine, vers la fin de
l'été 1863, à un embryon de village,, composé de quelques
huttes en bois et dénommé « Much Channel », les quatre amis s'aperçurent
que si l'or devenait abondant, les vivres, par contre, étaient-rarissimes.
Ce .fut pour eux une révélation. Au lieu de cher-cher de
l’or, comme tous ces âpres prospecteurs, il existait un filon bien .plus intéressant à exploiter : ravitailler le pays en
vivres, vêtements, outils, etc.
L'idée était merveilleuse, mais son exécution présentait
des difficultés presque insurmontables ; faut dire qu'à cette . époque, aucune route, aucun sentier même n'était tracé.
Il fallait suivre les traces de précédents
explorateurs, qui avaient laissé, quelques points de repère (bois
abattu, traces apparentes), et l'hiver on avait la ressource de voyager
sur la glace de la rivière gelée, mais en tenant compte des «. rapides
» semés â foison de glaçons
souvent empilés et impraticables à un traîneau. Impossible à. une
voiture ou à un traîneau. de suivre la voie de terre, les arbres abattus
ou certaines forêts inextricables en empêchaient l'accès.
Bref, tout ceci est pour montrer quelle patience, queltravail surhumain et quelle volonté de
fer, il fallait avoir, pour essayer d'entreprendre le
ravitaillement à dos dé mulet de ce « Muçh Channel » en franchissant les 700 kilomètres d'obstacles
qui le séparaient de New-Westminster. On ne parlera que comme mémoire
des intempéries et d'un froid de 30° qui fait fendre le bois et produit
même ce faisant une déflagration curieuse.
C'est cependant ce que ces hardis compagnons
entreprirent. Deux restèrent sur place, afin de se procurer le terrain
nécessaire pour construire des hangars fermés devant abriter les futurs approvisionnements. Deux autres repartirent en sens
inverse et emportèrent une somme considérable, pour faire leurs
provisions. Leur fortune, composée des économies faites par ces quatre
amis, de .1855 à 1863, se montait alors à environ trois cent
cinquante mille francs !!!
Tout se passa à souhait : les deux prospecteurs restés
sur place trouvèrent du bois en abondance pour construire de vastes
hangars hermétiquement clos ; les deux autres arrivèrent sans encombre
à New Westminster, achetèrent soixante mulets, les chargèrent de toutes
espèces de provisions et mirent à profit tout l'été pour franchir
les 700 kilo-mètres qui les séparaient de leurs compagnons. Tout ne se
passa pas sans incidents sans doute, mais la chance voulut que les
soixante mulets et les deux compagnons arrivassent sains et saufs avec
leur caravane au complet.
Inutile d'ajouter que tout cela se vendit au poids de l'or (c'est le
cas de le dire) et que, enhardis par ce premier succès, ils n'attendirent pas le mauvais temps et l'entrée
de l'hiver pour retourner au point d'origine « cousus d'or ».
L'année suivante, non seulement ils se mirent
en marche avec cent vingt mulets, mais, grâce à certains travaux de
nivellement entrepris par le Gouvernement Canadien, le sentier étant un
peu plus praticable, ces deux pionniers purent faire deux voyages de
ravitaillement.
Je
laisse à penser les bénéfices qu'ils eurent à se partager.
Pendant
onze années, nos quatre amis continuèrent d'exploiter ce «filon », jusqu'au jour où la concurrence se mit de la
partie et qu'ils décidèrent de dissoudre l'association.
Chacun prit la part lui revenant. Les Giroux revinrent en France au pays
natal, les deux frères Guichon achetèrent au Gouvernement canadien et à vil prix,
d'immenses terrains, où ils se mirent
à faire de « l'élevage », c'est-à-dire de
la reproduction des chevaux et bœufs, après y avoir construit quelques bâtiments
rudimentaires..
Trois ans après, !a grande ligne du « Canadian Pacific » traversait la propriété des frères Guichon et cela
lui donna une énorme plus-value. Sur ces entrefaites Joseph Guichon se
maria et se retira d'avec son frère après partage. M. Laurent Guichon
vendit tout son bétail, revint s'installer à , New-Westminster et c'est
à ce moment que, poussé, entraîné par des conceptions gigantesques, il jeta un regard sur un terrain situé
à quelques « milles
», terrain n'ayant aucune valeur, étant submergé par la mer
à marée haute. Cette étendue de terrain marécageux pouvait contenir de
douze à treize mille hectares.
C'est alors .que M.
Laurent Guichon entreprit un travail cyclopéen, acheta pour un prix
minime cette immense étendue et entreprit d'en faire une « terre
ferme ».
A cet effet, il recruta une armée de Chinois, fit creuser
tout le
long de la mer un. immense canal, en commençant du côté de la rivière de fraiser, de façon à faire écouler les eaux. La terre
tirée des fouilles formant
une digue contre la mer, il fit construire en même temps une forte écluse,
afin que les eaux à marée haute ne pénètrent pas dans ce nouveau
canal.
Quand ces travaux furent menés à bonne
fin (et il fallut plusieurs années pour en arriver là) et le terrain asséché,
drainé et converti en prairies, M. Guichon Construisit une .douzaine de
fermes sur cet emplacement, trois manufactures pour mettre en
boîtes le saumon péché dans la
rivière, une population nouvelle et empressée afflua en peu de temps. Ce fut l'origine d'une ville de
7.000 habitants; dénommée Port-Guichon, dont M. Guichon pouvait être
fier d'avoir été le fondateur et où il me racontait tout
bonnement et simplement ses travaux, comme si cela eût été l'ouvrage
d'un autre.
Je
restai une quinzaine de jours l'hôte de ce Monsieur, qui s'était
pris d'amitié, je dirais. même d'affection, pour moi
Il me proposa de m'associer
à ses travaux, de surveiller son
personnel ; enfin, si je l'avais écouté, j'étais tranquille chez lui,
jusqu'à la fin de mes jours.
Cependant
je refusai ! et voici pourquoi :. J'avais
encore présente en ma mémoire
la servitude de mon. enfance ; je venais de goûter à la jouissance insoupçonnée de l'indépendance.
Aucune situation, si brillante fût-elle, ne pouvait pour moi, à
cette époque, où je n'avais pas encore trente ans, remplacer cette belle liberté que je venais seulement de conquérir
depuis peu et dont j'étais, jaloux.
.
Aussi, nous nous quittâmes les meilleurs amis du monde, et je me souvins toujours qu'en nous séparant, cet excellent homme avait les larmes aux yeux.
J'oubliais
d'indiquer au lecteur un fait qui a son importance : M. Laurent Guichon
ne savait ni lire ni écrire et ne signait son nom qu'avec
une croix !!!
|
CHAPITRE XI |
Première expédition |
Je n'avais rien dit à M. Guichon'
de mes projets futurs. Mais les aventures des chercheurs d'or, dont il m'avait
parlé, avaient non. seulement excité ma curiosité,, mais m'avaient
donné une furieuse envie d'en
essayer pour mon compte.. Dans ce but, et, sans rien brusquer, je
continuai, pendant
l'hiver 1893-1894,. à vendre mes marchandises dans les. environs de Vancouver, mais sans m'approvisionner à
nouveau. Je suivis les mines encore en exploitation, les chantiers de bois
le long de la côte, qui emploient de nombreux ouvriers, et, en mars
1894, j'étais arrivé à me débarrasser entièrement de mon stock de
marchandises et. me trouvais possesseur d'environ 3.000 francs. C'est avec
cette somme en poche que je mis mon projet à exécution. J'achetai un cheval tout. harnaché et, malgré. la neige. qui couvraitencore le
sol, me mis en devoir de remonter la route alors faite, que les Guichon avaient suivie .trente ans plus tôt, c'est-à-dire remonter la
rivière Fraeser par petites étapes (de 40 à 50 kilomètres par jour. C'est
ainsi que j'arrivai à Mach Channel, ancien entrepôt
des. Guichon-Giroux, abandonné depuis, pour être remplacé par de vastes
magasins alors fort bien approvisionnés.
Descendu dans un hôtel de la ville, je fis la connaissance
d'un Français, du nom de Boulanger, qui fut assez aimable pour m'offrir
l'hospitalité dans sa ferme toute proche. et commença à me donner les premières leçons.
indispensables pour un chercheur d'or.
Ce ne fut que vers le 15 mai, époque
où la neige était à peu près fondue, que je me dirigeai, d'après les
indications données, sur Barkville, qui est la capitale du Caribou, soit
à environ 150 kilomètres plus au
nord.
C'est à Barkville ou dans les environs que des.
fortunes colossales s'étaient édifiées.. Tout l'or charrié par la rivière
Fraeser provenait de pulvérisations. produites par un cataclysme préhistorique
sans doute,. qui avait mis à découvert, au pied des Montagnes Rocheuses,
des gisements. aurifères en telle abondance, que les premiers pionniers
qui découvrirent ces gisements n'eurent qu'à se << baisser
pour en ramasser à pleine pelle s.
Il est évident que lorsque j'y arrivai tout le meilleur
avait été recueilli, mais il n'était pas rare de trouver encore à
cette époque, à côté du puits complètement fouillés et vidés, des
poches d'or représentant une petite fortune.. Mais c'était au
hasard de la rencontre ; aucune indication précise ne pouvait aider aux
recherches.
Le lecteur me saura gré sans doute de lui indiquer
sommairement les deux principaux moyens en usage à cette époque pour
extraire de l'or.
Le moyen le plus
facile, mais qui ne donnait qu'un faible rendement, était de repasser
dans les trous ou puits de mine abandonnés, et chercher un peu au hasard
à retrouver des traces d'or échappées au « lavage » des prédécesseurs.
C'est ainsi qu'avec des instruments rudimentaires,. tels que
trois planches clouées, de façon à. former un caniveau, il s'agissait
des
« filtrer » le sable ou gravier ayant des apparences aurifères,
en lavant ce gravier à grande eau.
|
|
C'est le même procédé qu'employaient
les premiers prospecteurs dans le lit d'une rivière. Lorsque l'eau était
très basse, ce phénomène physique se produisait automatiquement. L'or,
plus lourd que le gravier, demeurait au fond du lit de la rivière,
retenu souvent par quelques aspérités du sol. Mais, je le répète, ce
moyen ne donnait qu'un faible rendement et il fallait, en
outre, mélanger de mercure ces lavages
successifs, afin que les parcelles d'or
soient dissoutes et entraînées par le fond. |
Le rendement le plus avantageux, mais qui exigeait des fonds
souvent considérables en raison des machines employées consistait à mettre à nu des quartiers de roche reconnus aurifères et
de les broyer et pulvériser. Mais il arrive quelquefois que simplement
avec un pic ou une pioche vous rencontrez, en creusant dans les différentes
couches super-posées, ce qu'on appelles de la roche pourrie ».
Presque toujours une pépite d'or qui peut varier. d'épaisseur
s'y trouve cachée, quelque fois grosse comme le poing, ovale comme un oeuf, ou allongée, se terminant en pointe. Ce sont là des aubaines
inespérées qui récompensent les efforts et donnent un nouvel élan que l'on peut qualifier de « fièvre de l'or ».
Tous ces renseignements furent précieusement recueillis par
moi pendant les trois semaines suivantes, où il me fallut attendre la fonte complète de la neige. Ce qui n'eut lieu que vers fin juin, car dans ces pays glacés, il n'y a guère que trois mois de végétation,
si l'on peut appeler végétation les quelques salades hâtivement semées
autour de la maison.
Comme
nourriture, dans ces pays froids, il n'y a que de la « conserve
», surtout comme légumes, quelquefois de rare
gibier, tels que chevreuils ou bœufs sauvages, que l'on
capture lorsqu'ils cherchent' à s'abreuver près des sources dégelées.
Comme, élevage, néant ; ni chevaux, ni bœufs, ni animaux de basse-cour,
car ils ne peuvent vivre sous ces froides latitudes.
Un
phénomène curieux et peu connu en Europe . : c'est l'apparition,
aussitôt la fonte des neiges, de nuées de moustiques !... Une grosse espèce
d'un gris foncé dont la morsure est très douloureuse. On pourrait
supposer que cet insecte «
carnivore » est exclusivement le fléau des pays chauds, mais je
peux affirmer, pour en avoir souffert moi-même, que les moustiques
dont les larves ont éclos sous la neige sont autrement « piquants
» que ceux de notre Côte D’Azur
l'été et, qu'il y a lieu de prendre
quelques précautions pour se garantir les yeux.
Heureusement que leur apparition ne concorde qu'avec les rayons
d'un pâle soleil, assez rare d'ailleurs.
|
CHAPITRE XII |
Veine et déveine |
C'est
ainsi que, muni de ces renseignements et après avoir acheté un pic, une pelle et un plat pour laver l'or,
je partis un beau matin de Barkville, droit devant moi, au hasard. Lorsque
j'eus fait une dizaine de kilomètres, je m'arrêtai au bord
d'un terrain marécageux et me mis en devoir
de casser la croûte. Puis, sans grand espoir, je me mis à creuser quelques trous, au petit bonheur, A un moment donné, je
rencontrai, à 30 centimètres du sol, une couche de terre glaise, ferme
comme du ciment, puis un gravier et du sable qui me rappelaient la couleur et la forme de même gravier et sable aurifère que l'on m'avait déjà montrés. En creusant
jusqu'à 50 centimètres, je trouvai la roche et n'insistai pas
davantage. Je mis deux pelletées de ce gravier dans le plat dont je m'étais
muni et, après avoir recueilli de l'eau suffisamment, je commençai le
lavage de ce sable, ainsi qu'on me l'avait indiqué.
Le résultat, quoique de minime importance, fut cependant -des plus encourageants. Dans ce petit
tas de gravier, je pus extraire quelques brins d'or vierge. Je recommençais
à creuser
une dizaine de trous un peu au hasard, chaque fois, je pus recueillir quelques paillettes infimes du précieux métal..
Le lecteur peut juger si un commencement
de « fièvre de l'or » m'avait gagné. Je rebouchai
soigneusement les
trous faits et revins directement à Barkville, où je me
confiai à- un Suisse, en qui
je pouvais avoir confiance, .afin de lui. demander à qui je devais
m'adresser pour « recorder » la
place que je venais de découvrir. II me donna les renseignements nécessaires
et, le lendemain, je me présentai au commissionnaire de l'or du
gouvernement, afin d'obtenir la.. concession du terrain, et en
devenir locataire pendant une année.
Lorsque j'expliquai audit
commissaire l'endroit précis.où
se trouvait mon « gisement » il me rit au nez en me disant que jamais il n'y ,avait eu d'or dans ce terrain et que je
devais être victime d'une hallucination.
Mais, devant mon insistance, il
fit le nécessaire, me loua. environ 100 pieds carrés, me fit payer le
droit de place et me remit des étiquettes que je devais coller aux
piquets que j'avais à planter pour indiquer l'endroit qui m'avait
été. concédé. Je recevais en outre comme prime à ma découverte 100 autres pieds carrés. Ma concession
comprenait donc 200 pieds carrés. Je
pris avec moi trois hommes que je payai à la journée ; nous construisîmes
une petite cabane sur l'emplacement même de mon « claim» avec
simplement des piquets aux coins, indiquant exactement la surface concédée,
puis nous nous mîmes tous quatre en devoir d'extraire le plus d'or
possible, avec le système des planches formant caniveau, ainsi qu'il a
été expliqué
dans le chapitre précédent.
Lorsque l'on sut que ce terrain était aurifère, tout le
monde s'y précipita et je fus vivement entouré de voisins. Puis, une
grosse Société anglaise eut vent de l'affaire, sur-tout
lorsqu'elle apprit qu'avec mon système rudimentaire je pouvais arriver à
extraire journellement un millier de francs avec dix heures de travail.
C’est
alors que des offres sérieuses me furent faites. La Société en question
m'offrit jusqu'à 8.000 dollars, soit 40.000 francs
pour me déloger. Je refusai et j'eus tort, comme on va le voir. D'autres,
plus avisés que moi, vendirent leur droit de place et cette Société s'installa
avec une puissante machinerie afin de broyer et attaquer la roche même,
peu profonde à cet endroit. Lorsque cette puissante. Compagnie comprit
que je résisterais passivement à toute offre de vente, elle . tourna`
la' difficulté, prit des renseignements sur
mon compte, essaya en un mot d'obtenir par la ruse ce qu'elle
n'avait pu obtenir de moi. bénévolement. Et son moyen réussit
pleinement. J'avais, ou croyais bien avoir rempli toutes les formalités
pour devenir locataire incontesté de ce terrain .que j'avais
découvert le premier. Hélas ! je n'avais oublié qu'une formalité,
malheureusement essentielle : J'aurais dû prendre une «
licence » du prix de 25 francs !
Inutile de dire que j'avais péché par ignorance et ce que
je ne pus jamais m'expliquer est qu'aucune des personnes. qui m'avaient
cependant donné des renseignements précieux, ne m'avait prévenu de prendre, avant
tout, cette licence. Et le plus fort est que le commissionnaire
de l'or, employé du Gouvernement, donc payé pour donner tous les
renseignements, ne m'en avait pas avisé non plus.
C'est ainsi que, du jour au lendemain, je fus dépossédé
du fruit de mon labeur, que je
perdis une fortune que je pouvais édifier
en peu de temps et qu'une
veine aurifère, découverte par moi, se
changea en une affreuse : déveine.
|
Troisième partie |
Chapitre XIII |
|
Léon Caillet, compatriote |
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Dégoûté... momentanément, du métier de chercheur d’or, guéri (du moins je le croyais) de la fièvre de l’or, je résolus d’abandonner ce pays inhospitalier. Seulement, au lieu de cheval, je me contentai de mes jambes pour revenir sur mes pas. Je me fis indiquer un chemin raccourci traversant les Montagnes Rocheuses, qui me permettait de franchir* la distance qui me séparait de Vancouver en moitié moins de temps que par la route tracée le long de la rivière Fraeser.
Je n’emportai avec moi que mon argent (ou plutôt mon or) et sur mon t dos, quelques provisions de route, que je pourrais renouveler facilement en chemin.
On m’indiqua, à une quinzaine de kilomètres de Barkville, un vieux Français, âgé de 70 ans, nommé Léon Gaillet, qui, lui aussi, avait eu son heure de célébrité comme prospecteur d’or, mais qui, par ses passions et son inconduite, était réduit actuellement à vivre seul, misérablement, dans une hutte, comme un sauvage.
Comme cet individu pouvait me donner quelques renseignements intéressants, que j’éprouvais, en outre, le désir de confier mes déboires à un compatriote et surtout que son habitation était sur le chemin que je devais suivre, je n’hésitai pas à aller lui rendre visite et même pour l’amadouer, connaissant son « faible », je me munis d’une bouteille de whisky.
Ce fut dans une misérable cabane délabrée, repoussante d’immondices, une véritable écurie à « cochons » que je fus reçu : j’exposai le but de ma visite et fus obligé d’accepter une hospitalité que j’aurais cependant désiré abréger. Je me trouvai devant une créature vêtue de peaux de bêtes, d’une saleté repoussante, mais qui m’accueillit cordialement comme compatriote.
Après l’avoir mis au courant de toutes mes tribulations, il me raconta son histoire, que je résume en quelques mots "
Parti de France au moment où l’or de la Californie excitait tant de convoitises, il eut la chance de trouver un gisement d’or qui pouvait le rendre millionnaire en peu de temps, s’il avait eu un peu de persévérance, et surtout de tempérance. Mais il préféra prélever au fur et à mesure la quantité d’or qui lui était nécessaire pour satisfaire ses passions, et après l’avoir dépensé en orgies dans les villes voisines, revenir puiser « comme dans un sac » une nouvelle provision, qui se volatilisait ainsi peu à peu. Si encore il était resté sur place, il se fût trouvé à l’abri du besoin pour le restant de ses jours, mais il quitta le certain pour suivre le torrent humain qui se déversait sur l’incertain Fraeser, où il n’eut que des déceptions, obligé qu’il était pour vivre, de faire le métier de trappeur, c’est-à-dire, en plein hiver, par des froids terribles de plus de 40°, creuser le sol, que l’on recouvre de branchages pour prendre des ours. D’autres animaux plus petits, tels que le castor, la martre, etc.,recherchés pour leurs peaux, étaient pris dans des pièges.
Après avoir passé la nuit dans cette hutte sordide, dont l’odeur vous prenait à la gorge, sur des peaux de bêtes et des branchages, je quittai, le lendemain, ce Léon Gaillet avec un certain plaisir, afin de humer avec délices l’air pur du dehors. Le plus bizarre est que mon hôte ne voulut jamais accepter de moi cette bouteille de whisky. |
Chapitre XIV |
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Joseph More, autre compatriote L’ours bénévole
Juillet 1894 |
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Me voici donc, le sac sur l’épaule, par un temps très agréable, reparti par le chemin raccourci en question. Pendant deux jours, je ne rencontrai âme qui vive, ni même aucune trace d’habitation. Mais il faut dire que nous étions en plein été, c’est-à-dire au meilleur moment de la saison ; et que le pays n’offrait aucune trace d’inquiétude pour le voyageur, pas plus au point de vue d’insécurité, que d’hostilité des peuplades indigènes y habitant, et dont la plus grande partie avait été convertie au christianisme par des missionnaires, avec lesquels je devais faire connaissance.; Il existait bien quelques ours dans ces parages; mais, à cette époque de l’année, ils n’étaient pas à craindre, trouvant facilement, dans les forêts, leur nourriture. Ils ne devenaient dangereux pour les Blancs que s’ils étaient attaqués ; quant aux Chinois implantés dans le pays, ils ne pouvaient pas les sentir.
Ma première nuit de campement fut de courte durée, car dans ces pays septentrionaux, si pendant l’hiver on ne voit le jour que quatre ou cinq heures, par contre, il n’existe guère que quatre heures de nuit à l’époque où je franchissais ces contrées.
Ce n’est que dans la soirée du deuxième jour de marche que je trouvai une hutte habitée également par un Européen, un M. Joseph More, qui cherchait de l’or l’été et chassait l’ours l’hiver, en faisant, lui aussi, le commerce de pelleteries ; mais quelle différence d’homme avec ce Léon Gaillet, quitté récemment. Ce M. More, âgé de 35 ans, canadien français, n’avait pas été ébloui par le mirage de l’or. Il se contentait de menues pépites trouvées sur les différents terrains lui appartenant et tirait son meilleur revenu du produit hivernal de sa chasse.
Je restai auprès de lui pendant trois jours, tellement son accueil fut cordial et sa conversation intéressante ; il m’indiqua toutes les ruses de l’ours pour ne pas être surpris par le chasseur, entre autres celle particulièrement bizarre de faire perdre sa piste en se jetant d’un bond dans un fourré, d’où, à son tour, il attaque le chasseur non prévenu.
Bref, nous nous quittâmes enchantés l’un de l’autre et me mis à nouveau en route, après avoir garni mon pauvre sac de provisions fraîches.
Je fis ainsi environ cinq kilomètres dans la montagne et j’aperçus, dans une petite clairière, un terrain moussu rempli de fraises ! Ravi de l’aubaine, je me mis en devoir d’en faire une ample provision. A genoux, me traînant ainsi sur le sol, j’entendis un léger bruit à quelques mètres de moi. Puis tout d’un coup, une énorme masse s’abattit juste devant moi et je me trouvai nez à nez (textuel) devant un ours d’une dimension impressionnante ! Plus mort que vif, je ne fis aucun mouvement, croyant bien ma dernière heure arrivée, me recommandai à tous les saints du Paradis et < fis le mort », ainsi qu’il m’avait été recommandé, en attendant avec terreur que mon sort soit fixé.
Cet ours était-il suffisamment repu ? Eut-il peur de moi, comme j’avais peur de lui ? Me trouva-t-il trop maigre ? Autant de questions insolubles. Toujours est-il qu’au, bout de quelques secondes, qui me parurent des siècles, il se décida à filer par le sentier dans une direction que je ne cherchai pas à repérer.
Inutile de dire que l’envie des fraises m’avait quitté et que je n’eus qu’une hâte : m’éloigner au plus tôt de l’endroit qui aurait pu être mon tombeau. J’arrivai le soir même chez un éleveur d’animaux, qui hébergeait les voyageurs et, après lui avoir raconté mon aventure, ce dernier me dit, pour me consoler. : vous êtes plus chançard que ce Chinois qui vient d’être dévoré récemment, jusqu’à ses bottes exclusivement. |
Chapitre XV |
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Mission catholique française |
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Me voici donc de nouveau sur la route. Le pays devenait un peu plus civilisé. On sentait que la région avait été visitée ou était occupée par toute autre intelligence que celle des indigènes.
En effet, à six kilomètres environ de mon dernier poin de départ, je rencontrai une importante agglomération d’hommes, dont quatre missionnaires catholiques étaient les chefs incontestés, ayant à leur tête le Père Jacques, homme d’une grande valeur et d’une culture intellectuelle supérieure.
Ces missionnaires étaient venus de France bien avant l’arrivée des prospecteurs. Ils étaient venus catéchiser et convertir les Indiens de la région à la religion catholique. Ces quatre apôtres furent admirables de désintéressement, de patience et de volonté. Petit à petit, ils arrivèrent à remplacer la force brutale qui était la loi du pays, par une bonne justice ; ce fut par la douceur, la persuasion qu’ils apaisèrent les vieilles querelles. Enfin, ils surent manœuvrer de telle sorte qu’ils s’imposèrent d’eux-mêmes, et firent connaître le bien-être par le travail à ces êtres frustes et sauvages.
En laissant de côté le baptême et la croyance au catholicisme, je puis affirmer, sans aucun esprit de parti, que ces missionnaires changèrent en richesse la pauvreté, et pacifièrent entièrement les mœurs de ces populations primitives.
Aussi, n’était-il pas rare à cette époque de voir des indigènes faire cinq et six cents kilomètres dans la brousse, pour recevoir la bénédiction nuptiale de leur Père Jacques, qui était pour eux un juge infaillible.
J’ai même assisté, étant leur hôte, à un mariage dont je raconterai plus loin la cérémonie.
En ce qui me concerne, je n’eus qu’à me louer de l’accueil cordial qui me fut fait par ces Messieurs. Ma qualité de Français et de voyageur me fit ouvrir toutes grandes les portes de cet établissement, où l’on me choya comme « l’Enfant Prodigue ». Pendant quinze jours environ l’on fut aux petits soins pour moi et il ne fut naturellement pas question de payer le moindre écot. Voilà la véritable hospitalité !
Cette Mission, aidée d’une subvention du Gouvernement de la Colombie anglaise, avait donc fondé, à cet endroit, sur d’immenses terrains mis à sa disposition, un système d’élevage d’animaux (bêtes à cornes et chevaux) qui pouvaient à cette époque se monter à cinq mille têtes.
En outre, les quatre missionnaires avaient groupé une dizaine d’hommes étrangers au pays, ayant un métier spécial : forgerons, menuisiers, selliers, cordonniers, etc., sans compter d’autres spécialistes : boulangers, bouchers, jardiniers, etc., qu’ils avaient su conserver par leur accueil aimable et un traitement digne d’eux.
C’est ainsi qu’ils apprenaient aux Indiens de bonne volonté, et gratuitement, les différents métiers qui pouvaient leur être utiles, de même qu’ils instruisaient les jeunes Indiens à l’école.
La langue en usage dans le pays était un mélange d’indien et d’anglais, dénommé « kinoucle » et, en général, c’est dans cette langue que les Pères de la mission se faisaient comprendre d’eux.
J’ai dit plus haut que j’assistai à un mariage Chrétien d’indiens. C’est le prêtre, dans ces régions, qui fait fonctions d’officier d’Etat-civil. Le rite est le même que dans nos églises françaises, excepté la cérémonie du Calumet, qui doit remplacer les signatures sur le livre de la sacristie.
Que l’on se figure une soixantaine d’invités, hommes et femmes indiens et quelques enfants accroupis à la façon d’un tailleur et fumant chacun une pipe garnie d’une herbe odorante, que les Indiens connaissent. Ils forment le cercle dont le missionnaire qui a présidé à la cérémonie est le centre.
Dans l’allocution qu’il leur improvise et tout en fumant lui aussi le Calumet de la Paix, il leur rappelle quelques leçons de morale ; qu’ils doivent s’aimer et s’entraider les uns les autres, qu’il ne faut pas s’approprier le bien d’autrui, etc., etc., et son but surtout est de lutter contre leur penchant à la paresse. Comme ce sont presque tous des pêcheurs de saumon le long de la cote, il est obligé d’employer le stratagème, d’attirer par exemple la bénédiction de Dieu sur ceux qui auront fait la meilleure pêche. Ceci pour donner un léger aperçu des mœurs de l’endroit.
Pour en revenir à mon séjour parmi ces braves gens, il ne faut pas que j’oublie que le Père Jacques s’était mis en tête de me marier afin de me retenir dans le pays.
Dans ce but, il voulut absolument me faire faire connaissance avec des Irlandais, tenant une ferme importante des environs. Là, se trouvaient deux jeunes filles en âge d’être mariées, orphelines et possédant une soixantaine de mille francs chacune.
Cette situation aurait pu séduire tout autre, mais il faut croire que je n’étais pas encore mûr pour le mariage ; j’avais des idées très arrêtées à ce sujet, je ne voulais pas devoir ma position à la dot d’une femme, mais étais résolu à ne me marier que lorsque moi-même aurais une situation de fortune suffisante pour prendre charge d’âme. A
Donc, je repoussai cette offre tentante avec tous les aménagements possibles et quittai la Mission, enchanté de l’accueil reçu, mais bien résolu à reprendre mon bâton de pèlerin. |
Chapitre XVI |
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Une maison volatilisée ! |
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Me voici donc reparti dans la direction du sud. J’arrivai ainsi sans encombre à Askroff, laissant Vancouver à l’ouest, me dirigeant sur l’est, dans l’intérieur des terres et m’arrêtai à Rosland, centre de gisements de cuivre très importants, qui venaient de se découvrir depuis peu. Malgré mon peu de succès précédent, j’étais presque décidé à me mettre, moi aussi, à prospecter le cuivre, après avoir perdu ma mine d’or ; mais cette fois je me munis de renseignements les plus
précis; je ne voulais me lancer qu’à coup sûr. Puis, je trouvai à acheter, pour une très modique somme (soixante dollars environ), une cabane toute meublée, dans laquelle je pus enfin me reposer un peu de tous mes voyages précédents et réfléchir sérieusement sur quelle voie j’allais m’aiguiller.
J’appris donc que, pour extraire utilement le cuivre, il fallait faire fondre la roche, qu’il me fallait exposer de gros capitaux pour un bénéfice incertain ou, en tout cas, bien inférieur à ceux des mines d’or. Et, devenu méfiant par mon échec précédent, je préférai m’abstenir et attendre les événements.
Le lecteur voudra bien me permettre de lui donner quelques détails sur ma maisonnette et sur la façon dont j’en devins le propriétaire ; cela lui soulèvera un coin du voile des mœurs yankees.
Cette maisonnette avait été grossièrement construite de bois non équarris avec, pour boucher les vides, plus de terre glaise que de ciment. Elle appartenait alors à un prospecteur de cuivre, qui voulait quitter le pays. Une heure à peine suffit pour conclure le marché, car on est expéditif dans ces pays neufs, et l’on ne s’embarrasse guère de paperasseries (peut-être même pas assez). Nous convenons donc du prix, avec les meubles rudimentaires la garnissant. Un simple papier, nos signatures ; et l’affaire était faite.
Il n’y avait pas six mois que j’en avais pris possession, qu’un soir, un individu, Français, vint me trouver, me raconta ses malheurs et misères et me demanda d’avoir l’humanité de le recueillir quelques jours, en attendant qu’il puisse trouver une situation dans son métier de cuisinier.
Emu de compassion, je le recueillis et lui donnai même l’occasion de s’acquitter envers moi, en me servant de ses talents de cuisinier pour me faire mes repas, que nous partagions ainsi en commun. Et cela me faisait une agréable compagnie. '
Sur ces entrefaites, j’eus à m’absenter quelques jours, confiai donc ma bicoque à ce compatriote, en lui laissant çe qu’il fallait pour se nourrir pendant mon absence.
Voici comment je fus récompensé de ma bonne action : A mon retour de voyage, je trouvai ma maisonnette habitée par un Italien, qui trouva étrange mon irruption chez lui !
Mon locataire cuisinier avait mis à profit mes quelques jours d’absence avec la même rapidité que j’avais employée pour en faire l’achat, il se fabriqua un faux titre de propriété, signé de moi et vendit séance tenante, au premier venu, la maisonnette et son contenu !
Il eut même l’audace de m’emporter mes vêtements et effets personnels, ce qui fait que je me trouvai démuni de tout !
Heureusement que mon argent et mes papiers étaient en banque. Lorsque j’allai conter ma mésaventure au « shérif > de l’endroit, on ne put me donner, comme consolation, que l’assurance de coffrer mon voleur et de le faire condamner aux galères comme faussaire. Quant à attaquer mon successeur en nullité de vente, il n’y fallait pas songer, les choses avaient été régulièrement faites ; cet Italien avait payé comptant et de bonne foi, impossible de le déposséder ! d’autant plus que je n’avais pas encore payé les contributions, et que cette cabane était construite sur un terrain ne m’appartenant pas.
Décidément, la déveine me poursuivait ; aussi je résolus de reprendre mon premier métier de colporteur qui, lui, au moins, m’avait donné toute satisfaction.
Avant de partir du pays j’allai prendre congé d’un excellent camarade, celui-là également Français, mais qui me témoigna toujours la plus grande amitié désintéressée.
Je le présente ici au lecteur, car j’aurai l’occasion d’en reparler par la suite : M. Antoine Céçillon, de Bénaus (Ain).
D’un caractère très doux, n’ayant aucune ambition, il se contentait de travailler à la journée dans ces mines de cuivre de Rosland.
Nous nous quittâmes donc avec grande émotion de part et d’autre, et nous promettant de nous écrire fréquemment en attendant l’Exposition de 1900. |
Chapitre XVII |
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Deuxième expédition |
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Vers le printemps de 1895, las de rester inactif, je résolus, faute de mieux, de me remettre à faire le colporteur, avec cette fois un bon choix de coutellerie et de bijouterie. C’est ainsi que je fus amené, de par les hasards de mes pérégrinations, à refranchir les Etats-Unis et, dans un pays nommé Spokan, j’assistai certain dimanche, dans l’après-midi, à des conférences en plein air organisées par des sectes protestantes. A un carrefour de quatre routes, je me trouvai en présence de quatre prédicateurs de sectes différentes, tenant et attirant chacun le plus d’auditeurs possible à chacun des quatre coins de ce carrefour. Le plus bizarre était que le groupe formé par « l’armée du Salut » était muni de tambour et instruments de cuivre, dont il lançait des appels stridents, pour couvrir la voix et même le piano mécanique d’un autre pasteur, qui se servait de ce moyen pour attirer la foule auprès de lui. Et le plus curieux était la gravité des badauds attirés par tout ce bruit, suivant gravement cette joute oratoire et surtout bruyante.
Je ne vois rien de bien intéressant que je n’aie déjà narré, sur la vente que je fis de mes articles de bimbeloterie pendant cette année 1895 et même une partie de 1896.
Mais, dès le commencement de cette année 1896, le bruit se répandit dans la région, puis dans le monde entier, que l’on venait de découvrir de nouveaux gisements aurifères au Canada, frontière de l’Alaska, près d’une rivière qui devint célèbre : le Klondyke ! Ce fut une ruée ! En ce qui me concerne, ce que je craignais arriva ! A force d’entendre parler autour de moi d’or ramassé à la pelle », cette maudite fièvre de l’or me reprit. J’oubliai tous mes déboires passés, d’autant plus que, me trouvant à cette époque (été de 1896) à Seattle, sur la frontière canadienne, je m’y rencontrai avec d’anciens prospecteurs, que j’avais connus lors de ma première expédition du Fraeser et qui, attirés comme les autres par cet' éblouissant mirage, se rendaient directement aux nouveaux gisements. Aussi n’hésitai-je plus lorsqu’ils me proposèrent de me joindre à eux ; oe qui portait notre petite troupe à huit hommes.
Je me débarrassai d’un seul bloc de mon restant de marchandises, et, après avoir mis à fonds commun mille dollars chacun, nous achetâmes sur place les vêtements, vivres, outils indispensables et nous embarquâmes à Seattle même, avec notre cargaison, à destination de Dyea, qui se trouve par 60° de latitude nord, où nous arrivâmes sans incident après quatre jours et quatre nuits de traversée.
Ce fut à Dyea que commencèrent les difficultés. Il s’agissait de franchir des espaces désertiques, sans aucun chemin tracé, et transporter tout notre matériel sur notre dos, car il n’y avait à compter que sur soi-même. C’était le vide, l’inconnu.
Une première étape de 11 kilomètres de montagne pour atteindre les 4.000 mètres de sommet et redescendre ensuite jusqu’à un lac « Benett », qui devait nous permettre de franchir une deuxième étape d’une cinquantaine de kilomètres sur le radeau que nous nous proposions de construire. Ces 11 kilomètres auraient été vivement franchis, si nous n’avions eu à transporter près de 6.000 kilos de bagages....sur notre
dos / Pour commencer, nous chargeâmes chacun nos épaules d’une quarantaine de kilos de marchandises et nous faisions un seul voyage aller et retour par jour. Mais il fallait à tour de rôle que l’un de nos compagnons demeurât au point de départ et à l’arrivée pour surveiller nos bagages. Au bout de trois ou quatre jours, deux de nos camarades, épouvantés du travail gigantesque entrepris, nous abandonnèrent leur part de marchandises et nous quittèrent définitivement, ce qui compliqua singulièrement la besogne, ayant le même poids à transporter et n’étant plus que six. Je n’insisterai donc pas sur nos misères, qui ne faisaient que commencer. Nous mîmes vingt-deux jours pour transporter au bord du lac Benett notre stock de marchandises ! Puis, avec le bois abondant dans le pays, nous construisîmes un grand radeau ; nous chargeâmes tous nos colis sur le radeau et, un beau matin, entreprîmes la traversée en longueur de ce lac qui peut se comparer comme dimensions à celui du Léman (en partant de Genève pour aboutir au Bouveret).
Nous étions alors en octobre 1896. Jusque-là la température était restée relativement douce, mais, comme un fait exprès, le jour même de notre embarquement, le vent du nord commença à souffler et, en quelques heures, les bords du lac gelèrent !
Craignant avec raison d’être pris par la glace pendant notre traversée, nous tînmes conseil et il fut résolu à l’unanimité de remettre pied à terre. Puis la malchance nous poursuivant, nous eûmes un homme qui se noya pendant cette manœuvre de débarquement ! Nous voici donc réduits à cinq hommes ; notre radeau était devenu inutile. Mais nous ne restâmes pas inactifs et pendant les quelques jours qui suivirent, et où le froid devint de plus en plus vif, nous construisîmes plusieurs traîneaux, que nous chargeâmes de nos marchandises, et lorsque l’on jugea la glace assez épaisse nous nous attelâmes nous-mêmes, comme des bêtes de somme, à ces traîneaux, et en route sur la glace du lac.
Tout alla bien jusqu’à l’entrée de la rivière « Yukon », qui faisait suite à ce lac Benett. Mais là, des difficultés inouïes nous attendaient. Plusieurs rapides se rencontraient le long de son cours. C’est alors qu’il fallait « débarquer » nos traîneaux et faire d’immenses détours sur la neige molle, pour contourner ces rapides. C’est ainsi que nous fîmes plus de 600 kilomètres soit sur la glace, soit sur la neige et que nous arrivâmes à Dawson City à la fin de décembre 1896, exténués, rompus, mais soutenus par une volonté de fer... ou plutôt... d’or. Ce Dawson City était le point de départ des prospecteurs que nous allions suivre, pour tâcher de prendre aussi notre part du gâteau.
Heureusement que nous avions des vivres et outils en abondance, car à Dawson City, qui ne faisait que naître, nous n’aurions absolument rien trouvé à n’importe quel prix. Cette ville, qui devait devenir florissante, était à cette époque composée de quelques tentes et huttes de branchages, mais se trouvait en 1896 dans le même état embryonnaire que le village de Much Channel à l’époque des Guichon-Giroux I |
Chapitre XVIII |
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Au Klondyke (Yukon)
Hiver 1896. |
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Arrivés à Dawson City, il nous fallut chercher une cahute pour abriter nos marchandises et nous-mêmes, ce qui fut relativement facile, en y mettant le prix. Puis nous voilà explorant les environs, et remontant même jusqu’à 30 kilomètres au nord pour repérer une place aurifère.
Pendant ce temps, l’un de nos compagnons, le moins robuste d’entre nous, nous proposa de nous vendre sa part de marchandises, et nous quitta pour aller travailler chez les autres, estimant que des journées payées 16 dollars étaient bonnes à prendre, et peut-être plus certaines que ce que nous pourrions découvrir. Il faut ajouter qu’à cette époque les ouvriers travaillant pour le compte de particulier, non seulement gagnaient au moins 80 francs par jour, mais pouvaient compter sur une plus-value de 120 francs de « gratte » qu’ils obtenaient en subtilisant adroitement quelques imperceptibles pépites d’or provenant du lavage. Cette « gratte » était connue et admise alors. Donc, nous ne restions plus que quatre hommes, déterminés, courageux, remplis de bonne volonté, mais ayant à lutter contre un climat excessivement rigoureux et une nuit presque totale pendant l’hiver.
Il faut avoir été dans ces pays de désolation pour se faire une idée de ce que sont le climat et les mœurs des habitants.
Qu’on se figure une étendue immense, glacée, des froids atteignant jusqu’à 55 et 60° Fahrenheit. Une nuit noire, opaque, durant les mois d’hiver nuit et jour, la nuit, toujours la nuit ! Quelques lanternes pour les privilégiés ; d’autres, se servant de torches de résine, et c’est ainsi et avec ces moyens rudimentaires que l’on vaquait à ses occupations... en plein jour !
Quant aux habitants du pays, il y en avait de deux sortes bien distinctes : 1° les indigènes-esquimaux ; 2° les prospecteurs et étrangers venus à la découverte. Les relations
entre les indigènes et les étrangers étaient assez convenables en ce sens qu’avec de l’argent (ou de l’or) on obtenait d’eux quelques vivres, produits de leurs chasses ou de leur pêche, de même qu’ils se mettaient à la disposition des explorateurs pour prêter leurs chiens, qui, dans ce pays, servent de moyen de traction.
Notre petite association, partie de Seattle avec huit compagnons, était alors réduite à quatre hommes. Malgré le froid, la neige et la nuit, nous nous divisâmes en deux équipes ; deux d’entre nous partaient à la découverte, alors que deux autres restaient alternativement dans la hutte pour surveiller notre cargaison et se reposer.
C’est ainsi que nous fûmes amenés à trouver une place inexplorée, et nous prîmes toutes les précautions nécessaires pour ne pas nous en faire déloger. Nos papiers, cette fois, étaient en règle.
C’est alors que nous transportâmes toutes nos provisions avec nos traîneaux sur ce terrain loué à l’année, et que nous construisîmes une grande hutte avec des arbres abattus. Ces arbres sont d’ailleurs le seul produit du sol qui vienne en abondance et dont chacun peut disposer sans bourse délier.
Mais voici où des difficultés presque insurmontables commencèrent à surgir. Il s’agissait, avec nos outils, de creuser un puits plus ou moins profond ; nous pensions qu’une fois la neige et la glace enlevées, nous ne trouverions le sol gelé qu’à quelques mètres.
Ce fut là, hélas ! une grosse erreur ! Plus nous creusions une terre aussi dure que le granit, plus nous rencontrions de difficultés à la creuser. En effet, pour arriver à faire un travail utile, nous étions obligés d’entretenir dans le puits de gros brasiers de bois la nuit, qui dégelaient à peine un mètre de terre, mais qui faisaient écrouler les parois supérieures du puits.
On eut recours au « boisage », comme dans les mines de charbon. H nous fallut une dose de patience, de courage et de persévérance, dont peu d’hommes actuellement seraient capables.
Puis, nous avions dépensé alors près de dix mille dollars depuis notre départ, soit 50.000 francs, et naturellement n’avions rien gagné.
Cependant^ certains indices nous donnaient espoir d’être bientôt récompensés.
Vers la fin de février 1897, nous avons enfin trouvé la roche ; c’est-à-dire que 80 environ de gravier recouvraient cette roche, qui elle-même nous donna quelque peu d’or, par nos moyens rudimentaires. Vers la fin de mai, la fonte des neiges nous permit de laver tout ce gravier, par le système des trois planches formant caniveau et en peu de temps, non seulement nous pûmes combler notre déficit, mais nous eûmes en outre un certain profit.
Au prix de quelles peines ! le lecteur ne peut se l’imaginer. Ne voulant pas l’apitoyer outre mesure sur notre sort, je ne lui indiquerai qu’un fait.
Arrivés à 80 et 90 mètres de profondeur de ce puits enfin percé, nous étions obligés, à la lueur de chandelles, pour découvrir cette roche et en enlever le gravier, de nous mettre soit à plat ventre, soit sur le dos et c’est dans cette position terrible, avec un air raréfié, et le risque de recevoir des éboulis sur la tête, que nous sommes arrivés à extraire ce précieux gravier aurifère.
Je ne supposé pas que nos forçats, soient chargés d’une pareille besogne. Aussi, sans que la maladie n’ait jamais eu de prise sur moi, je me trouvais à cette époque excessivement fatiguée. Puis, j’ignorais ce que la suite nous donnerait. Une fois ce puits abandonné, il nous fallait encore risquer de gros capitaux au hasard, à l’aventure, sans aucune certitude de trouver un filon.
C’est alors que je résolus de quitter cette terre inhospitalière. Je vendis à mes compagnons ma part, pour un prix minime et, comme à cette époque de l’année (juin) il existait un service de bateaux qui descendaient le Yukon, jusqu’au détroit de Behring, je n’hésitai pas à entreprendre ce long voyage de retour, afin de me retrouver dans un pays un peu plus civilisé. Ce voyage de retour ne présente pas d’incidents digne de remarque, si ce n’est que les passagers de ce bateau quittaient le pays du Klondyke avec de petites et de grosses fortunes. Des centaines de mille francs étaient considérées comme petite fortune, alors que certains emportaient le million de dollars ! soit cinq millions de francs... en or. Quant à moi, j’étais dans les tontes petites fortunes, ce qui ne m’empêchait pas de l’avoir cousue dans une ceinture ad hoc, autour de mes reins. |
Chapitre XIX |
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En Californie
Juin 1897. |
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Notre bateau mit environ quatre jours pour rejoindre l’embouchure du Yukon, qui se jette dans le détroit de Behring et aboutit à une ville nommée Saint-Michel. C’est à cet endroit qu’il me fut donné de voir pour la première, fois le soleil de minuit, ce qui est commun l’été dans ces parages.
Puis, je m’embarquai à Nome sur un autre bateau qui me conduisit, avec tous les prospecteurs, directement à Seattle (notre point de départ onze mois plus tôt) en neuf jours de traversée.
C’est à Seattle qu’il me fut donné de voir un spectacle peu banal. Une nuée de policemen, formant la haie sur notre passage pour éviter une « ruée » toujours possible de gens sans aveu, tout prêts à dévaliser le prospecteur nouveau débarqué.
Préférant faire monnayer mon or à San-Francisco, où je savais le change plus avantageux qu’à Seattle, je me réembarquai à nouveau pour cette destination. Je fis un triage judicieux de quelques pépites que je voulais conserver pour fabriquer des chaînes de montre et des tours de cou, puis je me rendis à la « Monnaie » où l’on me convertit mon or en belles pièces de 20 dollars or (pièce de 100 francs). (J’ai encore en ma possession une chaîne de montre que j’ai fait faire à cette époque et que je conserve précieusement comme souvenir !)
De San-Francisco, je m’embarquai pour un pays situé à peu de distance, dénommé Stockton, un vrai pays de cocagne, avec un climat doux, tempéré en toute saison, où il est reconnu que le soleil brille 310 jours de l’année. La végétation y est intensive, et la vie y est douce et à très bon compte. Quel changement ! J’en donnerai une faible idée en racontant mon arrivée à Stockton. J’entrai dans un hôtel convenable, tenu par un Italien. Je m’informai des prix perçus : 3 dollars 50 = 17 fr. 50 par semaine, soit 2 fr. 50 par jour ! ! ! Cela je l’affirme et puis le prouver. Pour ce prix quotidien de 2 fr. 50, le voyageur a droit à une chambre convenable et à trois repas complets par jour, comprenant trois plats de viande, poisson, légumes et desserts, avec du pain et
même du vin à discrétion ! Voilà le pays de cocagne où le hasard m’avait conduit. Terre fertile et hospitalière où l’étranger est toujours bien accueilli.
Et cependant, ses habitants sont de pauvres Italiens émigrants, travaillant comme manœuvres pour la plupart, aucun propriétaire, mais simples locataires, trouvant le moyen d’avoir une basse-cour, un jardinet rempli de légumes et de fruits et quelquefois un petit clos de vigne qui leur rappelle les vins de leur pays.
D’autres cultivent en plus grand fruits ou légumes qui vont approvisionner le marché de San-Francisco.
Mais, je reviens à mon histoire et à mes aventures absolument véridiques et vécues, qui font l’objet de ces « Mémoires ».
Mon hôtelier m’avait raconté les merveilles de ce pays que l’on pouvait comparer à « l’Eden ». Il faut dire que la Californie est le « Jardin » de l’Amérique du Nord, comme la Touraine est le jardin de la France. Me sentant un peu d’argent en poche, assez rudement gagné d’ailleurs, et voulant me reposer le corps et l’esprit pendant quelque temps, je résolus de visiter une partie de cette Californie si vantée.
Ne voulant pas parcourir, le pays à pied, l’idée me vint de chercher à me procurer une voiture de campement, qui devait représenter pour moi une maison portative.
L’Italien chez lequel je logeai me mit donc en pour parler avec un juif brocanteur, mais brocanteur en grand, c’est-à- dire achetant 'et vendant de tout et à tous prix.
Ce juif possédait une mine d’or épuisée en Sierra Nevada, et lorsqu’il eut que j’arrivais du Kymdyke, il fut obsédé de savoir si je possédais des pépites d’or À vendre.
C’est alors que je lui montrai un tour de cou en or, dont l’estimation que j’en fis pouvait correspondre avec certain attelage et voiture de campement que le juif me montra, et qui faisait assez bien mon affaire.
Inutile de parler des marchandages qui eurent lieu, mais je tins bon et, le juif ayant envie de ce collier, nous arrivâmes enfin à nous mettre d’accord.
Et un beau matin, après avoir garni de provisions mon « entresol >, qui était tout meublé, je partis avec mes deux chevaux dans la direction de la vallée de Eresno, et à Noël j’étais à Los Angeles, à 300 kilomètres environ de San-Francisco.
Ce voyage eût été un enchantement à part quelques inconvénients que je vais soumettre rapidement au lecteur.
Comme route, il n’en existait pas à cette époque. Il fallait suivre auprès des lignes de chemin de fer un tracé obtenu par le passage habituel de piétons ou voitures. Autour des villes, cela encore était relativement praticable, mais, si plus loin le terrain offrait quelques traces d’humidité ou si la voie du chemin de fer se trouvait rétrécie par les ouvrages d’art, tels que ponts ou tunnels, c’est alors que de grosses difficultés se présentaient pour faire passer mon attelage.
D’autre part, ce pays privilégié attirait chaque année une nuée de vagabonds, trimardeurs pour qui la vie d’un homme pesait peu dans la balance de leur conscience. Pour un dollar et même moins, ils vous auraient coupé la gorge, et s’ils avaient su que dans une cachette de ma voiture se trouvaient trois mille dollars en or, ma vie aurait été bien exposé. Mais beaucoup de ces individus, vivant de maraudages et rapines, voyageaient eux aussi dans des roulottes plus ou moins confortables, et j’eus la présence d’esprit, au lieu de les fuir, de prendre quelquefois contact avec eux et leur rendre quelques petits services, en déplorant devant eux ma misère imaginaire.
Je trouvai même à faire des échanges de chevaux en cours de route ; mais, quand je fus saturé de grand air et de vie nomade, je pris le chemin du retour en passant par Sauta-Barbara, le long de l’Océan Pacifique, et revois à mon point de départ de Stockton, sans autre incident digne de remarque.
J’eus la chance de revendre au même juif, pour un prix
raisonnable, chevaux et voiture et repartis par chemin de fer à Los Angeles, ville assez importante, de 175.000 habitants, Mexicains et Allemands en majorité, que j’avais repérée à la Noël précédente, et qui m’avait plu par sa situation et son climat. Deux grandes lignes de chemin de fer y passaient, des puits à pétrole étaient en exploitation ; bref, vers l’été de 1898, j’y ouvris un magasin dans le centre de la ville, près d’une gare, que j’approvisionnai de quincaillerie et de bijouterie et j’y demeurai près de deux ans. Aucun incident notable pendant ces deux années. La vie même me semblait monotone et cette existence paisible pesait à mon activité habituelle. Puis j’avais l’intention d’aller en France voir cette fameuse Exposition de 1900, en compagnie de cet excellent camarade Cécillon, dont j’ai parlé plus haut. C’est pourquoi je vendis mon magasin vers le commencement de 1900.
Un fait curieux, dont le souvenir me revient actuellement, est la façon dont on comprenait l’élevage des poules dans les environs de Los Angèles. Des villages et villes environnantes se livraient à une sélection1 tellement bien comprise, que les habitants vivaient exclusivement du produit de la vente des œufs, qui étaient expédiés de là, dans presque tous les Etats- Unis.
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Chapitre XX |
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« L’Eldorado »
Mars 1900. |
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Comme je n’avais pas reçu de nouvelles depuis quelque temps de mon camarade Cécillon, avec lequel nous devions aller en France à l’Exposition, et que différentes lettres m’étaient revenues sans l’avoir rencontré, je fis à ce moment une enquête sérieuse auprès d’amis communs et j’appris, hélas, avec certitude, que ce bon camarade était mort, gelé / au Canada, dans l’Ontario. Cette pénible nouvelle me causa une impression tellement douloureuse que je renonçai à mon voyage en France.
J’appris que dans la province du Colorado, en plein centre des Etats-Unis, on trouvait des gisements, non seulement aurifères, mais de l’argent, du cuivre et du charbon en grande quantité. En outre, le pays était très fertile et, en raison de sa production intensive, sillonné de réseaux de chemins de fer très serrés.
Il ne fallait pas songer pour moi à faire le prospecteur d’aucune sorte ; la moindre parcelle de terrain se vendait à des prix excessifs et il n’était pas rare de voir engager un demi-million de dollars par ces Sociétés ou Compagnies, pour ouvrir une nouvelle mine.
Mais cette agglomération énorme de travailleurs devait être très favorable pour mon ancien métier de colporteur, que je n’hésitai pas à reprendre. C’est en me dirigeant en chemin de fer dans la direction de Koupekrick que je fus témoin d’une aventure bizarre, qui montrera la mentalité de certains Yankees.
A un moment donné le train s’arrêta en pleine campagne ; personne ne s’en émut naturellement. Mais le plus bizarre et qui nous fut conté par les employés ensuite fut que les dix minutes environ que durèrent cet arrêt furent mis à profit par un individu qui, sous la menace de son revolver, pénétra dans le fourgon aux bagages où se trouvait un coffre- fort appartenant à la Compagnie, et le força tranquillement, tout en s’emparant de son contenu. Personne ne se douta de rien ! Et le coup fut fait, par un seul et même individu, je le répète, qui usa, comme on le voit, d’une rare audace.
C’est d’ailleurs le seul incident auquel je me sois trouvé mêlé dans ces trains, qui cependant sont souvent attaqués par des bandes de malfaiteurs, précurseurs de leurs émules en France.
Ce pays minier est garni de montagnes qui ont l’air d’être « brisées », c’est-à-dire qu’à une époque préhistorique il dut y avoir, comme dans notre Massif central de l’Auvergne, des volcans en pleine éruption, mais au lieu de vomir de la lave, des rochers... en or, argent, cuivre et riches gisements de charbon furent bouleversés à tel point que les minerais affleuraient le sol.
Les forêts avaient poussé là-dessus et, pendant des siècles, personne ne pouvait se douter combien de richesses étaient ainsi enfouies. Ce ne fut qu’en 1895 que l’on commença sérieusement à exploiter ces richesses, avec d’autant plus d’élan que des machines puissantes avaient été inventées, non seulement comme extracteurs, mais surtout pour le broyage de la roche, qui exige des machines-outils d’une puissance formidable.
A l’époque donc où je me trouvais dans ces parages trois villes s’étaient créées : Goldfield, Victor et Koupekrick ; ce qui représentait une agglomération d’une quinzaine de mille ouvriers, sans parler de leurs familles.
Le lecteur peut se figurer combien il m’était facile de vendre ma bijouterie à des hommes pour la plupart célibataires, qui se groupaient par 50 et 75 et qui dépensaient sans compter leur haute paye. La population était tellement dense que j’aurai pu aller de maison à maison pendant plus de six mois, sans repasser une seconde fois par la même ! Un certain soir, à l’heure du dîner, j’entrai dans une cantine, qui contenait environ cent à cent dix ouvriers, et après avoir offert et vendu de mes bijoux, montres, chaînes en or, etc., j’appris que je me trouvais dans la mine de « l’Eldorado », dont le nom lui fut donné en raison de sa richesse. Le contremaître m’apprit que n’importe quel ouvrier n’entrait pas dans cette mine, qu’il fallait avoir fait ses preuves de capacité et d’honnêteté pour y être admis. Malgré cela, des précautions étaient prises pour qu’il n’y ait pas de « fuites ». Chaque ouvrier était obligé, en arrivant prendre son travail, le matin, de quitter ses vêtements et son linge même, et de revêtir une tenue de travail, qu’il quittait le soir, à la sortie. C’était un règlement de cette importante Compagnie de l’Eldorado, qui était suivi très strictement.
C’est là que j’ai vu d’énormes machines pour broyer le rocher et des blocs d’or extraits ainsi de la roche plus grosse que la tête ; ce qui leur donnait une valeur de vingt à trente mille dollars = 100 à 150 mille francs chacun.
C’est à cette époque que l’une des trois villes composant cette province du Colorado, Victor, avec ses 30.000 habitants fut ravagée par le feu. C’est l’une des calamités qui sévit souvent dans ces pays de mine et surtout dans les environs immédiats de ces immenses forêts, où une étincelle de locomotive ou une simple imprudence de fumeur produit souvent les plus grands désastres. Il faut dire que dans ces pays neufs, hâtivement construite, presque toutes les maisons sont en bois. |
Chapitre XXI |
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Chez les Mormons
Printemps 1901. |
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Je passai donc, mon année 1900 à vendre avec succès ma bijouterie, qui n’était plus alors du « toc » mais du bel or, puis l’hiver 1900-1901 et quand je sentis que la place était épuisée pour moi, je passai dans l’état limitrophe de Montana, plus au nord et m’arrêtai à sa capitale Butte-Montana, pays riche en mines de cuivre et en charbon. L’argent et l’or y sont abondants ; les affaires me semblèrent assez faciles : et je ne montai pas un magasin ; mais je le fis quelques années plus tard.
Pour cette fois, je me contentai de suivre, sur l’ouest, l’état d’Idaho puis, de là, je résolus d’aller visiter les Mormons dans leur état de l’Utah et me suis arrêté dans leur capitale : « Salt Jake City ».
Nous allons examiner, si le lecteur le veut bien, les mœurs de cette peuplade, dont la polygamie tend à disparaître, depuis qu’une loi la défend formellement.
A l’époque où je m’y trouvais, c’est-à-dire en 1901, ils étaient encore libres d’agir à leur guise et voici comment un homme pouvait être le mari de plusieurs femmes.
Il fallait prouver que sa position de fortune lui permettait de nourrir et entretenir plusieurs ménages, pour être autorisé à contracter plusieurs unions légitimes. Cela n’impliquait pas des mœurs dissolues, bien au contraire. Les ménages devaient habiter séparément et en général ne se connaissaient pas entre eux. Les enfants issus de ces unions restaient auprès de leur mère. On prétend que leur chef, un certain Brigame Young, avait ainsi quatre-vingt-deux femmes ! mais cela ne fut jamais bien prouvé. De mœurs très rigides, d’une sobriété proverbiale, très accueillante pour l’étranger, tels sont les principaux caractères de cette peuplade, dont une partie émigra lors de la promulgation de la loi en question.
Leur religion protestante est suivie par eux avec ferveur et même fanatisme. La coutume, pour entrer dans le temple, était de se dévêtir des habits portés en ville et de s’habiller tout de blanc. Quant aux étrangers, il leur était interdit d’y pénétrer.
Salt lake City, ville de 40.000 habitants environ, est la ville la plus propre que j’aie rencontrée aux Etats-Unis. L’hygiène y est observée scrupuleusement, les rues, lavées à grande eau. L’eau coule continuellement et, comme la ville se trouve en pente, cela produit un arrosage continuel. Tout le monde travaille, on ne connaît pas l’ivresse et, je ne saurais trop le répéter, quoique la polygamie y soit autorisée, les mœurs sont des plus rigides.
Me trouvant à l’automne de 1901 tout près de la Californie, je résolus d’y retourner passer mon hiver. Mais, au lieu de me diriger sur le sud, je remontai au nord de San-Francisco à la capitale même de cet état, qui est Sacramento, ville de 75.000 habitants, mais qui n’a pas progressé comme San-Francisco, sa voisine, qui renfermait à l’époque plus de 600 à 700 mille habitants. C’est quelques années plus tard, en 1906, que devait être détruite San-Francisco, immense ville cosmopolite, par un tremblement de terre suivi d’un ' incendie qui ne laissa rien debout, sans parler des milliers de personnes englouties ou brûlées. Depuis, un million d’habitants ont tout reconstruit.
Revenons à Sacramento et à une petite aventure qui m’advint dans l’hôtel où j’étais descendu.
Une nuit, je dormais paisiblement et, n’ayant pas d’oreiller j’avais plié mon pantalon, en guise d’oreiller, pour avoir la tête plus haute ; j’avais fermé ma porte à clé, mais avais retiré la clé de la serrure. C’est alors qu’un « Rat d’hôtel » mit à profit cette circonstance pour exercer ses talents. Il pénétra dans ma chambre à l’aide de ses fausses clés et, voyant ce pantalon plié sous ma tête, ne douta pas un seul instant qu’il ne recelât mon argent.
Aussi, d’un brusque mouvement, arracha-t-il ce pantalon et fila prestement avec. Le temps de me réveiller, d’appeler au secours, mon voleur était loin. D’ailleurs, j’eus toujours une vague idée que l’hôtelier pouvait bien être son complice.
La perte fut pour moi minime. Le pantalon, seul, pouvait avoir de la valeur, et le porte-monnaie qui était dans la poche, ne contenait que quelques piécettes blanches, mes valeurs étant en lieu sûr.
Ce que je vis de curieux dans les environs, furent des arbres gigantesques dans le genre de nos sapins, mais ayant une dimension en épaisseur telle qu’un de ces arbres, pourri à l’intérieur et vidé permettait de laisser passer entre ses deux écorces une diligence avec ses deux chevaux. ’
Cette curiosité, ainsi qu’une maison assez importante bâtie entièrement sur le tronc d’un de ces arbres gigantesques, attire de nombreux touristes dans la région. |
Chapitre XXII |
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Fairbank (Alaska) |
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Je passai l’hiver 1901-1902 à voyager et faire mon colportage en Californie, sans avoir d’incident intéressant à noter.
C’est au début de l’année 1902 que je rencontrai, à San-Francisco, trois compagnons, prospecteurs d’or, que je connaissais et qui me proposèrent de me joindre à eux pour essayer notre chance dans l’Alaska, près de Fairbank, où de nouveaux gisements aurifères avaient été repérés un an auparavant. Mes trois compagnons abandonnaient les mines de Californie, complètement épuisées, pour essayer de tenter la fortune dans le nord.
Quant à moi, instruit par l’expérience et ne voulant pas recommencer à subir les misères de ma dernière expédition du Klondyke, je consentis volontiers à me joindre à eux, mais avec simplement un stock important de bijouterie en or, que j’espérais bien échanger contre de l’or natif.
Donc, nous nous embarquâmes de San-Francisco vers février 1902 pour Seattle, point de départ déjà suivi et, de Seattle, nous fîmes la même traversée que pour l’expédition du Klondyke, avec cette différence, qu’au lieu de débarquer à Dyea, nous poussâmes jusqu’à l’embouchure de Cooper River à Valdaase, pour de là nous diriger au moyen de traîneaux sur Fairbank. Nous eûmes encore à lutter cette fois contre les éléments, une bise glaciale qui, malgré nos vêtements de peau et nos sous-vêtements de laine, nous transperçait. Aucune route ni sentier n’était tracé, simplement des coups de hache contre les arbres, marqués par des prédécesseurs, nous évitaient de nous éloigner de notre chemin. Aucune autre trace de caravane ne pouvait se reconnaître, en raison des chutes de neige continuelles qui aplanissaient le sol. Cette neige était friable, et, pour pousser nos traîneaux et ne pas nous enfoncer à chaque pas, nous fîmes usage de « raquettes », espèce de grand patin en bois plat, indispensable dans ces régions. Des rafales de neige étaient telles qu’il nous arrivait de ne pouvoir ni avancer ni reculer, c’est alors que le seul moyen pratique pour combattre les éléments déchaînés était de nous allonger sur des couvertures placées sur des peaux de bêtes, de nous enrouler dans ce linceul et de rester quelquefois une journée et plus ensevelis dans la neige, en attendant la fin de l’ouragan. Et le plus curieux est que non seulement l’air ne se raréfiait pas, mais que nous sentions même un peu de chaleur dans cette position.
Ce qui n’empêche que les froids étaient terribles ; c’est là que mes oreilles se congestionnèrent et que depuis cette époque j’ai de la difficulté à entendre nettement. Ni les ours, ni les loups, heureusement, ne vinrent nous attaquer. Par ces grands froids, l’ours reste dans sa tanière, engourdi, lui aussi. Quant aux loups, ils n’attaquent l’homme que lorsqu’ils sont en grand nombre et, heureusement pour nous, le cas ne se présenta pas.
J’insisterai particulièrement sur la façon dont nous établissions notre campement de nuit. Lorsque la nuit arrivait, vers 4 heures du soir environ, quoique fourbus et rompus de fatigue, nous étions encore obligés de nous mettre à la recherche de branchages et de bois qu’il fallait débiter. Chacun de nous quatre avait son attribution spéciale, l’un s’occupait des branchages qui devaient nous servir de sommier entre la neige et nos fourrures, un autre installait une tente à l’abri autant que possible des rafales, un troisième s’occupait de l’eau, alors que le quatrième faisait du feu et s’occupait de faire la soupe.
Je laisse à penser l’énorme fatigue qui nous fermait les paupières, après cette besogne terminée. Aussi ne songions-nous même pas à veiller sur notre sécurité en nous relayant la nuit pour la surveillance de notre campement.
Nous dormions comme des brutes et il nous fallait, le lendemain avant le jour et à tâtons, replier bagage et nous dépêcher de profiter des six heures de jour ou plutôt de crépuscule qui éclairait faiblement notre chemin.
C’est ainsi que nous passâmes vingt-deux jours et autant de nuits à remorquer nos deux traîneaux, dans lequel nous avions nos vivres et objets indispensables, avec cette menace continuelle de tourbillons de neige impalpable, comparable à de la farine. Et c’est ainsi que nous arrivâmes à franchir les 800 à 900 kilomètres qui nous séparaient de Fairbank.
Une fois arrivés à Fairbank, vers fin avril, nos misères n’étaient pas terminées ! Obligés de nous installer dans un terrain vague, avec notre tente, comme seul abri, ayant presque épuisé nos provisions de bouche, il nous fallut nous contenter de la maigre pitance que l’on ne pouvait se procurer qu’à prix d’or (textuel). Après avoir quitté la riche Californie et sa fertile abondance, nous pouvions faire des comparaisons assez pénibles. Pour nous procurer un maigre repas, composé de haricots avariés, une tranche de jambon fumé et une tasse de thé, il nous fallait dépenser au moins trois dollars chacun (15 francs). Il est vrai que, d’autre part, ma bijouterie s’enlevait comme du « pain » et les bénéfices réalisés sur les bagues ciselées, particulièrement, me donnaient un énorme bénéfice. Donc, il y avait large compensation. Puis, j’achetai, avec des « bank-notes », dont j’étais assez bien fourni, de l’or aux prospecteurs qui trouvaient leur bénéfice à ne pas courir les risques de l’envoyer à San-Francisco. J’avais trouvé un filon !
Pendant ce temps, mes trois compagnons, découragés de voir les difficultés de toutes natures qui les empêchaient d’exercer pour leur compte leur métier et n’ayant pas les énormes capitaux utiles pour procéder à des extractions, n’eurent que la ressource de se mettre simples ouvriers au compte des autres. C’est ainsi que je les perdis de vue.
Quelques mots sur les mœurs et coutumes de la population cosmopolite, qui composait alors Fairbank, ville d’à peine 1500 habitants, en comptant même les environs.
Il faut dire qu’il n’y avait guère qu’une année que ces gisements aurifères avaient été découverts, aussi était-ce plutôt un embryon de ville, où le whisky coulait à flot et les maisons de jeu surgissaient de toute part, mais où les vivres et les objets de nécessité étaient, à cette époque, presque inconnus et atteignaient ainsi des prix exorbitants.
Ces maisons de jeux étaient alors en pleine activité, tenues en général par des individus peu scrupuleux et payés par les tenanciers de ces bars où l’alcool régnait en maître.
Le baccarat et le pocker étaient alors les jeux les plus en faveur et ces « grecs » savaient drainer l’or abondant dans leurs poches et dans celles de leurs complices.
Qu’on se figure plusieurs tables de jeu, tenues chacune par un « croupier ». En arrivant, le joueur devait verser sur la table l’or qu’il avait l’intention d’exposer, après cependant qu’on le lui avait pesé. Et comme il arrivait presque toujours que le pigeon, après alternatives de gain et de perte, devait être plumé, le tas d’or grossissait toujours et servait d’appât à ces prospecteurs qui « nageaient dans l’or ». D’ailleurs, ces maisons de jeux, qui apparaissaient dès l’ouverture d’une mine, étaient alors une plaie, un chancre, qui heureusement devait disparaître quelques années plus tard.
Il n’était pas rare de voir, dans des villes comme Seattle, point de départ et d’arrivée des prospecteurs, des fortunes entières se volatiliser dans ces tripots ; l’ouvrier, le commerçant même y laissait son gain et il arrivait souvent qu’un individu, parti avec l’intention d’aller prospecter ou commercer dans ces pays neufs, n’avait pas besoin de s’embarquer le lendemain, ayant perdu en une nuit tout ce qu’il possédait.
Mais, il ne faut pas nous éloigner de notre sujet.
Inutile de dire au lecteur que je ne me laissai point séduire par ce faux mirage. Lorsque j’eus visité tous les gens de Fairbank et des environs susceptibles de m’acheter mon or manufacturé, ou plus exactement me l’échanger contre de bonnes pépites, je m’en fus à 40 kilomètres de là, à Domekrick, au moyen d’un petit chemin de fer à voie étroite ; ce pays était principalement habité par des Russes, Norvégiens et Finlandais, des hommes durs à la fatigue. C’est dans ce pays de Domekrick, que je vis lyncher un individu pour avoir simplement volé un pantalon. Le lynchage était alors à peu près la seule police efficace à cette époque et était d’un usage courant ; aussi je ne rapporte cet exemple qu’en raison du peu d’importance du vol, qui valut à son auteur d’être pendu et j’en fus le témoin.
Le jugement fut rendu par sept mineurs, érigés en juges. Quatre étaient pour la pendaison ; ce fut cette majorité qui prévalut !
Je n’avais plus aucune marchandise à vendre depuis mai de cette année 1902, et il m’était impossible de songer à me ravitailler. Aussi, après avoir converti mes marchandises et bank-notes en or du pays, n’avais-je plus qu’une chose à faire : profiter de la fonte des glaces du Yukon et du bateau faisant le service jusqu’à son embouchure pour quitter cette terre glacée. C’est ce que je fis en juillet ; mon voyage se fit sans incident, ainsi qu’à la précédente expédition, et nous débarquâmes à Saint-Michel.
Mais là, il fut conseillé à mes compagnons de route et à moi-même de ne pas aller nous embarquer comme précédemment à Nome (point de départ de la ligne Seattle-San- Francisco, pour la raison que je vais succinctement expliquer.
Des journaux, d’accord avec les Compagnies de navigation, avaient laissé filtrer des nouvelles à sensation, faisant croire que de nouveaux gisements aurifères venaient d’être découverts à Nome, sus-indiqué.
Aussitôt, une ruée formidable s’y était aventurée et, en ce moment même, environ trois mille individus affamés erraient à l’aventure et risquaient fort de mourir de faim, s’ils n’étaient pas rapatriés au plus tôt. Car les mines d’or étaient un ignoble mensonge pour attirer, sur les bateaux de ces puissantes Compagnies de navigation, de nombreux passagers. Il était donc imprudent à nous, ayant chacun une petite fortune comme bagages, de s’aventurer dans ce pays.
C’est là qu’il me fut donné de voir une seconde fois le soleil de minuit et d’assister aux ébats de milliers de requins qui nous guettaient, eux aussi, lorsque pour éviter Nome, nous fûmes transbordés en pleine mer, de notre petit bateau du Yukon dans le navire qui devait nous conduire à Seattle. Notre retour par Seattle puis San-Francisco se passa normalement et j’appris par la suite que le gouvernement ' -américain avait fait rapatrier avant l’automne tous ces malheureux échoués à Nome. |
Chapitre XXIII |
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Mines de cuivre de Jérôme
Fin 1902. |
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De retour à San-Francisco, où je fis monnayer l’or rapporté de l’Alaska, je résolus de passer mon hiver tranquillement, dans ce climat sain de la Californie, qui peut se comparer en hiver à notre Côte-d’Azur ensoleillée. Je descendis par le sud-est dans l’Etat de l’Arizona et j’allai visiter la curiosité qui attire de nombreux touristes au Grand-Canyon, capitale de cet Etat. Dans les environs de la ville se trouvent les vestiges d’un ancien fleuve desséché, qui coulait à une époque préhistorique entre des rangées d’énormes rochers en surplombant les rives. Ce lit de fleuve à sec sert actuellement de but de promenade et les rochers abrupts qui en font les parois ressemblent un peu à nos alignements de Carnac, en Bretagne.
On trouve encore dans ces parages quelques tribus de Peaux-Rouges, remontées du Nouveau Mexique, mais ces peuplades sont en décroissance et tendent à disparaître.
Je voulus essayer d’assister à une fête ou plutôt à des réjouissances données par cette tribu de Peaux-Rouges en me servant de prétexte de leur offrir des articles.de bijouterie mais il me fût absolument défendu d’en approcher ; sous aucun prétexte ils ne tolèrent l’intrusion, du « blanc » chez eux, n’ayant sans doute pas à se louer de ses procédés.
Tout ce que je pus savoir, c’est que ce jour-là, pour corser la fête, ils mangèrent du chien ! ! !
Je quittais ces parages pour aller un peu plus loin, à Jérôme, visiter des mines de cuivre. Dans cette ville une fumée âcre et nauséabonde prend à la gorge le visiteur. Le système de fonderie est assez, rudimentaire ; Il consiste à broyer, en premier lieu, par des machines de forte puissance, dénommées «moulins», la roche mélangée au minerai ; puis de wagonnets transportent à quelques kilomètres de là les morceaux broyés, alors pas plus gros que des cailloux ; tous cela mélangé de soufre est déversé sur des bûches de bois auxquelles on met le feu ;ceci pour obtenir l’éclatement du cuivre d’une part, de la roche, de l’autre et, comme ces brasiers ont des longueurs d’au moins un kilomètre, il se dégage une fumée âcre, nauséabonde et des lueurs vertes d’un singulier effet, qui proviennent de la combustion du soufre.
C’est généralement des Mexicains qui travaillent dans ces fonderies, qui sont les plus importantes de tous les Etats- Unis, en raison de leur rendement en cuivre. Etant sur place, il me fut donné d’assister à une terrible explosion, dans la partie réservée au cuivre en fusion. Un immense chaudron éclata avec son contenu et j’assistai impuissant à cette scène horrible ; je vis un homme couvert de matières en ignition « flamber » comme une allumette. Plusieurs autres ouvriers furent plus ou moins grièvement brûlés. Mais il faut croire que ce spectacle était banal et fréquent, puisque je rencontrai plus loin le contremaître à qui on avait appris l’accident, qui plaisantait avec un autre-ouvrier !
Dans ce pays, la vie d’un homme est comptée pour bien peu de chose ! J’appris que ces mines de cuivre appartenaient à un sénateur Clakc, le roi du cuivre, possesseur de nombreuses autres mines de cuivre.
De l’Arizona, je passai, dans l’Etat voisin du Nouveau Mexique, dont la capitale est Santa-Fé, et berceau des Peaux-Rouges ; il n’y a plus guère que quelques centaines de ces indigènes qui habitent un endroit appelé « la Réserve », où ils vivent, tout à fait en dehors des lois et des coutumes américaines : personne n’a le droit d’aller les déranger.
Certains Peaux-Rouges se sont civilisés et sont mêmes employés soit au chemin de fer, soit dans, les administrations. C’est ainsi que la pure race ancienne disparaît chaque jour un peu plus.
C’est dans ces parages de Santa-Fé que je fus témoin d’un phénomène bizarre, peu connu certainement. On marche pendant des kilomètres sur des perles ! c’est-à-dire sur de petits grains d’un minerai noir, brillant, gros comme des petits pois, les uns ronds, les autres ovales ou allongés ; d’un curieux effet.
Je demandai des renseignements sur ce phénomène. Il me fut expliqué que ce minerai provenait décrochés, broyées par d’anciens volcans et que la mer venait à cette époque préhistorique jusque dans ce pays intérieur ; cela expliquait l’arrondissement successif et l’usure presque complète de ce gravier noir.
Et ce qui donnerait créance à cette explication est que toutes les provinces qui se trouvent le long du golfe du Mexique sont ensablées ; partout du sable et conséquemment des régions entières sans aucune végétation. L’eau s’y trouve excessivement rare et il arrive que ce soit le chemin de fer qui est chargé avec des réservoirs d’alimenter en eau certaines agglomérations. Le Texas est L’Etat la plus vaste des Etats-Unis ; pour s’en rendre compte prenons comme comparaison, il est aussi grand à lui seul que la France et l’Allemagne réunies. A l’Est, à un endroit dénommé Beaumont, on venait de découvrir des puits de pétrole. Il est fâcheux que je n’eusse pas l’inspiration alors d’en acheter quelques actions, car d’autres, mieux avisés que moi, obtinrent un intérêt fantastique. |
Chapitre XXIV |
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Tourisme |
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De là, toujours pendant cet hiver 1902-1903, je me rendis dans la Louisiane, moitié en touriste, et quelquefois en offrant de ma bijouterie. La capitale en est Bâton-Rouge, petite ville peu importante ; rien de remarquable.
La ville intéressante, sur le Mississipi, est la Nouvelle-Orléans, placée comme Bordeaux, assez loin de la mer, mais avec l’embouchure de ce fleuve assez vaste pour laisser remonter les navires de gros tonnage.
Cette ville de 200.000 habitants est essentiellement de mœurs et coutumes françaises. On y parle un vieux français fort réjouissant ; les nègres même parlent notre langue. La fièvre jaune autrefois y demeurait à l’état endémique, mais de grands travaux d’assainissement furent faits et, à l’époque où je m’y trouvais, toute trace en avait disparu.
Nous parlerons un peu des mœurs du pays et surtout de la distinction bien marquée entre Blancs et Noirs.
Si, dans le nord des Etats-Unis, les deux races tendent à se confondre, il n’en est pas de même dans ces régions au sud.
Là, une ligne de démarcation est nettement tracée. Il y a des restaurants pour les Noirs, qu’aucun Blanc ne fréquente, dans les trains, des wagons spéciaux sont mis à la disposition des Nègres et il leur est interdit de monter dans d’autres compartiments ; d’ailleurs, ils seraient vite expulsés. Partout où se trouve l’homme blanc, le Noir s’abstient de s’y rendre. Ils sont considérés comme d’une race inférieure et le fait est que, malgré l’abolition de l’esclavage, ce sont les Noirs qui remplissent les rôles subalternes de domestiques et, quoique d’une mentalité fruste, s’attachent aux maîtres chez lesquels ils sont bien traités. Les négresses surtout s’attachent à des familles et restent à leur service toute leur vie. Le nègre d’Afrique, facilement reconnaissable à ses cheveux crépus et à ses lèvres lippues, fut transplanté en Amérique alors que les Anglais étaient les possesseurs de l’Amérique du Nord. Les négriers, marins chargés de ce recrutement, firent pendant de longues années ce commerce lucratif, tant que l’esclavage fut toléré. La question a été étudiée par des auteurs spéciaux, aussi n’ai-je pas à en faire l’historique, qui nous écarterait de notre sujet.
Le fait certain est que le Yankee actuel considère le Noir comme une espèce de singe et qu’il ne se fait pas faute de le molester chaque fois que l’occasion se présente.
Dans cette région du sud, principalement, ils sont considérés comme des bêtes de somme ; les ouvrages les plus grossiers leur sont réservés ; manœuvres, hommes de peine, terrassiers ou domestiques sont à peu près les seules carrières qui leur sont ouvertes, et si quelques nègres plus intelligents que leurs semblables sont parvenus à devenir médecins, avocats ou commerçants, ce n’est qu’après s’être expatriés en Europe et après avoir subi maintes avanies qu’ils sont tolérés dans les centres comme New-York ou autres villes du nord.
De terribles rancunes couvent chez certains Noirs qui ont eu à souffrir de l’injustice et de la méchanceté du Blanc. La loi de lynch leur est appliquée avec rigueur, mais souvent ils savent se venger terriblement.
1903.
C’est au printemps de 1903 que je remontai le Mississipi pour me diriger sur Saint-Louis, dans l’Etat du Missouri. Il existe de nombreuses lignes de chemin de fer qui y aboutissent venant de la Nouvelle-Orléans et en outre un service de bateaux à vapeur qui remontent le Mississipi.
Saint-Louis était alors une ville de 300.000 habitants environ ; ville tranquille, très commerçante, possédant de nombreuses manufactures et centre important de nombreuses lignes de chemin de fer.
Puis, j’ai continué mon circuit sur l’ouest, dans l’Etat de Kansas, pays de grande culture où le blé, le maïs se récoltent en abondance.
De là, j’ai continué ma route par le Colorado, déjà visité, ainsi que l’Utah et l’été se passa pour moi sans incident.
Revenu à Sacramento en automne, je pris mes quartiers d’hiver à San-Francisco, qui positivement m’attirait par son doux climat et la vie bon marchés. C’est à San-Francisco que je déposai, entre des mains du Consul de France mon livret militaire qui ne me fut jamais rendu, pour,1a raison que le tremblement de terre de 1906 devait l’anéantir.
C’est là où je rencontrai nombre de compatriotes. A l’hôtel de France, où j’étais ; descendu, ce fut un Parisien, du nom de Savart, qui m’accueillit de son mieux.
Moyennant le prix invraisemblablement bon marché de 3 fr.75 de notre monnaie je pouvais disposer d’une pension journalière complète, c’est-à-dire une chambre confortable et trois repas par jour. Et quels repas ! ce que l’on ne servirait pas actuellement en France pour 10 francs. Vin à volonté, café et liqueur compris. C’était fantastique, et le plus curieux c’étaient les restaurants tenus par des Japonais qui y faisaient la concurrence de repas aussi copieux, au prix fixe de dix sous ! Cela peut sembler invraisemblable, mais je l’affirme énergiquement, puisque j’en ai profité moi-même, un vrai pays de cocagne.
D’ailleurs, j ’en ai déjà parlé dans les chapitres précédents, et mon insistance fera comprendre au lecteur combien je m’y trouvais attiré.
Avec cela, des excursions splendides à faire aux environs. Puis cette curiosité sans cesse renouvelée du mouvement d’innombrables bateaux entrant et sortant du port.
C’est donc en bon rentier que je passai cet hiver 1904.
Mais, au printemps de 1904, je fis comme les hirondelles, me réapprovisionnai d’un bon stock de bijouterie et remontai sur le Nord, en traversant l’Oregon, pays aussi fertile que notre Normandie, avec pâturages et élevage.
Puis je repassai, à Seattle, point de départ de mes précédentes expéditions, je visitai les mineurs occupés à extraire du charbon dans des mines très importantes je vis également les mines de quartz de Monte-Cristo, et tout en plaçant avec profit ma bijouterie, mon été se passa dans ces régions. |
Chapitre XXV |
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Exploitation de bois
Automne 1904. |
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Je me dirigeai cette fois pour passer mon hiver, non pas en Californie, mais je remontai sur le nord et traversai les frontières des Etats-Unis, pour arriver dans la Colombie anglaise, à Vancouver, où j’étais venu dans le début, mais dont je n’avais pas exploré les environs.
Partout, il existe des forêts immenses appartenant à l’Etat et chaque année d’Etat vend à de puissantes Sociétés des lots importants de ces arbres, dont quelques-uns sont gigantesques.
C’est l’hiver que ces arbres sont abattus, avec des scies. En général, ils sont sciés A hauteur d’homme, ou lorsque le billot est par trop volumineux ou que le tronc de ces arbres énormes est endommagé par la mousse ou la vieillesse, on construit des échafaudages pour le scier quelquefois à 3 mètres du sol. Donc, une fois ces arbres abattus, c’est par traîneaux sur la neige durcie qu’ils sont transportés auprès du lac ou de la rivière la plus proche. Lorsqu’une rivière est proche, le moyen le plus simple employé est de faire-suivre au fil de l’eau, un par un, ces arbres. Le seul inconvénient est qu’aux endroits des rapides, ils peuvent se heurter sur quelque rocher émergeant de l’eau et s’accumuler bientôt en un tel monceau que cette obstruction pourrait, en certains cas, faire sortir la rivière de son lit et en changer le cours.
C’est alors que l’on emploie la dynamite pour dégager la voie fluviale.
Lorsque ces arbres abattus sont dirigés au bord d’un lac, on organise des trains de bois. Que l’on se figure un immense encadrement d’arbres, reliés par des chaînes et dont l’intérieur est garni d’autres arbres serrés les uns contre les autres et maintenus par ce cadre. Que l’on trouve une rivière au bout du lac, une simple chaîne défaite permet à tout le bois encadré de filer à la queue leu leu comme il est dit précédemment, et l’encadrement, remorqué habituellement par un vapeur, vient rechercher de nouveaux bois au rivage.
Ce sont principalement des Canadiens français qui sont chargés de ces travaux, qui demandent une habileté peu commune, et une adresse merveilleuse, pour éviter les accidents ou les fausses manœuvres.
Il arrive que souvent ces piles de bois font ainsi trois et quatre cents kilomètres par eau !
Lorsque ces arbres arrivent devant la scierie de la Compagnie qui doit les employer, voici comment on arrête leur cours vagabond et que l’on reconnaît à qui la pile appartient.
Levant chaque exploitation, il existe un chenal resserré où la pile doit fatalement passer. Ralentie par un freinage spécial, il est aisé de voir les lettres ou chiffres qui sont marqués sur chacune des pièces. Si la pièce de bois appartient à cette usine, elle est dirigée sur un warf où des grues puissantes la soulèvent de l’eau. Si, au contraire, l’arbre doit continuer son chemin, il est repoussé dans le milieu du courant de la rivière.
Ces arbres appartiennent, pour la plupart, à l’espèce du pin rouge; ils sont sciés dans la forêt même à une longueur de 4 à 5 mètres. J’ai vu de ces arbres atteindre jusqu’à 2 mètres de diamètre, puisque, étant à terre, je me trouvais entièrement caché derrière.
On exploite aussi le cèdre, mais ce sont les Compagnies de chemin de fer, pour leurs traverses ou encore pour remplacer la tuile ou l’ardoise. C’est un bois très résistant qui peut également faire d’excellents pilotis, puisqu’il durcit dans l’eau et ne se pourrit pas.
On emploie beaucoup de Chinois comme manœuvres, mais ils ne peuvent être utilisés que pour les gros ouvrages n’exigeant aucune adresse ; c’est pour cela qu’ils ne sont payés que moitié prix des Blancs. Leurs salaires mensuels est de 50 dollars, nourris et couchés, pour les Chinois, et 80 dollars, nourris et couchés, pour les Canadiens français.
Quant aux scieries, toujours construites au bord des rivières, il y en a qui emploient de cinq cents à mille ouvriers. - Ces scieries se composent de trois sortes de bâtiments bien distincts :
1° La scierie, qui s’occupe de débiter le bois vert en planches ;
2° Des chantiers dans lesquels des charpentiers et ouvriers spéciaux travaillent le bois et le convertissent en général en portes, fenêtres et même, maisons entièrement démontables ;
3° Les séchoirs, où il n’est pas rare de voir les bois rester pendant un an et dix-huit mois même avant d’être employés. ' Ces énormes troncs sont présentés devant une double scie circulaire, par de puissantes machines, et l’installation est faite de telle façon que l’ouvrier chargé de la direction du coup de scie peut faire tourner, virer et virevolter ces énormes billes de bois, comme nos marins manœuvrent sur nos cuirassés nos pièces de canon de marineTout marche à la vapeur ou à l’électricité.
De petits trains électriques conduisent le bois pour être scié, l’enlevant ensuite par planches, pondant qu’un « diable », espèce de main ou de bras en fer électrique, remplace autant que possible la main-d’œuvre de l’homme.
Quant aux planches ainsi débitées, elles suivent sur des rouleaux des directions différentes, suivant leur longueur, leur épaisseur et la qualité du bois ; tout cela se fait automatiquement.
Tous ces bois, ainsi transformés en portes, maisons ou meubles, sont expédiés sur des cargos qui viennent un peu de toutes les parties du monde ; les chemins de fer, dont des embranchements viennent jusque dans la scierie, se chargent également de tous ces bois manufacturés.
Le lecteur m’excusera de m’être étendu un peu sur ce chapitre de l’Exploitation des bois, mais ce que j’ai vu par moi-même, comparé à nos scieries de France, méritait, je crois, cette faible description. |
Chapitre XXVI |
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Mine d’or, modèle
Eté 1905. |
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Après avoir ainsi passé mon hiver dans les alentours de Vancouver et m’être ainsi documenté sur la richesse du pays, tout en offrant ma bijouterie aux ouvriers de ces scieries, je résolus de profiter des beaux jours pour refaire une excursion en Alaska, ainsi que je l’avais fait neuf années précédemment, mais dans des conditions bien moins pénibles et avec, cette fois, l’intention de vendre de la bijouterie fabriquée et non de chercher de l’or dans les entrailles de cette terre inhospitalière.
J’emportai donc, au printemps de 1905, un stock important d’articles susceptibles de se vendre couramment, en fis suivre une certaine quantité par l’intermédiaire de cette Compagnie de transport « l’Express » dont j’ai parlé au moment de mon début du colportage.
Je partis seul et visitai plusieurs escales que fait le service de navigation sur la côte du Pacifique entre Vancouver et Juneau. Toutes ces côtes avaient été dans l’origine attribuées au Canada, mais le gouvernement des Etats-Unis les ayant trouvées assez riches au point de vue de la pêche du saumon, très florissante dans ses parages, se les était attribuées A nouveau.
Je visitai donc une grande partie de ces usines de conserve, non pas pour respirer l’odeur infecte qui s’en dégage, mais pour faire des affaires de bijouterie avec les ouvriers et employés de ces usines, Japonais ou Indiens-Esquimaux, pour la plupart.
J’arrivai donc à Juneau, qui est la terre ferme de l’Alaska, pour l’été de 1905. Je visitai, dans l’ale de Dukla, des mines d’or en pleine activité appartenant aux Rothschild de Londres. Quoique d’un faible rendement, on pouvait en extraire la quintessence, en raison des machines perfectionnées qui s’y trouvaient employées.
Là, des tranchées de six à sept cents mètres d’ouverture,
sur six cents mètres de profondeur, laissaient apercevoir la roche à nu.
Des machines à air comprimé perçaient des trous de mine chargés ensuite de dynamite c’est ; ainsi que l’on faisait sauter à volonté d’immenses quartiers de roches, que d’autres machines broyaient et arrivaient successivement à réduire en poussière .impalpable, comme de la farine.
Les moulins, les perceuses, les pilons,au .nombre d’un millier, pesant plus de cent kilos chacun, .étaient mus ,par la .vapeur ou l’électricité et le bruit .qui se dégageait de cet enfer était Indescriptible.
Avec cela, des accidents nombreux; on négligeait de boiser les puits creusés, d’où des éboulements fréquents, qui ensevelissaient les ouvriers occupés en bas. Mais cela passait dans les « profits et pertes ». Il n’y avait ni syndicat, ni cohésion parmi ces hommes frustes, tous célibataires, qui faisaient bon marché de leur vie.
Les trois moulins fonctionnaient nuit et jour par deux équipes se relayant chaque douze heures. Quant à la mine, les ouvriers n’y travaillaient que dix heures, également en deux équipes, de façon à laisser entre-temps évaporer les gaz accumulés.
Cinq mille ouvriers étaient employés dans cette mine, chaque manœuvre gagnait .3 dollars et les spécialistes, Autrichiens du Tyrol pour la plupart, chargés de la manipulation de la dynamite, avaient quatre dollars par jour et se logeaient et se nourrissaient à leur compte, dans des cantines appartenant à la Compagnie.
Je terminerai cette rapide description de ce que j’ai vu par moi-même, en expliquant en quelques mots comment l’or était recueilli.
Lorsque ces moulins avaient réduit le quartz aurifère en une poussière fine, tout ce résidu passait dans de vastes réservoirs remplis d’eau et coulait doucement sur des toiles caoutchoutées.
En ayant soin d’y mélanger du mercure, qui dissolvait l’or en poudre, et le mercure, plus lourd-que de sable, restait collé au caoutchouc ; c’est par ce moyen efficace que d’on obtenait le meilleur rendement. |
Chapitre XXVIII |
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A Retour de l’Alaska |
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Nous quittâmes donc ce fort hospitalier au bout de quinze jours,, c’estrà-dire dans le commencement de l’année 1906, après, avoir pris un repos bien gagné. Puis nous voilà à nouveau lancés sur la neige avec nos traîneaux à l’aventure, quoique notre chemin fût assez facile à repérer, avec les poteaux télégraphiques qui sillonnaient notre route.
Mais le froid devint terrible, à tel point que, malgré les plus sérieuses précautions, l’un dé nos compagnons mourut de froid une nuit, sans souffrance, sans même que nous nous en apercevions. II gela ! Une semaine* s’écoula encore* et nous eûmes à déplorer* la nouvelle perte* de* Fun des télégraphistes qui, lui aussi, ne se réveilla pas. Je me souviens encore que, chargé la veille de notre approvisionnement en combustible, il riait et chantait et était loin de se douter de sa fin aussi prochaine. Vers 3 heures du matin, un léger cri. H était mort ! Cela eût dû me donner à réfléchir et me faire regretter amèrement de m’être lancé ainsi à l’aventure. Cependant, il n’en fut pas ainsi. Jamais le moral ne fut plus solide, et je ferai remarquer au lecteur que je revenais n de Dawson City avec une « ceinture » bien garnie !
Je ne parlerai que comme mémoire de ces rafales de neige qui nous obligeaient de nous abriter des journées entières ; au mois de janvier, il ne faisait guère plus jour le jour que la nuit ; torches de résine ou chandelles devaient nous suffire pour éclairer notre route.
Il est évident que les souffrances endurées n’étaient pas à comparer avec celles de la précédente expédition de 1896, où nous n’avions rien que nos bras, pour nous tirer d’affaire, et nous allions alors à l’aventure ; tandis que cette fois-ci nous descendions vers des régions moins inhospitalières, avec un moyen de transport rudimentaire, certes, mais enfin moins pénible que la marche à pied.
C’est ainsi qu’au bout d’un mois de voyage sur la neige, nous aperçûmes le fort John, un peu plus important que le précédent, mais toujours habité par des Esquimaux et par une autre Mission catholique, dont une partie se trouvait dispersée dans le territoire environnant.
Ce fort était également ravitaillé par la Compagnie d’Hudson Bay et c’est au fort même que nous pûmes camper, sous notre tente, bien entendu.
Trois ou quatre cents Esquimaux vivaient également comme des troglodytes ; leur type est assez uniforme. Petits, trapus, presque imberbes, d’une couleur jaunâtre, la peau un peu huileuse et la figure aplatie, cheveux jaunâtres.
Le Père Larivière, chef des missionnaires, me donna aussi quelques aperçus sur les mœurs et le caractère de ses « paroissiens >.
Assez dociles, craintifs même, ils se laissaient assez facilement convertir à la religion catholique, mais leur compréhension primitive leur fait confondre souvent religion et superstition.
Ainsi, après avoir religieusement écouté la messe, venus même d’assez loin dans ce but, il n’était pas rare que l’un d’eux, pris de faiblesse, ou miné par la maladie, fût considéré par ses compagnons comme possédé du démon, et mis à mort, sans autre forme de procès, .
Cette coutume était tellement implantée dans leur cerveau épais, que les missionnaires n’avaient jamais encore pu leur faire comprendre raison.
Jusqu’à présent, nous avions remarqué que les rivières suivaient le cours du sud au nord, en prenant leur source dans ces Montagnes Rocheuses que nous avions eu le soin de contourner.
Lorsque nous repartîmes, au bout de deux jours de repos, de ce fort John, nous fîmes la remarque que les rivières, quoique gelées en cette saison, suivaient leur cours du nord au sud et c’est de ce moïnent que nous constatâmes un froid moins vif dans la région.
Cette troisième partie de notre voyage fut d’ailleurs bien moins pénible ; nous nous dirigeâmes, en suivant le cours de la rivière de la Paix, du côté de la Colombie anglaise, dans la direction du Fort Georges, grosse tribu d’indiens, avec de nombreux missionnaires.
Nous y demeurâmes quelques jours et c’est là que nous fîmes la connaissance de vrais Indiens, qu’il ne faut pas confondre avec les Esquimaux dont nous avons parlé plus haut. Ce ne sont ni les mêmes mœurs, ni la même langue, ni la même physionomie. Ce sont en général de beaux hommes, grands, bien découplés, couleur de la peau plus cuivrée, les cheveux noirs, ressemblant assez à du crin de cheval.
Fort Georges, depuis mon passage, est devenu une grande ville, où le Transcontinental du Canada, ligne de chemin de fer, passe actuellement. Pour notre retour, toutes difficultés se trouvèrent aplanies ; nous nous servîmes de nos traîneaux pour descendre la rivière Fraeser, alors gelée jusqu’à Much-Chanel, et nous nous séparâmes à Alokroff ; je passai par Much-Chanel, où j’étais allé douze ans précédemment et me dirigeai du côté de Butte-Montana. |
Chapitre XXIX |
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Butte-Mantana — Elévateurs
Février 1906 |
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Me voici donc de retour à Biltte Montana; ou j’avais passé quelques années auparavant et où je m’étais bien promis de revenir. Non pas que le pays soit comparable à la Californie, mais en raison de l’abondance de l’argent et de la facilité des affaires.
Je choisis donc dans le centre de la ville, un magasin bien situé et m’y installai avec un stock important de coutellerie et tous objets s’y rattachant. Il faut croire que je m’y trouvai bien et fus content de mon chiffre d’affaires, puisque j’y demeurai jusque dans le courant de l’année1909.
J’eus la chance de ne pas avoir de concurrent dans mon quartier et en outre, de trouver, pour me seconder, un Américain d’une grande honnêteté et dont je n’eus qu’à me louer par la suite.
Il était d’usage, dans ce pays, d’avoir les magasins ouverts nuit et jour ; car toutes les mines de cuivre du pays n’interrompent jamais leur travail ; ce qui fait que les équipes d’ouvriers, faisant huit heures sur vingt-quatre, se succèdent sans interruption et que les rues de la ville sont aussi animées la nuit que le jour.
Dans ces nombreuses mines de cuivre qui font la richesse du pays se trouve occupée presque toute la population homme de Butte-Montanar
Sur quarante mille habitants plus de douze mille mineurs travaillent dans les puits dans les fonderies, cinq ou six mille ouvriers.
Etant tous syndiqués, tous ces travailleurs obtiennent un salaire de quatre à cinq dollars par journée de huit heures et comme a majorité est célibataire, ils dépensent leur paye un peu au jour le jour.
C’est ainsi qu’ils divisent leur temps : huit heures de travail, huit heures de repos et huit heures pour dépenser leur argent.
Dans ces conditions, le commerce fait de fructueuses recettes, ce dont je m’aperçus pour ma part.
Mais des maisons.de jeux et tripots tolérés, à cette époque, leur ramassaient le plus clair de leur gain. On comptait alors une vingtaine de maisons de jeux et dans chacune huit ou dix tables en pleine activité.
Je ne reviendrai pas à nouveau sur la description de ces mines de cuivre dont j’ai indiqué le type dans un chapitre précédent ; mais j’insisterai sur cet inconvénient de mélange de soufre au combustible rendant l’air de la ville presque irrespirable et empoisonnant les arbres des forêts à plus de dix kilomètres à la ronde tous ces arbres étaient, secs. Aussi, les commerçants ne restaient' guère plus de huit à dix ans dans ce pays; et il fallait des tempéraments solides pour que les ouvriers et mineurs puissent travailler dans cette fournaise infecte.
Tout le charbon et le coke servant à alimenter ces hauts fourneaux proviennent de Montana, tout proche, où les mines de charbon sont en abondance. Sans ces fumées acres, et nauséabondes, le pays, quoique assez froid serait sain et sec. On y élève quantité de moutons dans le nord.
C’est dans le courant de l’année 1907 que j’écrivis, à tout hasard, à mon ami Joseph Bènett, pour lui donner de mes nouvelles et en même temps savoir si son claim avait pris de l’extension ou périclitait. Et le plus bizarre est qu’il était persuadé que j’avais trouvé la mort au retour de cette expédition de l’Alaska ; il s’était sans doute créé une confusion regrettable entre l’un de mes compagnons de route et moi puisque le bruit était parvenu à Dawson City que j’étais bien l’un des deux hommes qui avaient péri par de froid..
Cela avait donné lieu à des confusions telles que, voulant vendre, son cdaim il lui fallut obtenir une procuration dans mon pays d’un, de mes héritiers éventuels, pour pouvoir effectuer cette vente.
Donc, à ce moment; tout le monde me croyait mort dans mon village natale C’est un peu cette idée qui me donna à ce moment l’envie, de revoir la France et je résolus, dans l’été de 1909, de vendre ma marchandise, quoique les affaires fussent en pleine prospérité.
C’est à mon employé, qui s’associa à un bailleur de fonds, que je vendis et cédai mon magasin.
Me voici donc libre, débarrassé de mes marchandises en bloc, toujours célibataire et respirant à plein poumons l’air pur des provinces du Nord-Ouest.
C’est ainsi que, avant de m’embarquer pour la France, je visitai en touriste les riches plaines de blé des provinces d’Alberta, Saskatchewan et Manitoba. Quoique le climat y soit très froid, les terres y sont d’une telle fertilité, qu’il n’est pas rare de voir du blé semé en juin être récolté à la fin d’août, après 90 jours, tout au plus.
Ce qu’il y a à craindre, ce sont les gelées nocturnes fréquentes et l’apparition des premières neiges avant que les récoltes ne soient rentrées.
La récolte est donc très variable ; mais, lorsque la chance veut qu’elle réussisse, elle peut compter pour deux.
Il faut dire qu’en été le soleil luit jusqu’à dix-huit heures par jour et qu’il est impossible de se faire une idée de la richesse de ce sol tout neuf. On s’y livre à la grande culture ; aucune comparaison ne peut être établie avec nos cultures de France, comme étendue, et la main-d’œuvre est presque remplacée par les machines-outils qui fauchent, lient et battent toutes ces gerbes.
Ce sont de puissantes Compagnies, possédant des élévateurs, qui sont en général propriétaires de ces immenses étendues de terrain défriché et devenu cultivable. Autrefois, le fermier dépendait entièrement de ces puissantes Compagnies et vendait son grain au prix qui lui était fixé. Mais depuis que les fermiers se sont groupés, ils en trouvent un prix plus rémunérateur et, au besoin, conservent leur blé chez eux, si la demande n’est pas raisonnable.
C’est en hiver que les fermiers transportent ces blés récoltés, après avoir été pesés par sacs de soixante livres et payés suivant la qualité argent comptant, dans des réservoirs ou élévateurs appartenant à différentes Compagnies. Puis des trains entiers viennent ensuite se charger automatiquement et se dirigent vers les centres de réception de
ces blés, qui sont Fort William et Port-Arthur, où existent à quai des lacs, d’immenses élévateurs qui reçoivent le blés. Pour donner une idée de l’importance de ces élévateurs, trois trains de 50 à 60 wagons chacun peuvent déverser en même temps dans des récipients ad hoc tout leur chargement. Puis, ce grain est remonté à l’aide de courroies sans fin, munies de godets, à la hauteur ou à la distance que l’on désire, de manière à charger un navire qui peut aborder à quai, et qui, en été, les glaces fondues, se rend ainsi dans toutes les directions, mais en Europe principalement.
Certains de ces élévateurs peuvent renfermer jusqu’à un million et même deux millions de ces sacs de blé de soixante livres. Inutile de dire que tout fonctionne à l’électricité ou par l’air comprimé. Ces élévateurs modèles appartiennent à de puissantes Compagnies, et servent de centre d’approvisionnement pour le monde entier.
Depuis il s’est construit, à Montréal même, de ces élévateurs encore plus importants, avec une machinerie et installations du dernier modèle. C’est d’ailleurs à Montréal que les gros navires peuvent être chargés pendant l’été, car plus loin le tirant d’eau est trop faible pour les recevoir. |
Chapitre XXX
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Antoine Cécillon |
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C’est à cette époque (été de 1909) que je résolus, avant •de faire mon voyage en France, de rechercher et retrouver -surtout les circonstances qui avaient précédé la mort de mon excellent ami Antoine Cécillon.
A cet effet, je me rendis dans l’état d’Ontario, près des bois de Raportage, où je retrouvai aisément des témoins suisses et canadiens, qui purent me donner tous les renseignements dont j’avais besoin, ainsi que les autorités qui avaient recueilli sa succession.
Voici ce que j’appris : Douze, années auparavant, ce pauvre Antoine Cécillon venait de Manitoba travailler à une construction et faire des coupes de bois. Il avait trois hommes avec lui. Après avoir construit les huttes nécessaires pour leur campement, il arriva que certain soir, il se chargeait de venir à Raportage pour chercher des provisions.
Trompé par l’obscurité ou par le mauvais temps, Antoine perdit son chemin et se trouva égaré en pleine nuit et en fin de novembre dans quelques rafales de neige, ne sachant plus où se diriger.
Ses traces turent relevées au bord d’un marais gelé sur la glace duquel il s’était aventuré mais n’avait pas continué plus avant, la glace s’étant rompue. Il put se dégager une première fois de cette mauvaise position, mais il dut sans doute s’obstiner à rechercher un chemin introuvable.
Toujours est-il que-ce ne fut que le lendemain que l’on découvrit son cadavre gelé au pied d’un rocher sur 'lequel il avait essayé de grimper.
Il était donc mort de froid, perdu dans la nuit, sans aucun secours possible. Les personnes qui le découvrirent ainsi ramenèrent son corps à Raportage, où la Municipalité lui fit des funérailles convenables, surtout après avoir constaté, d’après ses papiers, que sa succession pourrait en payer les frais.
C’est au cimetière de Raportage que j’ai visité sa tombe.
C’est par la voie des consuls ou vice-consuls que son frère François, qui travaillait à cette époque, d’une façon intermittente, aux mines.de Vancouver, fut avisé de la mort d’Antoine. Aussi, sans plus tarder, François, en présentant ses papiers d’identité, se fit remettre les reçus de la banque ou était déposé son argent. Quant à payer les frais dus pour l’enterrement d’Antoine, François ne m’en prit aucun ‘souci ; il 'toucha très facilement l’argent que son frère avait en dépôt en banque, et revint tranquillement dans son 'village natal, près de Lyon, jouir de cette petite fortune si facilement gagnée, mais, si peu scrupuleusement empochée.
Au commencement d’août 1909 je continuai mon voyage à North Bay (Ontario), puis je visitai les mines d’argent de Cobalt, mines les plus importantes du monde entier, sans me douter que Cobalt devait être mon futur quartier général.
De là, je me rendis à Montréal et pris le bateau pour revenir en France, d’où j’étais parti seize ans avant, débarquai au Havre et, sans m’attarder en route, me dirigeai, par Lyon, directement à Beynost (Ain), pour aller rendre visite aux parents de ce pauvre ami Cécillon, à qui je voulais raconter toutes les circonstances que je connaissais moi-même. Arrivé dans cette commune, j’appris que les père et mère de mon ami étaient morts. Je me-rendis à la mairie, où je rencontrai le secrétaire de la mairie, et c’est de lui que j’appris comment François, revenu au pays, avait raconté la mort de son frère. Il avait prétendu qu’Antoine avait été assassiné dans un train et dépouillé de son argent par des bandits !
Je ne crus pas démentir ces faits que je savais faux. Je ne dis rien au secrétaire de la Mairie ; j’évitai même de me rencontrer avec ce François, qui tenait alors un kiosque de journaux. Mon heure n’était pas venue !
Mais actuellement ces Mémoires rétabliront la Vérité exacte.
J’affirme, de la façon la plus formelle, que la narration ci-dessus est l’expression exacte de la vérité, que François Cécillon a touché intégralement la succession de son frère sans avoir la pudeur de rembourser au clergé et à la Municipalité de Raportage un sou des frais occasionnés par la mort de son frère Antoine. Et j’espère que cela sera connu ! |
QUATRIEME PARTIE
Chapitre XXXI |
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Voyage en France
Fin 1909. |
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Après avoir quitté le pays de mon défunt ami, je me dirigeai sur Thonon, d’où une voiture faisant le courrier me transporta à Lullin, dans mon pays, où tout le monde me croyait mort.
C’est ainsi que, venant à jeter les yeux sur les étiquettes de mes bagages, le conducteur, en y lisant mon nom, me regarda avec des yeux effarés, comme un revenant. Il me fallut lui donner quelques explications.
Je ne crois pas avoir dit que, dans mon esprit, ce retour à mon pays natal devait être définitif. J’avais quitté l’Amérique sans espoir de retour et, si les choses eussent marché à ma fantaisie, je pensais fonder une famille à Lullin et y demeurer jusqu’à la fin de mes jours.
J’avais été avisé du décès de mon père quelques années auparavant et, à part la correspondance échangée avec lui dans les premières années de mon séjour en Amérique, où je lui envoyais régulièrement des fonds, je n’avais plus aucune nouvelle du pays, depuis sa mort, c’est-à-dire depuis près de onze années.
Les jeunes avaient grandi, les vieux étaient morts et ceux qui m’avaient connu et qui existaient encore se rappelaient sans doute l’erreur judiciaire dont j’avais été victime puisque je pus constater combien l’accueil qui me fut fait était froid.
La maison paternelle était en ruines et l’on avait enlevé une partie du mobilier, puisque je trouvai l’intérieur presque vide. Ce fut pour moi un grand chagrin de constater que les gens du pays n’avaient même pas respecté le souvenir de mon père.
Bien mieux, parmi les quelques objets oubliés dans le pillage, je reconnus dans un coin un berceau qui nous avait servis lorsque nous étions tout petits enfants. Je me proposai de l’emporter comme souvenir.
Revenu trois jours après pour le chercher, je constatais avec angoisse qu’il avait également disparu !
L’enquête que je fis pour le retrouver ne donna, bien entendu, aucun résultat ; je trouvai les lèvres cousues.
Décidément je sentais une hostilité sourde et croissante contre moi ! Sur ces entrefaites, un boulanger des environs, m’offrit d’acheter les boiseries de la maison paternelle pour 120 francs. Mais je préférais alors donner ces ruines à un de mes proches !
Les cinquante jours que je restais à Lullin furent pour moi un long supplice ; je ne me souvenais pas, même dans les débuts de mon colportage avoir été aussi déprimé.
Ce fut pourquoi je quittais le pays sans regret. Puis je remontais sur Paris, de là au Havre, où je me 'rembarquais avec satisfaction pour les 'Etats-Unis.
En résumé, j’avais trouvé meilleur accueil sur une terre inconnue qu’auprès de mes compatriotes ! Je me rendis alors à Chicago, point de départ seize ans plus tôt, d’une petite fortune inespérée, puisque les 11 francs 75 que j’avais exposés m’avaient produit près de 300.000 francs, bien à moi, non sans, peine, il est vrai, et qu’en outre je parlais alors l’anglais couramment et connaissais à fond les ressources et la topographie de tous ces pays, aussi bien des Etats-Unis que du Canada. |
Chapitre XXXII |
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Epicerie – Epicière
1910. |
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Je me reposai deux mois et demi de mon voyage à Chicago.. C’est là où je me rendis acquéreur d’une machine inventée tout récemment qui affûtait les lames de rasoirs de sûreté.
Comme j’avais l’intention par la suite de continuer non seulement ma bijouterie, mais la coutellerie, qui m’avait donné toute satisfaction à Butte Montana, cette machine, à mon avis, devait être pour moi une source de profits nouveaux. En achetant cette machine, il fut convenu, avec la maison qui me la vendais, que je serais son seul agent général à Buffalo, Etat de New-York c ‘est pourquoi je me dirigeai sur cette importante ville d’alors sept à' huit cent mille habitants, avec l’intention de trouver un magasin pour vendre de la coutellerie et exposer en bonne place cette nouvelle invention.
Tout en cherchant dans le centre de la ville, j’avisais un magasin d’épicerie excessivement bien placé, au carrefour de quatre grandes voies sillonnées de tramways.
Je rentrai dans le magasin et après avoir attendu que la foule des acheteurs soit plus clairsemée j’exposai ' au patron d’objet de ma visite. Il consentit à me céder la place de suite, mais là seule condition que lui paye au comptant toute la marchandise qui garnissait sa boutique. On mit à la porte les clients, on fermât les volets, et, en une heure de temps, sans autres formalités que le témoignage d'un forgeron voisin, je payais comptant et sans marchander le prix qui me fût demandé.
Puis le magasin fût ouvert à nouveau et soit curiosité, soit besoin, jusqu’au soir, il ne désemplit pas de clients à qui je vendais cette "épicerie, au petit bonheur, au jugé, n’ayant jamais exercé ce métier.
Au moment de la fermeture du dit magasin une dame se présenta, insistant pour une . parler. Je la reçus. Elle se prétendit 1 la > femme t de » mon vendeur/ et -me - dit - qu’elle avait droit à la moitié du prix payé. Je me trouvais alors assez embarrassé, ne voulant pas débourser une nouvelle somme et trouvant cette démarche un peu tardive et incorrecte ; je crus devoir lui répondre que la vente avait eu lieu régulièrement dans la journée devant témoins et que je n’avais rien à régler avec elle. Elle me menaça d’aller trouver, le lendemain, un avocat et j’étais fort perplexe, quand j’appris heureusement pour moi qu’elle n’était pas mariée, mais simplement la maîtresse de mon vendeur.
Le lendemain l’affluence des clients fut telle, que je me trouvai absolument submergé, et profitai de l’heure du déjeuner pour aller supplier mon vendeur de me trouver quelqu’un pour m’aider.
Il m’envoya une femme d’environ quarante-cinq ans, qui était parfaitement au courant de ce genre de commerce, et dont je n’eus qu’à me louer au début. Mais je sentis que cette femme avait des vues sur mon célibat, et par la suite, son attitude changea complètement à mon égard, lorsqu’elle' vit que ses coquetteries étaient en pure perte en un mot quand elle comprit « qu’il n’y avait rien à faire avec moi ».
Cette femme, Miss Benett, avait des mœurs déplorables, ainsi que je l’appris par la suite : femme divorcée, elle faisait ou avait fait le passe-temps des avocats et hommes de robe, elle n’avait rien de caché pour les policiers et n’importe quel individu lui était bon, selon le caprice du moment. Aussi n’eussè-je qu’à m’applaudir de ma ferme résolution de rester « inébranlable » et, comme il n’était plus question alors de liquider le stock d’épicerie pour installer ma coutellerie, que les affaires marchaient à souhait, je pris une seconde employée, honnête, celle-là, non seulement pour aider à la vente, mais avec la mission de surveiller les doigts de Miss Benett, que j’avais lieu de me figurer être crochus.
J’achetai également une machine automatique à encaisser l’argent, avec vérificateur ; tout fut inutile. Elle avait l’œil à tout et les « fuites » ne firent qu’augmenter.
Beaucoup de familles d’ouvriers prenaient chez moi de l’épicerie à crédit et ne payaient qu’à la quinzaine Souvent il fallait aller chez eux pour en obtenir le paiement. C’est dans ces sortes de remboursements qu’elle excellait, pour mettre l’argent dans sa poche en prétendant que les clients avaient disparu.
Dans ces conditions, la vie n’était plus tenable, et, ne voulant pas faire un esclandre en la mettant à la porte, ce qui aurait ameuté le quartier contre moi, j’employai la ruse.
J’avais acheté en février 1910, nous étions en juin, même année ; j’allai retrouver mon ancien vendeur, le mis au courant de ma situation difficile et, comme c’était un brave homme, il ne profita pas de son avantage et sut reconnaître que son magasin avait pris de l’extension par mes soins. Aussi m’offrit-il de lui-même de le racheter à un prix raisonnable, et cette nouvelle opération se passa aussi discrètement et aussi rapidement que la première fois.
Mistress Benett ne s’aperçut de la transaction que lorsqu’elle fut régulièrement faite.
Je laisse à penser sa fureur contre moi ! Et cependant je ne lui devais rien. Ses appointements lui avaient toujours été régulièrement payés, et ses « vols » soigneusement cachés.
Mais c’est ainsi que l’on retrouve dans le monde entier, aussi bien en Amérique qu’en Europe, la logique féminine.
N’ayant pu trouver en moi la poire qu’elle croyait mûre à cueillir, elle fut persuadée, ou se persuada, qu’elle avait été trompée dans ses prévisions, et voulut se venger cruellement de moi.
A cet effet, elle alla me dénoncer à la Police, en affirmant que la machiné toujours emballée et cachée sous mon lit était pour fabriquer de la fausse monnaie !
Malheureusement pour elle, à la suite de la perquisition faite à mon domicile, il me fut aisé de démontrer que cette machine était tout simplement celle achetée à Chicago, pour affûter les rasoirs !
Si j’avais été aussi méchant' que cette maudite femme, j’avais entre les mains des faux, signés de mon nom par elle-même, sur des factures dont elle s’était appropriée la montant ; ces faux pouvaient la conduire loin, malgré la protection, de la police.
Je préférai n’en point parler, quittai mon épicerie avec regret, la Benett avec une satisfaction intense, en l’envoyant se faire pendre à tous les diables. |
Chapitre XXXIII |
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Mon mariage.
3 Juin 1910. |
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Je quittai donc Buffalo et, surtout cette mégère avec, une grande satisfaction et passai à nouveau au Canada, à Montréal, ville de sept à huit cent mille habitants, nouvelle pour. Moi0
Ma machine à. affûter y était totalement inconnue ; je me mis en devoir de chercher un magasin central pour.la placer on bonne posture, en lui adjoignant un stock important de coutellerie.
Je ne m’arrêtai pas au prix assez élevé, du magasin, que je découvris en plein centre de la ville, libre de suite et parfaitement bien, situé.
Je louai séance tenante, et me mis immédiatement à faire - une forte réclame pour, ma fameuse machine, à, laquelle j’adaptai un moteur électrique. Je, n’eus qu’à me louer des affaires et, au bout de quelque temps, je fis connaissance de mon voisin un Français, nommé Dupont, qui tenait un magasin d’armurier à côté du mien.
Ce Monsieur était depuis longtemps établi à Montréal, et avait beaucoup de relations. Je me sentais, d’autre part des dispositions au, mariage; étant arrivé à quarante-quatre ans, il était, en effet, grand .temps d’y songer.
Comme je l’ai dit dans un chapitre précédent, je voulais, avant de me créer une famille, être en mesure de là nourrir et d’élever les enfants à venir. J’étais alors dans cette situation d’un avenir assuré. Aussi, tout en causant de mes projets à mon voisin Dupont, ce dernier me mit en pourparlers avec une famille de Québec dont une des jeunes, filles pouvait, me convenir. La famille de cette jeune fille tenait un commerce d’épicerie et de confiserie en gros ; elle était très honorable et la demoiselle me plut. C’est ainsi qu’à partir d’octobre de cette année 1910, jusqu’à la fin de l’année, nous fîmes .plus ample connaissance et que le mariage fût décidé pour, fin janvier suivant.
Autrefois, rien n’était plus facile pour un Français, que de se marier dans nos pays neufs où la langue française est «en honneur » et le Français très bien accueilli. Mais, des abus des cas de polygamie furent constatés par la suite, et le clergé qui, là-bas, fait les fonctions d’état-civil, devint méfiant. En ce qui me concernais, je me trouvai dans un cas spécial.
Si j’étais demeuré soit aux, Etats-Unis, soit au Canada pendant. plusieurs années, sans discontinuer, et dans la même, ville, une enquête, eût été facile pour constater mon célibat.
Mais comme le lecteur peut le vérifier lui-même mon existence, jusqu’alors, avait été particulièrement errante et à part Butte-Montana, où. J’ai séjourné plus longtemps ma vie était un peu celle d’un oiseau sur la branche.
Je crus donc devoir m’ouvrir de ce cas spécial à un prêtre de la paroisse de ma future, à qui je racontai sincèrement mes aventures. Ce prêtre ne put que me présenter à l’archevêque de Québec, à qui je recommençai mon récit. Il faut croire que mon accent fut sincère puisque, après m’avoir fixé de ses yeux perçants, l’Archevêque consentit à faire publier mes bancs, sans autres papiers que ceux d’identité que je possédais sur moi.
Donc ce fut, ainsi que nous l’avions projeté, fin janvier 1910 que nous fûmes unis ; C’est ensuite que je conduisis ma femme à Montréal et au magasin. Nous étions en pleine lune de miel lorsqu'il’ nous arriva, quelques jours après, une aventure qui aurait pu-être tragique.
Heureusement que nous n’habitions pas dans la même maison que celle du magasin. Une nuit, nous fumes prévenus que notre magasin flambait ; Je sus par la suite, que le feu s’était communiqué d’une façon excessivement rapide et que ce n’était pas la première fois que le feu prenait chez ce propriétaire ; habitué sans doute à ces alertes, puisque je de vis; dans son magasin de plomberie, mitoyen’ ave le mien, tranquillement attablé avec son fils à boire le whisky aussitôt tout danger disparut.
Aucune poursuite ne lui fut d’ailleurs intentée puisque aucune preuve ne fut relevée contre lui mais le fait d’incendie volontaire est tellement fréquent que l’on peut juger sévèrement les propriétaires qui, pour s’enrichir, ne craignent pas à exposer à la mort des vies humaines. Ceux qui sont pris sont, comme chez nous, passibles des travaux forcés.
Bref, en ce qui nous concerne, étant assurés, après avoir bien bataillé avec la Compagnie d’assurances, qui ne voulait me payer que le minimum, si je n’eus pas la forte somme comme indemnité, j’eus la chance de vendre mes marchandises avariées aussi cher que neuves, car cet incendie m’avait fait de la réclame et chacun se figurait avoir de la coutellerie abîmée par la fumée ou par l’eau bien meilleur marché.
Ce que je ne vendis pas sur place, je le réunis en boîtes et m’en débarrassai facilement en allant faire des tournées aux environs de Cobalt.
C’est à cette époque qu’étant à Cobalt je trouvai un Polonais, voulant quitter le pays, qui me vendit sa maison toute meublée. Nous quittâmes donc Montréal pour venir habiter à Cobalt, ma femme et moi.
Mais nous n’y restâmes guère que quatre mois, ayant trouvé à me défaire d’une façon avantageuse de cette maison meublée.
Vers le 20 juin, nous allâmes, à l’occasion des fêtes de la Saint-Jean-Baptiste, à Québec, chez les parents de ma femme, où nous passâmes quelques semaines, puis à Toronto (Ontario), où ma femme voulait se trouver pour ses couches. C’est donc le 4 décembre de cette même année 1910, que j’eus un héritier. Nous avions encore acheté une maison toute meublée, mais cette fois assez importante pour louer mensuellement des chambres meublées.
C’est ainsi que nous vécûmes jusqu’au printemps de 1911, époque où je revendis la maison, mais conservai presque tous les meubles que je dirigeai sur Cobalt, où j’avais précédemment loué une maison.
Je fis venir à nouveau une provision de bijouterie et coutellerie et me remis à mon ancien métier de colporteur autour de ces mines d’argent.
Je me souviens encore d’une autre aventure qui m’advint vers fin juin 1911, 4 l’un des voyages que je fis dans les environs.
Arrivé un dimanche matin aux mines d’or de Thémenn, je me trouvai le lendemain matin, inconsciemment, devant » la gare et pris un billet de retour pour Cobalt alors que rien ne m’y appelait, qu’une force invincible, indépendante de ma volonté.
Après sept heures de chemin de fer, je me retrouvai, toujours poussé par cet instinct incompréhensible, devant chez moi, contemplant d’un air hébété les ruines fumantes de ce qui était, deux jours avant, l’habitation que j’avais quittée !
Lorsque je repris mes esprits, je m’enquis de ma femme et de mon fils.... Dieu merci, ils étaient sains et saufs ils étaient allés se réfugier dans un hôtel voisin.
Lorsque je fus rassuré sur leur sort, j’eus des explications sur ce second incendie que nous subissions coup sur coup en si peu de temps. Cette fois, toute idée de malveillance devait être écartée ; il fut, en effet, reconnu que le magasin contigu au mien était une blanchisserie tenue par un Chinois et que c’était dans le séchoir que le feu avait pris naissance et s’était étendu dans tout le pâté de maisons.
Et ce fut miracle que ma femme échappa à ce sinistre ; nous logions au rez-de-chaussée dans un magasin divisé en plusieurs pièces et séparé de la rue par une grande glace. C’est lorsque la fumée et les flammes envahirent notre domicile, que cet incendie fut aperçu par les passants, et les voisins, sachant qu’il y avait des locataires dans ce magasin, firent voler la glace en éclats et firent sauver ma femme et son enfant. Quelques meubles même furent déménagés dans la rue. Mais je n’étais pas assuré cette fois et perdis pour plus de quatre cents dollars de coutellerie neuve en dépôt sans compter la plus grande partie de notre mobilier et de nos objets d’habillement personnels. Ma femme s’était enfuie en chemise. A la suite de cette nouvelle panique, je me proposais de ne pas continuer mes tournées de colportage.
Malgré la facilité avec laquelle les maisons flambaient, je me mis « marchand de maisons » à Cobalt.
Je commençai par en acheter une, assez délabrée, mais bien située, au Centre de la Ville. Je fis faire les réparations nécessaires et trouvai facilement des locataires, dont la location me remboursa en peu de temps mes débours, cette maison était de trois étages, louée à trois ménages, plus un magasin. Puis j’achetai une seconde maison, dont nous nous réservâmes le magasin divisé en deux pour notre usage.
Je continuai d’une façon intermittente à voyager dans les environs et deux années passèrent, 1911 et 1912, sans autre incident pour moi que la vente de mes deux maisons à un prix avantageux. |
Chapitre XXXIV |
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En Floride |
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C’est à cette époque (été 1912) que je louai un magasin central et m’y installai avec un ouvrier horloger, de manière à tenir coutellerie, bijouterie et horlogerie, en faisant la réparation.
Ma femme surveillait le magasin de temps à autre, lorsque je partai faire mes tournées avec de la bijouterie, en visitant les chantiers de bois ët les mines nombreuses des environs.
C’est Vers 1914 que je me laissai tenter par l’offre que me fit Une Compagnie, de devenir propriétaire de terrains en Floride.
Après un premier versement de 10 % comptant, on versait le restant par fractions mensuelles, et, au bout de trois années, le terrain était payé. Inutile de dire que, sur les annonces et prospectus, ces terrains devaient se trouver non loin de Centres importants, au bord de routes bien tracées et étaient appelés à prendre une très grande extension et de la plus-value. Il me fallut déchanter lorsque, plus tard, je voulus me rendre compte par moi-même de mon acquisition.
Cependant je quittai Cobalt avec plus d’un mètre de neige et quatre nuits après je me réveillai en Floride, par un beau soleil printanier ; je devais éprouver quelques mécomptes. Il existait bien quelques routes, mais elles s’arrêtaient à l’entrée de ces forêts inextricables, où se trouvaient ces fameux terrains.
Une partie de mon acquisition était dans des fourrés tellement impénétrables, que je renonçai à me risquer, seul, à aller les visiter, surtout après avoir constaté que ces forêts fourmillaient de serpents, et que certains marécages servaient de repaire à des quantités de crocodiles.
Je fis cependant les démarches nécessaires pour m’entendre avec des nègres de la région, pour voir s’il serait possible de défricher et mettre en valeur ces terrains vierges; mais je compris que, si je ne restais pas sur place pour les surveiller, le travail ne se ferait pas convenablement.
C’est pourquoi je préférai échanger ces terrains impraticables contre d’autres mieux situés, et, après ces échanges, ventes et ristournes, il me reste encore environ quinze hectares de terrain, que je conserve comme une poire pour la soif.
Je vais raconter succinctement ce que je vis et appris sur les mœurs et coutumes de ce pays de la Floride.
Il serait comparable à notre Côte d’Azur, si le climat était moins chaud l’été. Pour l’Européen, l’été il est inhabitable ; à part quelque brise venue de la mer, qui tempèrent un peu le climat ; le soleil est aveuglant, surtout en se reflétant sur le sable brillant et blanc comme du sel. Il faut se munir de lunettes fumées, pour ne pas avoir les yeux atteints. Tous les fruits exotiques viennent en abondance, excepté le café et la canne à sucre ; Il faut d’ailleurs employer des engrais chimiques pour féconder cette terre sablonneuse. Les serpents, les moustiques pullulent.
Comme mœurs, il est interdit aux Noirs d’habiter dans les villes occupées par les blancs, autrement que comme domestiques. Les noirs ont leurs villages spéciaux, où ils sont groupés. On les emploie aux travaux de culture, mais, je le répète, il faut les surveiller pour obtenir d’eux un rendement. A part la culture, il y a aussi l’exploitation des bois, mais qui n’est pas comparable à celle du Canada. C’est la Floride qui alimente de légumes et de fruits, l’hiver, les Etats-Unis et le Canada. Les ananas sont cultivés eh grand ;
des champs entiers sont couverts de ces tubercules comme nos champs de pommes de terre.
Je profitai de mon séjour en Floride pour visiter Jackson-ville, avec ses 6.000 à 7.000 habitants, la moitié nègres, puis je descendis par Miami par le chemin de fer jusqu’aux îles de Key-West, reliées à la terre ferme par une jetée de huit à dix kilomètres.
Ces endroits sont merveilleux l’hiver et servent de séjour pendant la mauvaise saison aux riches Américains ou Canadiens. Les îles de Bahama, à l’est de Miami, peuvent se comparer au Paradis Terrestre !
De là, je revins donc rapidement à Cobalt, où je retrouvai la neige et la glace. |
Chapitre XXXV |
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Mœurs et coutumes |
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Je profiterai de ces quatre jours de voyage en chemin de fer pour faire une rapide description des chemins de fer, soit aux Etats-Unis, soit au Canada.
Au Canada, il n’y a que trois lignes principales qui relient l’océan Atlantique à l’océan Pacifique, de Halifax à Vancouver l’on met huit jours pour faire ce trajet, sans changer de wagon. Il existe des premières et deuxièmes classes ; en outre, les wagons Pulman qui correspondent à nos wagons-lits. Comme confortable, rien n’y manque.
Les secondes classes même, qui sont réservées aux émigrants, offrent des avantages de commodités inconnues en France. Elles comprennent des cuisines roulantes disposées de telle sorte que ces émigrants peuvent faire cuire leurs aliments, sans être obligés d’aller au restaurant.
La température de ces wagons est toujours entretenue à un degré tempéré et, pour éviter les grands froids hivernaux, les glaces et fenêtres sont doublées et même triplées. On circule d’un bout à l’autre du train par un couloir central qui suit chaque wagon. Les fauteuils placés ainsi à droite et à gauche peuvent contenir deux ou quatre places suivant la manière dont le dossier mobile est placé. Le soir venu, ces mêmes fauteuils, par une combinaison ingénieuse, se muent en lits de deux places et sont surmontés d’autres lits qui se déroulent très facilement au-dessus.
La description que je fais des wagons du Canada peut s’appliquer de même à toutes les lignes des Etats-Unis, avec cette différence près qu’il n’existe pas de deuxième classe. Mais le tarif appliqué par les différentes Compagnies est en moyenne d’un sou du kilomètre (tarif de nos 3e classes avant-guerre), ce qui permet de faire de longs trajets en première classe à un prix relativement minime.
Pour les bagages, il vous est alloué cent kilos de franchise et l’on vous remet, en même temps que votre billet, un bulletin de bagage, sans que vous ayez à vous en occuper autrement.
Comme il existé souvent deux ou trois Compagnies concurrentes, pour relier les grandes villes américaines les unes aux autres, il n’est pas rare de voir les tarifs différents à chaque Compagnie, c’est au voyageur de choisir le tarif le meilleur marché. Un mot sur le fonctionnement de la consigne.
Lorsque l’on confie des bagages en garde à la consigne d’une gare, un système de prix différent des nôtres fonctionne ; si le premier jour est de 1 fr.25, le second jour est de 50 cent, et le prix baisse proportionnellement au temps écoulé. De vastes garde-meubles permettent au voyageur de confier aux Compagnies des malles et meubles pendant des mois entiers pour un prix insoupçonné en France.
Enfin, il existe cette Compagnie de transports « Express », dont j’ai parlé au début de mon colportage à Chicago, et qui rend de réels services aux voyageurs.
Pendant que nous parlons de « confortable », il serait utile d’indiquer rapidement les installations faites au Canada dans les villes, pour braver l’hiver la rigueur de la température.
A Cobalt, où nous habitâmes plusieurs années, nous occupions un appartement de cinq à six pièces au deuxième étage, muni de tout le confort moderne : eau, gaz, électricité, téléphone et chauffage central. La principale pièce est le salon, avec son piano ; c’est toujours la pièce la mieux éclairée, celle qui reçoit les visiteurs. Puis une salle à manger, deux chambres à coucher la cuisine et une salle de bains. Un cabinet spécial est aménagé pouf faire la « chaufferie », c’est- à-dire pour le calorifère qui alimenté matin et soir de charbon, donne dans tout l’appartement une douce chaleur uniforme. La cuisine se fait habituellement au gaz.
Dans toutes les maisons un peu hautes, il existe un ou plusieurs ascenseurs. Quant au téléphone, il rend des services indispensables ; il évite de se déranger et conduit les fournisseurs chez soi pour s’approvisionner de tout ce qui est nécessaire au ménage.
Il existe des doubles portes et doubles fenêtres entre lesquelles l’air forme une couche isolant des froids intenses du dehors.
L’usage est de payer son loyer mensuellement. Le prix varie de quinze à dix-huit dollars par mois ; selon l’importance du local occupé.
Quant aux hôtels, ils sont en général confortables et bien meilleur marché qu’en France. Une immense économie pour le voyageur est dans ce fait que le pourboire est totalement inconnu. Nulle part, un employé ou salarié n’accepterait ce qu’il considère comme une aumône. Dans chaque hôtel il existe deux classes ou deux prix : un dollar ou deux dollars par jour, tout compris. C’est un prix admis, connu.
Le voyageur fatigué entre dans un hôtel quelconque. Personne ne l’importune à son arrivée. Qu’il soit Client ou non, il trouve une vaste salle de repos, un « Waiting room » où des journaux et revues en quantité peuvent être consultés; de bons fauteuils accueillants existent autour d’une grande table. Là, il est loisible de faire sa correspondance, de fumer, de faire connaissance avec d’autres voyageurs ; le tout sans être importuné de garçons poussant à la consommation, comme en France ; si l’on désire consommer, il y a une salle spéciale avec comptoir, devant lequel on boit debout ; Les dames ne sont pas admises dans ces salons ; elles ont un parloir spécial pour elles et pour les enfants.
Moyennant donc un dollar ou deux, le voyageur peut disposer d’une chambre convenable et faire ses trois repas complets, plug ou moins copieux, d’après le prix.
Quelques mots pour terminer ce chapitre sur les mœurs et coutumes.
Au Canada, particulièrement, les croyances, soit catholiques soit protestantes sont très respectées ; souvent les missionnaires français vont prêcher dans les églises et ils ont constaté que, dans certains endroits, les prisons sont vides et les églises pleines Et l’on suppose que la pratique de la religion retient nombre d’individus qui, sans elle, prendraient une mauvaise voie.
D’ailleurs le sang anglo-américain est plus calme que le sang latin. Jamais on n’assiste à cette chose bizarre, de discussions sans fin où tout le monde parle à la fois, et où chacun veut avoir raison. En un mot, on écoute davantage qu’on ne parle et, en cas de discussion sérieuse, c’est la boxe qui règle en sec les différends
Il y a bien la lie de la population des grandes villes, rats d’hôtel, cambrioleurs et même certains audacieux qui arrêtent les trains pour les dévaliser, mais ce qui existe, à l’état d’exception, a été vulgarisé par les films de cinéma, qui nuisent aussi bien à la jeunesse de l’ancien que du nouveau continent
De nouvelles lois de tempérance proscrivant l’alcool ont d’ailleurs pour but de combattre la criminalité. Attendons les résultats. |
Chapitre XXXVI |
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Incendies
1915. |
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Pendant l’été de 1915, étant toujours à Cobalt, où je tenais ce magasin de coutellerie et de bijouterie, alors en pleine prospérité, plusieurs incendies d’une extrême violence se déclarèrent dans les forêts limitrophes. Nombre de villages et de mines furent anéantis et l’on compte malheureusement une centaine de personnes qui périrent dans les flammes.
On ne peut se rendre compte, qu’après y avoir assisté soi-même, des ravages et, de la rapidité de ces incendies, qu’une simple étincelle de locomotive ou une imprudence de fumeurs peut provoquer.
Lorsque le feu se déclare dans ces forêts vierges, il trouve un aliment toujours renouvelé, non seulement avec le bois mort, mais surtout par l’humus du sol, qui ne se compose que de feuilles sèches et bois en décomposition.
Quand le foyer est devenu brasier, rien ne peut arrêter les progrès de l’incendie ; un appel d’air formidable formé par cette fournaise fait jaillir des gerbes et flammèches à près d’un kilomètre de distance, produisant ainsi de nouveaux foyers d’incendie. Aucune tranchée ni digue ne peut être employée pour arrêter ou simplement ralentir la marche de ces flammes, dont la vitesse atteint et dépasse celle d’un cheval lancé au galop.
Ainsi, dans ces incendies de cet été 1915, des personnes se trouvant environnées de flammes se jetèrent dans un lac à proximité ; leur mort n’en fut pas moins horrible. Si la fumée ne les asphyxia pas de suite, l’eau en ébullition se chargea de les faire souffrir un peu plus. Pas une n’en réchappa.
Des villages, placés à huit kilomètres de ces forêts, flambèrent comme des torches. Pendant huit jours après la fin de l’incendie, qui s’arrêta faute de combustible, le soleil fut totalement éclipsé par la fumée qui se dégageait de ces régions dévastées et la terre, ou terreau, resta également plusieurs jours en ignition brûlant jusqu’à plus de cinquante centimètres de profondeur.
Cet exemple est l’image d’autres incendies qui ont eu lieu depuis tout récemment, un village à proximité de Cobalt a été entièrement détruit.
Le mal des uns fait quelquefois le bonheur des autres. A la suite de cet immense incendie décrit ci-dessus, la pluie mit à jour des roches à veines d’argent insoupçonnées jusqu’alors et ce fut la Compagnie propriétaire de ces terrains qui en profita.
Ce n’était pas la première fois d’ailleurs que le feu se déclarait dans ces régions. Lorsque j’y ai passé en 1909, la ville de Cobalt même (agglomération de huttes en bois) avait été réduite en cendres.
L’on a soupçonné longtemps les Compagnies possesseurs des mines d’argent de la région d’avoir mis le feu dans ces immenses étendues de forêts impénétrables, intentionnellement, pour économiser le défrichement !
Quoi qu’il en soit, à l’époque de ce récit, les mines d’argent découvertes par cet incendie étaient en abondance et en pleine activité.
La différence qu’il y a avec les mines d’or est qu’on ne trouve pas de pépites d’argent dans le sable ni le gravier, mais dans la roche elle-même. Les veines n’ont guère que cinq à dix centimètres d’épaisseur. Il faut percer des tunnels et casser la roche pour les extraire.
On emploie, comme aux mines de cuivre de Juneau, des broyeurs-rouleurs ou pilons.
Quant, aux pépites d’argent recueillies, ils sont toujours mélangés d’impuretés qui se nomment « Cobalt » (nom donné à la ville). Ce sont les hauts fourneaux qui se chargent de faire le nettoyage.
Les puits de mines sont par centaines autour de Cobalt et rayonnent à sept à huit kilomètres de la ville. Ces puits sont exploités par plusieurs Compagnies. Les ouvriers, Canadiens ou Américains, sont en général bien payés. |
Chapitre XXXVII |
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Un doigt de moins |
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Pendant ces quelques années, passées à Cobalt, je n’ai eu qu’à me louer du résultat de mon commerce. La vente marchait à souhait, j’avais un ouvrier sérieux qui pouvait faire n’importe quelle réparation d’horlogerie et, en outre, pouvait me remplacer lorsque je m’absentais.
Cela m’arrivait fréquemment peu habitué à être sédentaire, je continuais, avec ma bijouterie, à rayonner dans les environs et même je m’éloignais pendant quelques jours lorsque je savais que la paye de la quinzaine des ouvriers devait avoir lieu. Donc, dans le courant de 1917, je me trouvai certain jour dans le nord de l’Ontario, dans une fabrique de pâte à papier, au moment de la paye du personnel. J’y étais connu ; on me confiait des montres à réparer, que je rapportais ensuite, tout en vendant ma bijouterie. Cette fabrique occupait trois mille ouvriers.
Un de ces ouvriers m’avait déjà parlé de m’acheter une montre avec sa chaîne en or, mais voulait avoir les fonds nécessaires pour m’en payer le montant.
Cette fois, il était bien décidé ; je lui donnai rendez-vous pour lui porter son acquisition chez lui le lendemain matin, à dix heures.
Me voici donc, le lendemain, une valise à chaque main, me dirigeant à ce rendez-vous, quant au coin d’une rue de cette ville (Iroquoy fold) je me trouve tout à coup en présence d’un individu dont la figure était dissimulée sous un foulard rouge et qui me commanda, en braquant contre moi son revolver, de « mettre les .mains en l’air ».
Stupéfait de cette brusque attaque, je lâchai du coup mes deux valises et instinctivement cherchai à m’emparer de l’arme de mon agresseur.
Le browning lui fut arraché de la main, mais, malheureusement pour moi, le coup partit en même temps et une balle vint me transpercer le doigt de la main gauche !
Pendant ce temps, mon agresseur prenait la fuite et, malgré mes appels, ne put être rejoint, car un bois se trouvait à proximité.
J’héritai donc du revolver que je mis en poche, retournai à l’hôtel, puis allai me faire panser sommairement à l’hôpital, où je retournai l’après-midi et où l’on fut obligé de me couper ce doigt qui ne tenait plus que par les chairs. Au bout de quatre jours de repos, je me trouvai en mesure de pouvoir revenir à Cobalt.
Malgré cette blessure qui pouvait être mortelle, un mois après, je recommençais mes tournées, comme si rien ne s’était passé.
Et je ne me précautionnai pas pour pela d’armes, continuant comme par le passé à me fier à ma chance.
C’est dans l’hiver de cette même année 1917, que j’eus le bout des doigts gelés, en pérégrinant dans la province Ontario, à tel point que la peau et le bout de mes doigts, y compris les ongles tombèrent ; depuis, heureusement, tout a repoussé régulièrement.
Depuis longtemps ma femme désirait venir en France, aussi; deux années plus tard, en 1919, je me décidai à liquider mes marchandises et faire ce voyage de retour qui devait mettre fin à mes aventures. |
Chapitre XXXVIII |
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Conclusion |
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Nous voici donc à la fin de ces Mémoires, qui vont se terminer par notre retour en France l’année qui suivit la fin de la guerre.
J’ai omis de dire que, lorsque la grande guerre de 1914 éclata, j’étais tout prêt à faire mon devoir, mais ma classe 1886 ne fut pas appelée sous les drapeaux, j’ajouterai même, pour l’édification du lecteur, que si je n’avais pas été marié et père d’un enfant en 1914, je me serais engagé volontairement comme firent d’ailleurs de nombreux Canadiens, dont l’aide nous fut si utile.
Ce fut en novembre 1919 que nous décidâmes du retour en France.
Je liquidai même à perte mes marchandises, ainsi que mes valeurs en portefeuille et dis adieu à cette terre hospitalière où j’avais su me créer une situation et un foyer.
Lors de mon précédent voyage en France, en 1909, j’avais fait de sérieuses enquêtes pour retrouver à Paris, ma sœur. Nous nous étions écrit pendant quelques années, puis je n’avais plus reçu de ses nouvelles.
Je résolus de reprendre mes recherches et, après avoir appris à Thonon qu’elle avait passé à Evian en 1907, Je décidai de me fixer pendant quelques mois à Evian pour étendre le cercle de mes investigations.
J’employai tous les moyens de publicité possible, annoncés dans les journaux de la région, recherches personnelles, etc..., mais ne découvris qu’une vague indication qui put me faire supposer la retrouver à Nice.
Pendant neuf mois nous nous installâmes donc à Nice, où je recommençai mes recherches, publicité, et même j’eus recours au Ministère de l’intérieur. Je visitai ensuite Genève, Berne, mais vainement.
Un secret pressentiment me laisse supposer que je dois la revoir un jour. Ces Mémoires pourront, je l’espère, en lui tombant sous les yeux, nous réunir à nouveau.
Pour terminer et donner une conclusion à ces récits que je garantis sur l’honneur véridiques, une morale, je crois doit s’en dégager.
Il faut faire une distinction entre l’enfant qui, en venant au monde, trouve une fortune dans son berceau et celui qui n’y trouve que de la misère Ceci pour bien faire comprendre à certains compatriotes que, si la chance m’a enfin souri, ce ne fut pas sans peine et que, si j’ai trouvé aide et protection, ce ne fût jamais auprès de ma famille ou de mes concitoyens, qui m’ont bien au contraire témoigné de l’hostilité ou déjà malveillance, surtout .à la suite de cette fâcheuse erreur judiciaire, dont je m'occupe de faire annuler la sentence. Tous ceux qui auraient dû me conseiller, me protéger, me venir en aide, se sont alors éloignés de moi.
Et, si je suis arrivé à une position indépendante, actuellement, je ne le dois qu’à moi-même et n’ai de remerciements à adresser à personne.
Ce qui prouve que tout homme honnête et énergique peut et doit tenir sa place au soleil et obtenir, par son travail, l’indépendance. |
Appendice |
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La population des Etats-Unis, qui est actuellement d’environ cent dix millions d’âmes, occupe un territoire moins important que celui du Canada, dont la population ne cou - porte que huit à neuf millions d’habitants.
Des richesses inconnues existent sur le sol et dans le sous-sol du Canada, mais ne sont pas exploitées faute de bras et de capitaux.
Des milliers et milliers de familles pourraient actuellement y trouver largement leur subsistance, soit dans la culture, soit dans la forêt, soit dans les mines inexplorées.
L’or, l’argent, le cuivre, le charbon s’y trouvent en abondance.
Le Canada envoie sur le marché mondial la plus grande partie du minerai d’argent. Cobalt en est actuellement le centre.
A 250 kilomètres au nord de Cobalt (relié par un chemin de fer) existe une mine d’or, Holilnger », qui, actuellement, est la plus riche du monde entier.
Sa valeur est estimée sur le marché à plus de sept cent millions de dollars, avec dividende de quatre millions ; soit vingt millions de francs or, annuellement.
Cette mine surpasse même en richesse celle de Modders-Fontein, du rand Sud-Africain, qui occupait jusqu’à présent le premier rang.
Il y aurait donc, pour des Européens entreprenants, une source de richesse insoupçonnée, qui pourrait modifier d’une façon avantageuse l’existence de bien des gens, qui végètent sur un sol appauvri.
C’est pourquoi je crois de mon devoir de signaler ce fait aux travailleurs qui cherchent à se créer une situation et veulent parvenir à une position aisée.
Le XXe siècle sera le siècle de la richesse pour le Canada comme le XIXe l’a été pour les Etats-Unis. |
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