Page 435 - Les merveilles de l'industrie T1
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L’INDUSTRIE DES SAVONS 431
« On place sur la chaudière une planche d’une nion intime de ses molécules, pour qu’elle prenne
épaisseur suffisante et fort large, pour que deux dans les mises la consistance qu’elle doit avoir.
hommes y étant dessus puissent manœuvrer facile « Tel est le mécanisme de cette opération (1 ). »
ment. Chacun de ces hommes est armé d’un reda-
ble pour agiter la pâte, afin qu’elle s’imprègne de la En Angleterre, l’opération de la marbrure
lessive qu'un autre ouvrier y verse à plusieurs re
ou madrure se fait d’une autre manière,
prises.
« Cette manipulation se fait en deux temps. Le pre Quand le savon est presque terminé, on
mier est préparatoire et s’appelle rompre. Le second se contente de verser dans la chaudière
termine l’opération et s’appelle tirer du fond.
une dissolution concentrée de soude brute,
« Comme l’homme le plus vigoureux ne pourrait
enfoncer au premier coup son redable jusqu’au que l’on répand uniformément sur la chau
fond de la chaudière, et le faire remonter par un dière, au moyen d’un arrosoir. Cette les
mouvement brusque, parce que la pâte est trop con
sive est très-dense et contient des sulfures
sistante, et la colonne à vaincre trop haute, on
commence par n’enfoncer l’instrument que jusqu’au alcalins. Elle détermine la marbrure en
quart de la profondeur de la chaudière, et on passant au travers de la masse pâteuse du
l’en retire un peu obliquement ; lorsqu’il est prêt savon, et produisant sur son passage du sul
à en sortir, on accélère le mouvement jusqu’à la sur fure de fer noir, qui se répand dans une
face, où on l’arrête tout à coup pour occasionner un
jet qui détermine l’expansion de la lessive sur toute la partie de la masse, et la colore de veines
superficie de la pâte, en divise les grumeaux et en bleuâtres.
facilite l’imbibition. 11 faut pourtant nous hâter de dire qu’il
« Le second temps s’exécute en plongeant le redable
jusqu’au fond de la chaudière, et en le retirant ver n’y a aucune comparaison à établir entre la
ticalement jusqu’à la surface, où le coup brusque, marbrure du savon de Marseille et celle du
produit au moyen du redable, donne lieu à l’expan savon anglais. Cette dernière n’est absolu
sion de la lessive qu’on ramène du fond vers le des
sus de la pâte. Par ce moyen, toutes les parties de ment rien autie chose qu’un dessin produit
savon sont transportées du bas en haut de la chau mécaniquement dans la pâte au moyen
dière, et reçoivent les effets de la lessive qui les tu du sulfure de fer. Il résulte au contraire de
méfie et les humecte convenablement. l’ensemble du procédé Marseillais, deux
« Dans l’un comme dans l’autre cas, des ouvriers
genres de savon parfaitement distincts : l’un,
versent trois ou quatre cornues de lessive à la place
où chacun des madreurs tient son redable , afin que le savon pur, qui forme la partie blanche,
la large pelle horizontale dont le bout est muni l’autre, le savon alumino-ferrugineux, qui
puisse s’enfoncer avec plus de facilité.
forme la partie bleue. Il ne dépend pas
« Les deux madreurs parcourent peu à peu la lon
gueur de la planche sur laquelle ils se trouvent pla du fabricant de distribuer cette marbrure
cés, et par conséquent tout le diamètre de la chau à son gré ; elle résulte de la bonne con
dière, en travaillant la pâte sur tous les points : pour
duite de l’opération ; elle est comme le
exprimer qu’ils ont parcouru en entier cet espace,
on dit qu’ils ont fait une passado. On en fait deux ou cachet et la preuve d’une loyale fabrica
trois pour rompre, mais le nombre de celles qu’ils tion et indique d’une façon précise que le
exécutent en tirant du fond est indéterminé, parce produit ne contient pas plus de 33 à 34 p. 100
qu’il est subordonné aux effets des diverses lessives
d’eau. La marbrure anglaise peut s’effec
sur la pâte liquéfiée.
« Ainsi la passado, pour quelle ait lieu sur toute tuer dans toute espèce de savon, car elle
la superficie de la pâte, s’exécute d’abord sur un ne consiste qu’en une espèce de teinture
point de l’une des parois de la chaudière, et se con chimique. C’est ce signe extérieur de garantie
tinue en reculant successivement la planche jusqu’à
ce que l’opération commencée à une extrémité se contre la fraude par augmentation d’eau, qui
termine également à l’autre. On verse ordinaire a tant contribué à répandre dans le public
ment à la chaudière soixante cornues de lessive l’usage du savon marbré de Marseille.
pour chaque passado qu’on divise en plusieurs recu
Lorsque la marbrure est terminée et que
lées. '
« Par ces lotions, la pâte se tuméfie, absorbe peu
à peu la lessive nécessaire à sa liquéfaction et à l’u (1) Poutet, Traité des savons. Marseille, in-4’, 1821.