Page 18 - aux armes_8
P. 18

E 25 mars dernier, M. Giacobbi, Minis­  de Genève, ils s’y conduisirent en maîtres   tout semble nous séparer de ce pays : la
                  tre des Colonies, faisait à la radio, au   et drainèrent les ressources économiques du   langue, la religion, les caractères, l’éduca­
                  nom du Gouvernement de la Républi­   pays. Ils s’efforcèrent de camoufler leur   tion, la pensée. Un vieil. Européen reste in­
               L que, une déclaration d’une importance   main-mise en prétextant de la mise en va­  quiet devant l’orientalisme. Il arrive pres­
               capitale concernant l’Indochine.        leur de régions appartenant à la << sphère   que toujours avec un certain bagage d’idées
                                                       de co-prospérité extrême-orientale ». Mais   préconçues sur la mentalité annamite. Il ne
                 « Lorsque la Fédération Indochinoise, di­  personne n’était dupe ; cette exploitation   cherche pas à découvrir le vrai visage de
               sait-il, aura été libérée de l’envahisseur, elle   était destinée à subvenir aux besoins du Ja­  l’ipdigène qui, lui, de son côté, se renferme
               formera avec la France et avec les autres   pon seul.                          dans un mutisme hostile. L’un et l’autre se
               parties de la Communauté une « Union                                           jugent réciproquement comme des barbares
               Française », dont les intérêts à l’extérieur   Cette manœuvre s’est accompagnée d’une   et, de cette méconnaissance, résultent les
               seront représentés par la France. L’Indo­  dépréciation forcée de la monnaie indochi­  erreurs de l’administration coloniale. Les
               chine jouira, au sein de cette Union, d’une   noise, permettant aux Japonais d’acheter   fautes commises le sont généralement de
               liberté propre. Les ressortissants de la Fédé­  des produits à meilleur compte. Pour les   bonne foi, mais elles risquent d’opposer le
               ration Indochinoise seront citoyens indochi­  indigènes, cette dépréciation s’est traduite   protectorat à la Métropole.
               nois et citoyens de l’Union Française. A ce   par une baisse du prix du riz à l’exportation
               titre, sans discrimination de race, de reli­  — donc par une diminution de revenus —   Nous ne devons jamais négliger le patrio­
               gion ou d’origine et à égalité de mérites, ils   et par une augmentation du coût de la vie,   tisme qui, comme ailleurs, est enraciné au
               auront accès à tous les postes et emplois   soit par un appauvrissement général.  cœur de chaque Annamite. Sans élever une
               fédéraux, en Indochine et dans l’Union.  En outre, les achats effectués par les Ja­  barrière, ce sentiment trouble parfois les
                                                                                              relations franco-annamites.
                « Les conditions suivant lesquelles la Fé­  ponais étaient réglés en yens de guerre. Ces
                                                                                                La culture de l’Annamite, sa religion, son
               dération Indochinoise participera aux orga­  yens, bloqués à la Banque Nationale de To-   éducation l’ont placé dans une sorte de com­
               nismes fédéraux de l’Union Française, ainsi   kio, ne pouvaient pas être utilisés par les   plexe d’infériorité contre lequel il est bon
               que le statut de citoyen de l’Union Fran­  vendeurs lorsqu’ils effectuaient les achats
               çaise seront fixés par l’Assemblée Consti­  nécessaires à la vie économique indochi­  de réagir. Il faut donc tâcher de mettre l’in­
                                                                                              digène à sa place, lui assigner le rang qui
               tuante ».                               noise.                                 lui convient et lui donner l’impression qu’il
                 Quelques jours auparavant, le 9 mars, les   L’Indochine s’est donc vue contrainte de   est l’égal d’un Français. Trop longtemps,
               Japonais avaient tenté par un côup de force   subvenir par ses propres ressources aux be­  le souvenir d’un vieil esprit colonial périmé
               de s’assurer le contrôle complet de l’Indo­  soins qu’elle satisfaisait autrefois par l’im­  a laissé persister une méfiance qui s’oppose
               chine. Le 14 mars, le général de Gau'le évo­  portation. En dépit des entraves accumulées   à une collaboration efficace entre Français
               quait l’héroïque résistance de nos troupes   par les Japonais, elle y est parvenue, en   et Annamites. Avant tout, doit disparaître
               « réduites, dispersées, mais aidées par les   créant de nouvelles industries.  le préjugé de race.
               populations ». Il rappelait que la France,   C’est ainsi qu’au Tonkin, deux hauts-   Une autre difficulté tient à la langue elle-
               tandis qu’elle subissait les épreuves de l’in­  fourneaux ont été montés et, en partant de   même, car il n’est pas aisé de diffuser la
               vasion, n’avait jamais oublié les braves   minerais extraits en Indochine, ont permis   langue française. Sans doute, l’Annamite
               Français et Indochinois qui demeuraient   la fabrication d’aciers et d’articles divers,   qui reçoit à l’école une culture française
               isolés en face de la supériorité écrasante de   de quincaillerie entre autres. La production   aura-t-il une connaissance suffisamment pré­
               l’envahisseur japonais.» Elle a su, disait-il,   de houille, maintenue à son niveau, a pu   cise de notre langue pour ne pas commettre
               comment les secours demandés aux grandes   alimenter de nouvelles‘usines, des tissages   de grossières fautes d’interprétation, mais
               puissances alliées lors des premiers diktats   en particulier.                 beaucoup d’indigènes n’apprennent qu’au
               de l’ennemi en juillet, septembre 1940                                         hasard un français inexact. Loin de créer
               n’avaient pu être fournis. Elle a connu', le   Pour suppléer à la pénurie de carburants,   un rapprochement, cette connaissance insuf­
               sacrifice sanglant de la garnison de Lang-   des usines indochinoises ont entrepris la fa­  fisante, du fait de la fausse interprétation
               son en septembre 1940, l’énergique défense   brication de gazogènes. L’alcool carburant   de certains textes, a été parfois un obstacle
               du Mékong en janvier 1941 contre les Sia­  a permis de satisfaire de nombreux besoins,   à des relations amicales. C’est ainsi que, par
               mois alliés du Japon et la brillante action   tandis que le développement des cultures   exemple, certains Européens ayant vécu en
               navale du 17 janvier, au cours de laquelle   oléagineuses, du ricin en particulier, a pu   Indochine, disent que l’Annamite ne dit pas
               le vieux croiseur La Motte Picqrcet et quel­  couvrir la consommation indochinoise tant   la vérité, alors qu’il ne s’agit souvent que
               ques navires auxiliaires français envoyèrent   en matière alimentaire que dans les secteurs   d’une erreur de traduction de la part d’un
               par le fond l’escadre du Siam. Elle ri’a rien   industriels.                   indigène de parfaite bonne foi, ou d’un vite
               ignoré des angoisses et des découragements   D’autre part, l’Indochine, privée des ap­  de forme dû aux subtilités de l’esprit asia­
               que la politique d’abandon pratiquée à Vi­  ports européens en médicaments, a réussi,   tique.
               chy a causé là-bas tout au long de ces ter­  grâce à l’activité des instituts Pasteur de
               ribles jours ».                         Franc, Saïgon et Hanoï, à se procurer les   Pour faire accepter leur présence et leur
                 Terribles jours, en effet, alors que le Ja­  médicaments nécessaires et à augmenter,   direction, sans froisser le sentiment natio­
                                                                                              nal, les Français ne doivent point oublier
               pon imposa sa médiation dans notre conflit   dans de notables proportions, sa production   qu’ils ont à accomplir une mission de haut
               avec le Siam et nous obligea à céder 70.000   de quinine.                      sens moral. Il s’agit de comprendre l’Àn-
               kilomètres carrés de territoire indochinois.   Ces renseignements, qui ont été communi­  nam et cela suppose un développement sans
               Il s’agissait de la région la plus riche du   qués par des Français évadés d’Indochine,   cesse plus large de Pamitié entre Français
               Cambodge : .les trois provinces de Battam-   permettent de se rendre compte de l’effort   et Annamites, en même temps que l’établis­
               bang, Sisophon et Stamcap, provinces qui   poursuivi sans relâche par notre colonie, en   sement d’étroits contacts professionnels. Des
               n’avaient aucun caractère siamois et étaient   dépit des circonstances et de mesurer la fidé­  résultats intéressants ont été obtenus dans
               peuplées exclusivement de Cambodgiens.  lité inébranlable et efficace des populations   les Facultés de Droit et de Médecine et,
                 Il convient de noter, à ce sujet, que, s’il   indigènes.                     depuis 1935, des groupements ont rassemblé
               n’y a pas de Siamois au Cambodge, il existe,   Cette fidélité, nous devrons, quand l’Indo­  les bonnes volontés et contribué à établir
               au contraire, des minorités cambodgiennes   chine nous reviendra intégralement dans un   un rapprochement sur des bases solides.
               en. territoire siamois et cela jusqu’aux en­  proche avenir, en tenir compte dans nos re­  Grâce à ces organismes et à des revues spé­
               virons de Bangkok. Ce sont des îlots que la   lations avec les populations indigènes. Les   cialisées, DOccident . comprend mieux
               France, respectueuse du traité signé avec le   circonstances historiques de la colonisation   l’Orient, le christianisme coudoie les reli­
               Siam en 1907, n’avait jamais revendiqués.   européenne, en créant une existence d’hom­  gions orientales et nous nous acheminons
               La frontière de 1907 ava’t été fixée par un   mes différents par les mœurs, les traditions,   vers une vér-table renaissance culturelle où
               expert neutre, un conseiller américain au­  la couleur même, ont fait naître des pro­  deux • mondes différents ne demeurent plus
               près du gouvernement siamois.           blèmes graves. Il faut reconnaître, toute­  en opposition.
                                                       fois, qu’un gros effort avait été réalisé et se
                 Profitant du conflit qu’ils avaient suscité                                    Mais cette collaboration ne doit pas res­
               d’accord avec le Siam, les Japonais, violant   poursuivait activement à la veille de la   ter superficielle et pour cela, il est néces­
               les engagements pris, s’introduisirent en   guerre.                            saire qu’elle se développe sur un plan d’éga­
               Cochinchine et au Cambodge. Selon l’ex­   Il n’est pas de pays plus différent de la   lité. L’Annamite ne doit pas être considéré
               pression de M. René Payot, dans le Journal   France que l’Annam. Au premier abord,   comme un bibelot curieux. En 1936, un écri-



    iffi.. M .*$«W                                  ..'TWr- yfe
   13   14   15   16   17   18   19   20   21   22   23