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E 25 mars dernier, M. Giacobbi, Minis de Genève, ils s’y conduisirent en maîtres tout semble nous séparer de ce pays : la
tre des Colonies, faisait à la radio, au et drainèrent les ressources économiques du langue, la religion, les caractères, l’éduca
nom du Gouvernement de la Républi pays. Ils s’efforcèrent de camoufler leur tion, la pensée. Un vieil. Européen reste in
L que, une déclaration d’une importance main-mise en prétextant de la mise en va quiet devant l’orientalisme. Il arrive pres
capitale concernant l’Indochine. leur de régions appartenant à la << sphère que toujours avec un certain bagage d’idées
de co-prospérité extrême-orientale ». Mais préconçues sur la mentalité annamite. Il ne
« Lorsque la Fédération Indochinoise, di personne n’était dupe ; cette exploitation cherche pas à découvrir le vrai visage de
sait-il, aura été libérée de l’envahisseur, elle était destinée à subvenir aux besoins du Ja l’ipdigène qui, lui, de son côté, se renferme
formera avec la France et avec les autres pon seul. dans un mutisme hostile. L’un et l’autre se
parties de la Communauté une « Union jugent réciproquement comme des barbares
Française », dont les intérêts à l’extérieur Cette manœuvre s’est accompagnée d’une et, de cette méconnaissance, résultent les
seront représentés par la France. L’Indo dépréciation forcée de la monnaie indochi erreurs de l’administration coloniale. Les
chine jouira, au sein de cette Union, d’une noise, permettant aux Japonais d’acheter fautes commises le sont généralement de
liberté propre. Les ressortissants de la Fédé des produits à meilleur compte. Pour les bonne foi, mais elles risquent d’opposer le
ration Indochinoise seront citoyens indochi indigènes, cette dépréciation s’est traduite protectorat à la Métropole.
nois et citoyens de l’Union Française. A ce par une baisse du prix du riz à l’exportation
titre, sans discrimination de race, de reli — donc par une diminution de revenus — Nous ne devons jamais négliger le patrio
gion ou d’origine et à égalité de mérites, ils et par une augmentation du coût de la vie, tisme qui, comme ailleurs, est enraciné au
auront accès à tous les postes et emplois soit par un appauvrissement général. cœur de chaque Annamite. Sans élever une
fédéraux, en Indochine et dans l’Union. En outre, les achats effectués par les Ja barrière, ce sentiment trouble parfois les
relations franco-annamites.
« Les conditions suivant lesquelles la Fé ponais étaient réglés en yens de guerre. Ces
La culture de l’Annamite, sa religion, son
dération Indochinoise participera aux orga yens, bloqués à la Banque Nationale de To- éducation l’ont placé dans une sorte de com
nismes fédéraux de l’Union Française, ainsi kio, ne pouvaient pas être utilisés par les plexe d’infériorité contre lequel il est bon
que le statut de citoyen de l’Union Fran vendeurs lorsqu’ils effectuaient les achats
çaise seront fixés par l’Assemblée Consti nécessaires à la vie économique indochi de réagir. Il faut donc tâcher de mettre l’in
digène à sa place, lui assigner le rang qui
tuante ». noise. lui convient et lui donner l’impression qu’il
Quelques jours auparavant, le 9 mars, les L’Indochine s’est donc vue contrainte de est l’égal d’un Français. Trop longtemps,
Japonais avaient tenté par un côup de force subvenir par ses propres ressources aux be le souvenir d’un vieil esprit colonial périmé
de s’assurer le contrôle complet de l’Indo soins qu’elle satisfaisait autrefois par l’im a laissé persister une méfiance qui s’oppose
chine. Le 14 mars, le général de Gau'le évo portation. En dépit des entraves accumulées à une collaboration efficace entre Français
quait l’héroïque résistance de nos troupes par les Japonais, elle y est parvenue, en et Annamites. Avant tout, doit disparaître
« réduites, dispersées, mais aidées par les créant de nouvelles industries. le préjugé de race.
populations ». Il rappelait que la France, C’est ainsi qu’au Tonkin, deux hauts- Une autre difficulté tient à la langue elle-
tandis qu’elle subissait les épreuves de l’in fourneaux ont été montés et, en partant de même, car il n’est pas aisé de diffuser la
vasion, n’avait jamais oublié les braves minerais extraits en Indochine, ont permis langue française. Sans doute, l’Annamite
Français et Indochinois qui demeuraient la fabrication d’aciers et d’articles divers, qui reçoit à l’école une culture française
isolés en face de la supériorité écrasante de de quincaillerie entre autres. La production aura-t-il une connaissance suffisamment pré
l’envahisseur japonais.» Elle a su, disait-il, de houille, maintenue à son niveau, a pu cise de notre langue pour ne pas commettre
comment les secours demandés aux grandes alimenter de nouvelles‘usines, des tissages de grossières fautes d’interprétation, mais
puissances alliées lors des premiers diktats en particulier. beaucoup d’indigènes n’apprennent qu’au
de l’ennemi en juillet, septembre 1940 hasard un français inexact. Loin de créer
n’avaient pu être fournis. Elle a connu', le Pour suppléer à la pénurie de carburants, un rapprochement, cette connaissance insuf
sacrifice sanglant de la garnison de Lang- des usines indochinoises ont entrepris la fa fisante, du fait de la fausse interprétation
son en septembre 1940, l’énergique défense brication de gazogènes. L’alcool carburant de certains textes, a été parfois un obstacle
du Mékong en janvier 1941 contre les Sia a permis de satisfaire de nombreux besoins, à des relations amicales. C’est ainsi que, par
mois alliés du Japon et la brillante action tandis que le développement des cultures exemple, certains Européens ayant vécu en
navale du 17 janvier, au cours de laquelle oléagineuses, du ricin en particulier, a pu Indochine, disent que l’Annamite ne dit pas
le vieux croiseur La Motte Picqrcet et quel couvrir la consommation indochinoise tant la vérité, alors qu’il ne s’agit souvent que
ques navires auxiliaires français envoyèrent en matière alimentaire que dans les secteurs d’une erreur de traduction de la part d’un
par le fond l’escadre du Siam. Elle ri’a rien industriels. indigène de parfaite bonne foi, ou d’un vite
ignoré des angoisses et des découragements D’autre part, l’Indochine, privée des ap de forme dû aux subtilités de l’esprit asia
que la politique d’abandon pratiquée à Vi ports européens en médicaments, a réussi, tique.
chy a causé là-bas tout au long de ces ter grâce à l’activité des instituts Pasteur de
ribles jours ». Franc, Saïgon et Hanoï, à se procurer les Pour faire accepter leur présence et leur
Terribles jours, en effet, alors que le Ja médicaments nécessaires et à augmenter, direction, sans froisser le sentiment natio
nal, les Français ne doivent point oublier
pon imposa sa médiation dans notre conflit dans de notables proportions, sa production qu’ils ont à accomplir une mission de haut
avec le Siam et nous obligea à céder 70.000 de quinine. sens moral. Il s’agit de comprendre l’Àn-
kilomètres carrés de territoire indochinois. Ces renseignements, qui ont été communi nam et cela suppose un développement sans
Il s’agissait de la région la plus riche du qués par des Français évadés d’Indochine, cesse plus large de Pamitié entre Français
Cambodge : .les trois provinces de Battam- permettent de se rendre compte de l’effort et Annamites, en même temps que l’établis
bang, Sisophon et Stamcap, provinces qui poursuivi sans relâche par notre colonie, en sement d’étroits contacts professionnels. Des
n’avaient aucun caractère siamois et étaient dépit des circonstances et de mesurer la fidé résultats intéressants ont été obtenus dans
peuplées exclusivement de Cambodgiens. lité inébranlable et efficace des populations les Facultés de Droit et de Médecine et,
Il convient de noter, à ce sujet, que, s’il indigènes. depuis 1935, des groupements ont rassemblé
n’y a pas de Siamois au Cambodge, il existe, Cette fidélité, nous devrons, quand l’Indo les bonnes volontés et contribué à établir
au contraire, des minorités cambodgiennes chine nous reviendra intégralement dans un un rapprochement sur des bases solides.
en. territoire siamois et cela jusqu’aux en proche avenir, en tenir compte dans nos re Grâce à ces organismes et à des revues spé
virons de Bangkok. Ce sont des îlots que la lations avec les populations indigènes. Les cialisées, DOccident . comprend mieux
France, respectueuse du traité signé avec le circonstances historiques de la colonisation l’Orient, le christianisme coudoie les reli
Siam en 1907, n’avait jamais revendiqués. européenne, en créant une existence d’hom gions orientales et nous nous acheminons
La frontière de 1907 ava’t été fixée par un mes différents par les mœurs, les traditions, vers une vér-table renaissance culturelle où
expert neutre, un conseiller américain au la couleur même, ont fait naître des pro deux • mondes différents ne demeurent plus
près du gouvernement siamois. blèmes graves. Il faut reconnaître, toute en opposition.
fois, qu’un gros effort avait été réalisé et se
Profitant du conflit qu’ils avaient suscité Mais cette collaboration ne doit pas res
d’accord avec le Siam, les Japonais, violant poursuivait activement à la veille de la ter superficielle et pour cela, il est néces
les engagements pris, s’introduisirent en guerre. saire qu’elle se développe sur un plan d’éga
Cochinchine et au Cambodge. Selon l’ex Il n’est pas de pays plus différent de la lité. L’Annamite ne doit pas être considéré
pression de M. René Payot, dans le Journal France que l’Annam. Au premier abord, comme un bibelot curieux. En 1936, un écri-
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