Page 58 - Les chemins de terre Complet
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E?~l/)t de la  X;1n;,ta; née &:~e SlJ~~ à  Wà4y en 1882
                                            j(M{V)l cfu  ~e?Ce §a<Xfite4,-rJ:Îo<Je/zli SlJ~wve


                                    (() ettre de Soeur Colette pour la journée des vocations à Vailly, le 9
                                 -.._.,  avril 1972


                                 "  Votre  désir  de  nous  rassembler  pour  une  journée  des  vocations  dans  ma
                                 paroisse  est  vraiment  généreux.  Je  suis  sûre  que  vous  saurez  me  découvrir
                                 présente  en  esprit  parmi  vous,  heureuse  de  vous  faire  partager  ma joie  de
                                 missionnaire. Je suis probablement la plus âgée de vos invités avec mes 90 ans
                                  ! Mon seul regret est de ne pouvoir vivre encore longtemps ma consécration et
                                 ma vie  missionnaire,  car vous  savez, je suis  arrivée  aux  Indes  le  17  octobre
                                  1900. En dépit d'une certaine prédiction dont je vous parlerai, j'y suis restée et
                                 j'y  resterai  si  Dieu  le  veut  beaucoup  plus  longtemps.  Peut-être  quelques
                                 vieillards parmi vous se  souviennent de m'avoir rencontrée le long des pentes
                                 d'Hermone.  Me  voilà  donc  le  17  octobre  1900  à  Bombay,  avec  cinq  autres
                                 soeurs.  Nous quittions Bombay vers deux heures de  l'après-midi pour arriver
                                 le lendemain  à Amravati à 4h30, ayant eu en cours de route une tasse de café
                                 et un petit morceau de pain. Aussi à mon arrivée, la Supérieure me  regardant
                                 attentivement déclara : "  celle-ci en aura pour deux ans  ".  Le climat éprouve
                                 beaucoup  nos  pauvres  soeurs.  Il  faut  dire  aussi  que  mes  compagnes  avaient
                                 meilleure  façon  et étaient  plus  roses  que  moi.  A  la récréation  du  soir,  cette
                                 remarque me poursuivait; jeme disais: il faut me dépêcher d'apprendre l'Indi
                                 et de  perfectionner l' Anglais, autrement le bon Dieu ne pourra pas croire que
                                 je viens de la Mission de l'Inde: et je m'y suis mise de tout mon coeur. Je pense
                                 que c'est aussi  que le Seigneur nous stimule en nous faisant comprendre qu'il
                                 n'y a pas de temps à perdre, qu'il reste tant à faire dans son Royaume. Les deux
                                 ans ont passé, et j'en compte 72 aux Indes. Je ne suis retournée au Pays qu'une
                                 fois  en  1935  pour deux mois. Le~  membres de  ma famille  reposaient dans  le
                                 Seigneur excepté mon frère  Missionnaire  de  St-François-de-Sales,  en charge
                                 d'une paroisse à Waltaire (Inde). Il est mort d'un coup de soleil en 1954. Il était
                                 parti à 18 ans et n'était jamais revenu en France.

                                 Vous  vous dîtes que c'était triste et vous vous apitoyez sur moi, et pourtant je
                                 vous garantis, je ne connais pas une femme plus heureuse que moi.
                                 Ce que j'ai fait  ? J'ai  travaillé  dans  nos  deux  Provinces  du  Nord et  du  Sud
                                 aidant à la formation des jeunes filles.  Pendant 36 ans, j'ai été Maîtresse des
                                 Novices et ma joie était profonde de préparer ces jeunes recrues venues d'un
                                 peu partout à prendre la relève de nos Soeurs françaises qui, l'une après l'autre,
                                 allaient  prendre  leur  repos  dans  les  petits  cimetières  blancs.  Plus  de  85  y
                                 dorment dans la paix.

                                 Aujourd'hui,  plus  de  600  Religieuses  indiennes  ont  dit  au  Seigneur qu'elles
                                 acceptaient  son  appel,  qu'elles  voulaient elles  aussi  servir leurs  frères.  Elles
                                 voulaient au fond partager notre joie, car plusieurs nous l'ont dit" vous avez le
                                 secret de la joie " et le Seigneur sait combien c'est vrai. A cause de cette joie,
                                 elles  acceptent comme je l'ai  accepté  autrefois  dans  mon  petit royaume  de
                                 Vailly de " risquer "  leur vie. Le beau risque de la vie ! On devient si avare
                                 en France aujourd'hui.


                                                         - S7 -
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