Page 58 - Les chemins de terre Complet
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(() ettre de Soeur Colette pour la journée des vocations à Vailly, le 9
-.._., avril 1972
" Votre désir de nous rassembler pour une journée des vocations dans ma
paroisse est vraiment généreux. Je suis sûre que vous saurez me découvrir
présente en esprit parmi vous, heureuse de vous faire partager ma joie de
missionnaire. Je suis probablement la plus âgée de vos invités avec mes 90 ans
! Mon seul regret est de ne pouvoir vivre encore longtemps ma consécration et
ma vie missionnaire, car vous savez, je suis arrivée aux Indes le 17 octobre
1900. En dépit d'une certaine prédiction dont je vous parlerai, j'y suis restée et
j'y resterai si Dieu le veut beaucoup plus longtemps. Peut-être quelques
vieillards parmi vous se souviennent de m'avoir rencontrée le long des pentes
d'Hermone. Me voilà donc le 17 octobre 1900 à Bombay, avec cinq autres
soeurs. Nous quittions Bombay vers deux heures de l'après-midi pour arriver
le lendemain à Amravati à 4h30, ayant eu en cours de route une tasse de café
et un petit morceau de pain. Aussi à mon arrivée, la Supérieure me regardant
attentivement déclara : " celle-ci en aura pour deux ans ". Le climat éprouve
beaucoup nos pauvres soeurs. Il faut dire aussi que mes compagnes avaient
meilleure façon et étaient plus roses que moi. A la récréation du soir, cette
remarque me poursuivait; jeme disais: il faut me dépêcher d'apprendre l'Indi
et de perfectionner l' Anglais, autrement le bon Dieu ne pourra pas croire que
je viens de la Mission de l'Inde: et je m'y suis mise de tout mon coeur. Je pense
que c'est aussi que le Seigneur nous stimule en nous faisant comprendre qu'il
n'y a pas de temps à perdre, qu'il reste tant à faire dans son Royaume. Les deux
ans ont passé, et j'en compte 72 aux Indes. Je ne suis retournée au Pays qu'une
fois en 1935 pour deux mois. Le~ membres de ma famille reposaient dans le
Seigneur excepté mon frère Missionnaire de St-François-de-Sales, en charge
d'une paroisse à Waltaire (Inde). Il est mort d'un coup de soleil en 1954. Il était
parti à 18 ans et n'était jamais revenu en France.
Vous vous dîtes que c'était triste et vous vous apitoyez sur moi, et pourtant je
vous garantis, je ne connais pas une femme plus heureuse que moi.
Ce que j'ai fait ? J'ai travaillé dans nos deux Provinces du Nord et du Sud
aidant à la formation des jeunes filles. Pendant 36 ans, j'ai été Maîtresse des
Novices et ma joie était profonde de préparer ces jeunes recrues venues d'un
peu partout à prendre la relève de nos Soeurs françaises qui, l'une après l'autre,
allaient prendre leur repos dans les petits cimetières blancs. Plus de 85 y
dorment dans la paix.
Aujourd'hui, plus de 600 Religieuses indiennes ont dit au Seigneur qu'elles
acceptaient son appel, qu'elles voulaient elles aussi servir leurs frères. Elles
voulaient au fond partager notre joie, car plusieurs nous l'ont dit" vous avez le
secret de la joie " et le Seigneur sait combien c'est vrai. A cause de cette joie,
elles acceptent comme je l'ai accepté autrefois dans mon petit royaume de
Vailly de " risquer " leur vie. Le beau risque de la vie ! On devient si avare
en France aujourd'hui.
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