Page 94 - La Lecture Expressive
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Leoture 43. Première journée d'hiver
1. Un matin, en m'éveillant, je vis que l'hiver était venu. Sa
blanche lumière remplissait ma petite chambre ; de gros flocons de
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neige descendaient du ciel par myriades et tourbillonnaient contre
mes vitres.
2. Dehors régnait le silence ; pas une âme ne courait dans la rue ;
tout le monde avait tiré sa porte. Les poules se taisaient, les chiens
regardaient du fond de leurs niches, et, dans les buissons voisins,
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les pauvres verdiers , grelottant sous leurs plumes ébouriffées,
jetaient ce cri plaintif de la misère qui ne finit qu'au printemps.
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3. Moi, le coude sur l'oreiller, les yeux éblouis , regardant la neige
s'amonceler au bord des petites fenêtres, je me figurais tout cela, et
je revoyais aussi les hivers passés : la lueur de notre grand fourneau
s'avançant et reculant le soir sur le plancher, l'oncle Jacob et ses
amis autour, le dos courbé, fumant leur pipe et causant de choses
indifférentes.
J'entendais le rouet de la vieille servante bourdonner dans le
silence, comme les ailes cotonneuses d'un papillon de nuit, et son
pied marquer la mesure de la complainte que chante la bûche verte
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au milieu du foyer.
Puis, dehors, je me représentais les glissades sur la rivière, les
parties de tratneau, la bataille a pelotes de neige, les éclats de rire,
la vitre cassée qui tombe, la vieille grand'mère qui crifi du fonù de
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l'allée, tandis que la bande se disper.se , les talons aux épaules.
4. Tout cela, dans une seconde, me revint à l'esprit, et, moitié
triste, moitié content, je me dis : « C'est l'hiver! »
ERcKMANN-CHATRIAN (Madame Thér~e, Hachette, éditeur).
LH mote : 1, Myriades: (proprement des dizaines de milliers, rapprochor
myriamètres) ; t,n quantite innombrable. 2. Verdiers: oli;eaux ressemblant aux
moineaux, et do•,t le plumage est vert. s. Éblouis: frappés par une lumière très
vive. 4, Complainte: chanson triste ; rapprocher plainte. 6. Se disperser: lt'
répandre, s'enfuir de côté et d'autre (rapprocher épars, éparpiller).