Page 90 - La Lecture Expressive
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Lecture 41. Après la paye du samedi
1. C'était mon voisin, cet .Arthur ... Tous les samedis j'entendais,
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sans en rien perdre, l'horrible drame qui se jouait dans ce ménage
d'ouvriers. Cela commençait toujours de la même façon. La femme
préparait le souper ; les enfants tournaient autour d'elle. Elle leur
parlait doucement, s'afîairait. Sept heures, huit heures : personne ...
A mesure que le temps se passait, sa voix changeait, roulait des
larmes, devenait nerveuse. Les enfants avaient faim, sommeil, com-
mençaient à grogner. L'homme n'arrivait toujours pas ; on mangeait
sans lui. Puis la marmaille couchée, elle venait sur le balcon de bois,
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et je l'entendais dire tout bas en sanglotant : « Oh ! la canaille !
la canaille !... »
2. Elle persistait dans son espoir, dans son attente, et restait là
accoudée, se racontant à elle-même et très haut sas tristesses.
C'étaient des loyers en retard, les fournisseurs qui la tourmentaient,,
le boulanger qui refusait le pain. Comment ferait-elle s'il rentrait
encore sans argent ? A la fin, la lassitude la prenait de guetter les
pas attardés, de compter les heures. Elle rentrait ; mais, longtemps
après, quand je croyais tout fini, on toussait près de moi sur la gale-
rie. Elle était encore là, la malheureuse, ramenée par l'inquiétude, se
tuant les yeux à regarder dans la ruelle noire.
3. Vers une neure, deux heures, quelque!ois plus tard, on chantait
au bout du passage. C'était Arthur qui rentrait.
Elle était terrible cette rentrée ... « Ouvre, c'est moi ... n
J'entendais les pieds nus de la femme sur le carreau, le frottement
des allumettes, et l'homme qui essayait de bégayer une histoire,
toujours la même : les camarades, l'entraînement. « Chose, tu sais
bien ... Chose qui travaille au chemin de fer. n La femme ne l'écoutait
pas:
« Et l'argent ?
- Je n'en ai plus, disait la voix d'Arthur.
- Tu mens ! ... )>