Page 652 - Les merveilles de l'industrie T1
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G48                   MERVEILLES DE L’INDUSTRIE


              tandis que celle de l’Océan n’est représentée que  I de l’embouchure du Jourdain. En outre, à part un
              par le chiffre de 1027), le corps humain n’y enfonce   échantillon d’eau recueilli par le capitaine Lynch à
              point, même lorsqu’il conserve une immobilité   1 Sabrasses de profondeur, sans les précautions qui
              complète. Ce fait, connu des anciens, fut vérifié,   seules auraient pu donner quelque valeur à cette
              selon l’iiislorien Josèphe, par Vespasien, qui y fît   expérience, tous les autres ont été pris à la surface
              jeter des criminels solidement garrottés. La mer   où le mélange, dans des proporiions sans cesse va­
              Morte ne partage cette propriété qu’avec un petit   riables, des eaux concentrées du lac avec les eaux
              nombre de lacs salés, dont le plus connu est le lac   douces des affluents, vient apporter un élément de
              Elton.                                    perturbation dont on retrouve les effets dans les dif­
                «Celte eau est extrêmement riche en chlorure et   férences marquées par les analyses. D’après des éva­
              en bromure de magnésium, et c’esl sans doute à   luations qui ne peuvent être naturellement bien
              l'abondance de ces sels qu’il faut attribuer l’absence   rigoureuses, le Jourdain, à certaines époques de
              complète, dans cette petite mer, de toute espèce de   l’année, amènerait à la mer Morte, pour y être éva­
              ces êtres animés qui vivent généralement dans les   porées, 6,500,000 tonnes d’eau pure, par jour. Quoi
              nappes d’eau salée (I). Cependant Ehrenberg a dé­  qu’il en soit de la valeur précise de cette estimalion,
              couvert dans la vase et dans l’eau recueillies direc­  il est probable que le débit du Jourdain égale à lui
              tement par Lepsius à l’extrémité nord-ouest du lac   seul, s’il ne le dépasse pas dans certaines saisons,
              Asphaltite, près de l’îlot et assez loin du bord, des   l’apport total des eaux douces que versent dans le
              foraminifères, dont 11 espèces appartenaient au   lac les autres rares affluents permanents.
              genre Polygaster, 2 au genre Polythalamia et 5 aux   «Malgré la chaleur extrême qui règne au fond de
              Phytolithariæ.                            cette dépression, on a grand’peine à se faire à l’idée
                « Le nombre des analyses chimiques auxquelles on   que celte masse d’eau charriée journellement par
              a soumis, à diverses reprises, des échantillons d’eau  I le Jourdain puisse être enlevée tout entière par le
              provenant de la mer Morte est devenu considérable ;  I seul fait de l’évaporation puissante qui s’exerce à
              mais, bien que la plupart de ces essais aient été   la surface du lac. Aussi conçoit-on l’embarras des
              faits par des savants du plus haut mérite, ils ont  ! Arabes qui, ne pouvant se rendre compte de la dis­
              conduit à des résultats notablement différents. Ces   parition d’un aussi grand volume d’eau, autrement
              analyses ne peuvent d’ailleurs donner une idée   que par l’intermédiaire d’une issue souterraine, ont
              juste de la salure générale du lac d’après les condi­  eu tout naturellement recours à cette hypothèse et
              tions mêmes où ces eaux ont été puisées. Lorsqu’on   se sont empressés d’admettre l’existence d’un canal
              recherche, en effet, les provenances de ces derniè­  de cette nature qui conduisait l’excédant des eaux
              res, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’elles ont tou­  de la mer Morte jusqu’au golfe Persique. Ils n’ont
              tes été recueillies à l’extrémité nord-ouest de la mer   fait, en cela, que reproduire l’erreur dans laquelle
              Morte (2) et à une distance plus ou moins rapprochée  étaient tombés les anciens à l’égard de quelques
                                                       ! autres lacs de l’Asie, erreur qui donna sans doute
                                                        naissance à la tradition des gouffres de la mer Cas­
               (1) Il existe d’autres lacs qui paraissent cependant, ainsi   pienne et influa également sur l’opinion d’Ératos-
              que la mer Morte, ne renfermer aucun organisme vivant.   thène, relativement aux lacs de la région qui nous
              Tels sont, entre autres, le lac de Kodj-Hissar, le lac Ur-   occupe ici.
              miali ou mer Morte Persique et même le lac Van, tous
              trois situés eh Asie Mineure.               Les masses d’eau douce que le Jourdain roule
                                                        ainsi vers la mer Morte surnagent, en raison d’une
               « L’eau du lac Kodj-Hissar, dit M. Hamilton, est par­
              faitement saturée et les poissons ne peuvent y vivre. Si   densité plus faible que celle des eaux du lac, et se
              l’aile d’un oiseau vient à effleurer sa surface, elle se   dirigent vers le sud en donnant lieu à un courant
              durcit immédiatement et pour toujours, par suite de   dont le capitaine Lynch avait reconnu l’existence,
              l’incrustation saline qui la recouvre. » ( Transact. of t/ie   et que notre compagnon de voyage, M. le lieutenant
              geol. Soc. of London, t. V, p. 583.)      de vaisseau Vignes, a pu suivre jusqu’au canal
               « Dans le lac Van, en Arménie, d’après M. de Chancour-   (c’est-à-dire jusqu’aux portions les plus méridio­
              tois, lors de la fonte des neiges, les poissons s’avancent   nales de la mer Morte), où ce courant conserve en­
              dans cette petite mer jusqu’à une certaine distance; en
              tout autre temps, les eaux du lac sont complètement   core une vitesse d’un demi-mille à l’heure. Dans le
              désertes au dire des habitants. » ( Comptes rendus de VA-   cours de notre navigation si heureusement accom­
              cad. des sc., t. XXI, p. 4.)              plie et si bien conduite par cet officier distingué, il
               Il paraîtrait que dans le lac Elton, dans le district d’O-   lui a été également possible de constater l’existence
              renbourg, dont la salure est si grande, il vit néanmoins   de contre-courants latéraux qui, malgré beaucoup
              quelques crustacés.                       d’irrégularités dans leurs allures, paraissent porter
               (2) Il est facile d’en deviner les motifs; cette plage pro­
              tégée par le voisinage du poste d’irréguliers turcs de Rika   côté du Jourdain. Elle offre ainsi aux nombreux voyageurs
              (Jéricho) et, mieux encore, par des conventions établies   et pèlerins qui, chaque année, font une visite au Jourdain
              depuis fort longtemps, est demeurée à l’abri des incur­  et au lac Asphaltite, une sécurité qui ne se retrouve sur
              sions des Bédouins indépendants qui sont campés de l’autre   aucun autre point du rivage de la mer Morte.
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