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tandis que celle de l’Océan n’est représentée que I de l’embouchure du Jourdain. En outre, à part un
par le chiffre de 1027), le corps humain n’y enfonce échantillon d’eau recueilli par le capitaine Lynch à
point, même lorsqu’il conserve une immobilité 1 Sabrasses de profondeur, sans les précautions qui
complète. Ce fait, connu des anciens, fut vérifié, seules auraient pu donner quelque valeur à cette
selon l’iiislorien Josèphe, par Vespasien, qui y fît expérience, tous les autres ont été pris à la surface
jeter des criminels solidement garrottés. La mer où le mélange, dans des proporiions sans cesse va
Morte ne partage cette propriété qu’avec un petit riables, des eaux concentrées du lac avec les eaux
nombre de lacs salés, dont le plus connu est le lac douces des affluents, vient apporter un élément de
Elton. perturbation dont on retrouve les effets dans les dif
«Celte eau est extrêmement riche en chlorure et férences marquées par les analyses. D’après des éva
en bromure de magnésium, et c’esl sans doute à luations qui ne peuvent être naturellement bien
l'abondance de ces sels qu’il faut attribuer l’absence rigoureuses, le Jourdain, à certaines époques de
complète, dans cette petite mer, de toute espèce de l’année, amènerait à la mer Morte, pour y être éva
ces êtres animés qui vivent généralement dans les porées, 6,500,000 tonnes d’eau pure, par jour. Quoi
nappes d’eau salée (I). Cependant Ehrenberg a dé qu’il en soit de la valeur précise de cette estimalion,
couvert dans la vase et dans l’eau recueillies direc il est probable que le débit du Jourdain égale à lui
tement par Lepsius à l’extrémité nord-ouest du lac seul, s’il ne le dépasse pas dans certaines saisons,
Asphaltite, près de l’îlot et assez loin du bord, des l’apport total des eaux douces que versent dans le
foraminifères, dont 11 espèces appartenaient au lac les autres rares affluents permanents.
genre Polygaster, 2 au genre Polythalamia et 5 aux «Malgré la chaleur extrême qui règne au fond de
Phytolithariæ. cette dépression, on a grand’peine à se faire à l’idée
« Le nombre des analyses chimiques auxquelles on que celte masse d’eau charriée journellement par
a soumis, à diverses reprises, des échantillons d’eau I le Jourdain puisse être enlevée tout entière par le
provenant de la mer Morte est devenu considérable ; I seul fait de l’évaporation puissante qui s’exerce à
mais, bien que la plupart de ces essais aient été la surface du lac. Aussi conçoit-on l’embarras des
faits par des savants du plus haut mérite, ils ont ! Arabes qui, ne pouvant se rendre compte de la dis
conduit à des résultats notablement différents. Ces parition d’un aussi grand volume d’eau, autrement
analyses ne peuvent d’ailleurs donner une idée que par l’intermédiaire d’une issue souterraine, ont
juste de la salure générale du lac d’après les condi eu tout naturellement recours à cette hypothèse et
tions mêmes où ces eaux ont été puisées. Lorsqu’on se sont empressés d’admettre l’existence d’un canal
recherche, en effet, les provenances de ces derniè de cette nature qui conduisait l’excédant des eaux
res, on ne tarde pas à s’apercevoir qu’elles ont tou de la mer Morte jusqu’au golfe Persique. Ils n’ont
tes été recueillies à l’extrémité nord-ouest de la mer fait, en cela, que reproduire l’erreur dans laquelle
Morte (2) et à une distance plus ou moins rapprochée étaient tombés les anciens à l’égard de quelques
! autres lacs de l’Asie, erreur qui donna sans doute
naissance à la tradition des gouffres de la mer Cas
(1) Il existe d’autres lacs qui paraissent cependant, ainsi pienne et influa également sur l’opinion d’Ératos-
que la mer Morte, ne renfermer aucun organisme vivant. thène, relativement aux lacs de la région qui nous
Tels sont, entre autres, le lac de Kodj-Hissar, le lac Ur- occupe ici.
miali ou mer Morte Persique et même le lac Van, tous
trois situés eh Asie Mineure. Les masses d’eau douce que le Jourdain roule
ainsi vers la mer Morte surnagent, en raison d’une
« L’eau du lac Kodj-Hissar, dit M. Hamilton, est par
faitement saturée et les poissons ne peuvent y vivre. Si densité plus faible que celle des eaux du lac, et se
l’aile d’un oiseau vient à effleurer sa surface, elle se dirigent vers le sud en donnant lieu à un courant
durcit immédiatement et pour toujours, par suite de dont le capitaine Lynch avait reconnu l’existence,
l’incrustation saline qui la recouvre. » ( Transact. of t/ie et que notre compagnon de voyage, M. le lieutenant
geol. Soc. of London, t. V, p. 583.) de vaisseau Vignes, a pu suivre jusqu’au canal
« Dans le lac Van, en Arménie, d’après M. de Chancour- (c’est-à-dire jusqu’aux portions les plus méridio
tois, lors de la fonte des neiges, les poissons s’avancent nales de la mer Morte), où ce courant conserve en
dans cette petite mer jusqu’à une certaine distance; en
tout autre temps, les eaux du lac sont complètement core une vitesse d’un demi-mille à l’heure. Dans le
désertes au dire des habitants. » ( Comptes rendus de VA- cours de notre navigation si heureusement accom
cad. des sc., t. XXI, p. 4.) plie et si bien conduite par cet officier distingué, il
Il paraîtrait que dans le lac Elton, dans le district d’O- lui a été également possible de constater l’existence
renbourg, dont la salure est si grande, il vit néanmoins de contre-courants latéraux qui, malgré beaucoup
quelques crustacés. d’irrégularités dans leurs allures, paraissent porter
(2) Il est facile d’en deviner les motifs; cette plage pro
tégée par le voisinage du poste d’irréguliers turcs de Rika côté du Jourdain. Elle offre ainsi aux nombreux voyageurs
(Jéricho) et, mieux encore, par des conventions établies et pèlerins qui, chaque année, font une visite au Jourdain
depuis fort longtemps, est demeurée à l’abri des incur et au lac Asphaltite, une sécurité qui ne se retrouve sur
sions des Bédouins indépendants qui sont campés de l’autre aucun autre point du rivage de la mer Morte.