Page 11 - Coeurs Vaillants Num 03
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     B ment de bascule qu’il provoqua en se dressant projeta au sol   jeune Targui tenait à bout de bras une selle ornée de cuir de
     ■ le méhariste novice. Pour l’en punir, on l’attacha durant plu-   couleurs, piquée de clous de cuivre et surmontée d’un pom­
     ■ sieurs jours à une « noria » et, sans interruption, il tourna la   meau en forme de croix. Accompagné de tous les membres de
     F rudimentaire machine du désert pour ramener l’eau du puits   la tribu, il arriva près de Chaouch et posa la « Rahla » sur le
     ■ à la surface.                                            garrot de la bête. Docilement, très fier de cette haute distinc­
         Un peu plus tard, Chaouch fut conduit à l’abreuvoir. Lon­  tion, Chaouch se laissa parer de tous les équipements.
       guement, posément, il but une eau saumâtre jusqu’à ce que   Une main sur l’épaule de son fils, d’une voix solennelle,
       sa panse en fût pleine.                                  Mohamed Ag Adjoulé formula les souhaits de bon voyage.
         Ainsi gorgé, pouvant vivre de longs jours sur ses réserves,   « Dieu est grand, mon fils ! Qu’il te permette de déjouer
       il reçut une charge bien arrimée sur son bât. Chose étrange,   les embûches du chemin ! Qu’il écarte de toi les mauvais
       les autres bêtes étaient beaucoup plus lourdement chargées   génies. Vois, la bête que je t’ai donnée est forte, vigoureuse,
       que lui.                                                 digne par sa race de te conduire au terme de ton voyage.
         Lorsque les grandes tentes en poil de chameau furent   Maintenant, va ! » .
       démontées, le voyage commença dans le brouhaha du départ.   Une pression du pied sur l’encolure et Chaouch se releva.
       Peu à peu, la ligne sombre de la palmeraie s’estompa en ar­  En réponse au salut de ses familiers, le jeune guerrier leva un
       rière et Chaouch connut enfin la grande solitude du désert.  bras puis il poussa sa monture vers un défilé ouvert au flanc
         Durant des jours et des jours, les nomades n’eurent d’autre   du Djebel. Suivant le lit d’un oued desséché, il s’enfonça dans
       horizon que l’étendue morne et désespérante de la Hammada.   une gorge profonde et disparut. Le silence qui planait au-des­
       Puis le paysage se transforma. Dans le lointain se dessinèrent   sus de ce paysage sauvage eût impressionné tout autre que ce
       des ondulations brunes qui, au fur et à mesure de l’avance,   fils du désert qui suivait une piste invisible mais sûre.
       semblaient monter à l’assaut du ciel.                     Il arriva» bientôt sur une corniche de basalte dominant une
         Chaouch ne tarda pas à reconnaître, d’instinct, les mon­  plaine- immense. Une main en visière au-dessus de ses yeux,
       tagnes austères et grandioses, berceau de ceux de sa race :   il ne tarda pas à découvrir au fond de la vallée un petit nuage
       le Hoggar. Il était, en effet, un des seuls sinon le seul cha­  de poussière. Là-bas, une caravane avançait lentement.
       meau de la caravane à appartenir à la race robuste et noble   Par une piste dont il connaissait les moindres détours, le
       de ces bêtes qui, grâce à leur semelle plus fortement cornée,   Targui se porta à sa rencontre. Puis il poussa sa monture au
       peuvent s’aventurer dans ces éboulis de roches éclatées par le   trot. A mesure que la distance diminuait, Ag Adougen dis­
       soleil de feu. Les égards dont il avait été l’objet depuis le   tinguait au milieu de la caravane deux chameaux portant un
       départ, les soins qu’on apportait maintenant à la toilette de   « bassoum » ou palanquin du désert. Ces carcasses faites de
       son pelage poussiéreux, tout laissait prévoir pour lui un évé­  cerceaux et recouvertes de tentures bariolées forment des
       nement important. Il était devenu un superbe animal, fort,   sortes de tentes où les femmes sont à l’abri pour voyager.
       musclé, endurant. Sa robe, qui avait viré du brun au beige,   Le jeune maître de Chaouch s’était enfoncé seul dans ce
       devenait maintenant presque blanche.
                                                                pays pour se porter, selon la coutume, à la rencontre de sa
                                                                fiancée.
                                                                  Le mariage fut célébré en grandes pompes en plein cœur du
                                                                Hoggar.
         Dès le lendemain, alors que le soleil déjà ardent dissipait
                                                                                         *
       quelques vapeurs descendues des montagnes, le campement                          ¥ ¥
       s’éveilla dans une atmosphère de fête. Le thé fumant passait
       de main en main. Bientôt un cercle admiratif et respectueux   Quelques années plus tard, lorsqu'un jour Chaouch, bara­
       se forma autour d’un jeune guerrier vêtu de ses plus beaux   qué à l’ombre d’une tente, fut monté pour la première fois
       atours. Un poignard au manche finement ciselé, passé à sa   par un jeune garçon, il se souvint de la mésaventure de son
       ceinture, symbolisait son rang dans la tribu.
                                                                jeune âge. Il se releva en prenant soin d’éviter toute secousse
         Chaouch reconnut aussitôt le fils du chef. Ag Oudagen   trop brutale et parut ravi d'entendre les éclats de rire du fils de
       était devenu un beau jeune homme depuis le jour où Chaouch,   son maître.
       en se relevant trop brusquement, l’avait projeté à terre. Le                                  Guy DENIS.
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