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nés. Or, il est impossible de transporter jus nu. Puis il s’arrête à celui qui
que là des machines aussi volumineuses, il lui semble meilleur. Il avait re
faut donc les amener en pièces détachées. marqué dans un corridor un
C’est là que se place un épisode qui montre vasistas à la partie supérieure
l’extraordinaire faculté d’adaptation de Vé d’une fenêtre qui donnait sur la
lin. Vélin va à Grenoble. On lui montre la façade. Une fois passé à travers
presse à imprimer. La lui expédier en pièces le vasistas, il suffisait de sauter.
détachées, c’est très bien, mais ensuite com Evidemment il était impossible
ment la remonter ? La machine est complexe de passer inaperçu. Mais on
et Véllin n’en a jamais vu. Mais lui, qui a pouvait compter sur un effet de
gardé de sa formation primaire le goût du surprise.
pratique, et qui n’aime rien tant que le bri Les détenus, en attendant la
colage, demande simplement une clef, prend question, étaient enfermés dans
une salopette et, sous des regards d’abord une salle et gardés par une sen
ironiques, puis admiratifs, en quelques heu tinelle qui barrait la porte. Vé
res il démonte complètement la machine et lin, lentement, se coule le long
la remonte. Maintenant il saura faire.
du mur, passe derrière la senti
La presse installée, il faut la faire mar nelle, parcourt le corridor, ac
cher. L’électricité est sévèrement rationnée. cède au vasistas. Au-dessous
Vélin n’hésite pas. Avec l’appui de quelques de lui il aperçoit la sentinelle
faux tampons, il demande tout simplement qui garde la porte. Sa chance
le régime prioritaire des entreprises travail tient dans un dixième de se
lant pour l’Allemagne, et il l’obtient. Désor conde. Vélin saute, tombe à
mais, l’imprimerie tourne. On sort « Ac côté de la sentinelle qui sans
tion », « Défense de la France », « Combat » doute perdue dans la nostalgie
surtout, qu’on tire à 300.000 par semaine et du pays, met un moment à re
même un « Combat » illustré qui a du suc venir de son émotion, à bra
cès. En tout, journaux'et tracts sortent au quer son arme... Vélin court, et
rythme de 1.500.000 exemplaires par mois. il est déjà rue de Marseille lors
Mais dans cette vie perpétuellement me que la sentinelle tire. A nou
nacée de résistant, une telle prospérité n’était veau, il est libre. Sans doute
que de courte durée. Le 8 mars 44, Vélin est-il le seul à s’être jamais
était arrêté à un rendez-vous. Enfermé à évadé) de l’Ecole de Santé. Il
Montluc pendant 55 jours, il sera torturé aurait dû être fusillé le lende
régulièrement chaque semaine dans l’Ecole main.
de Santé Militaire, devenue le siège de la On était au début de mai.
Gestapo, dans cette même Ecole où, poly Vélin reprit le travail. On lui
technicien, il était venu tant de fois. Vélin disait de s’éloigner, d’aller pren
savait presque tout de la Résistance à Lyon ; dre le commandement d’un
ce qu’il a souffert, lui-même ne parle pas.
Mais quoi qu’il arrive, il l’a décidé, il ne
tombera plus jamais vivant entre leurs
maips.
« Il jouait maintenant un jeu infernal, où
il n’y avait place que pour la réussite ou la
mort. Il avait créé pour lui, de toutes pièces,
une carte de la Gestapo, requérant pour son
possesseur aide des polices allemande et
française. Son nom, son dernier nom, hélas,
était Prestre.
Nous étions liés par une amitié qui s’af
firma jusqu’au bout, mais cette direction
m’effraya. La Gestapo était puissante, les
primes déchaînaient autour de nous un ré
seau formidable. J’étais partisan, en face de
cette situation, de la décentralisation de nos
services, de la lutte en cellules de travail plus
hermétiquement closes. Lui se jetait à corps
LE PORTAIL DE FER. TOUJOURS FERMÉ, SAUF LA TERRASSE QUE VÉLIN ET LUCIENNE TRAVER perdu en pleine tourmente, dans un agran
LORSQU’IL LAISSAIT PASSER DES CAMIONS, SÈRENT EN COURANT. (Vue sur la cour intérieure). dissement définitif de l’entreprise. Certes,
FERMÉS EUX-MÊMES - QUI CONTENAIENT LE
PAPIER. ET LES PRODUCTIONS DE L’IMPRIMERIE. avec la création de l’atelier de photogravure,
on Acquerrait une entière autonomie, mais
au prix de quels risques supplémentaires.
il ne dira rien. Le sang-froid de cet homme maquis. Il répondait : « Je me reposerai au Nous étions rue Viala, une dizaine — que
est extraordinaire. Il répétait souvent que mois d’août ». Il ne devait pas voir le mois la policé se saisisse d’un seul d’entre nous
tout est possible à condition de s’y préparer d’août, ni cette levée en masse qu’il avait et qu’à bout de forces celui-ci parle, il ne
méthodiquement. Méthodiquement donc, à préparée, ni le soleil, les drapeaux, les cor resterait plus rien de tout cela » (2)
chacune des séances de la Gestapo, Vélin tèges de la Victoire. De cet enfer dont il
prépare son évasion. Il examine d’abord une sort, Vélin revient avec d’effroyables visions Ce n’est pas de cette façon que la catas
première possibilité : les égouts, mais une dans les yeux, et avec une détermination trophe arriva. En ce temps là, les coups
durs venaient toujours par le ' biais, et
brève tentative lui montre que les Allemands implacable : « Quand on n’a pas vu, dit-il, du côté d’où on ne les attendait pas.
ont prévu le coup. Il dresse alors d’autres un homme de 60 ans assassiné à coups de
plans. Dans l’un, même, il devait s’évader pied dans le ventre, on n’a rien vu ». De (2) <« Combats dans l’Ombre » pages 37, 38.
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