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histoire le chauffeur prend la fuite à toute
vitesse. Malheureusement (et tous ceux qui
ont travaillé dans la Résistance savent l’im
portance de ces hasards malheureux) une
voiture de gendarmerie se trouvait là : elle
prit la camionnette en chasse, la rattrapa ;
le chauffeur questionné fit des aveux. Le
lendemain l’usine des Câbles de Lyon
est cernée par la Gendarmerie. Les lieute
nants de Vélin, qui travaillaient à la même
usine, prévenus immédiatement réussissent
à s’échapper. Vélin se trouvait dans un café
voisin qui lui servait de boîte aux lettres ;
la gendarmerie survient et l’arrête. Vélin est
emmené) à la caserne du cours Suchet, inter
rogé : l’affaire paraît grave, demain le dossier
sera transmis à la Sûreté. Comme toujours,
sans s’inquiéter, Vélin examine les issues et
mesure les distances. Précisément la sonnerie
du téléphone retentit dans la pièce où deux
gendarmes le surveillent. Le premier des
gardiens va répondre au téléphone, mais la
ligne devait être mauvaise, il entend mal et
il appelle à la rescousse le second gendarme
qui prend l’écouteur. En vitesse, Vélin prend
la porte. Il est pressé et la cour est grande,
mais là il faut avant tout, avoir l’air naturel,
E n’ai pas eu, dans la Résistance, l’hon rétabli, il finit à Lyon sa seconde année de ne pas courir. Vélin marche d’un pas me
suré, mais rapide. La porte est franchie, il
J neur de travailler avec Vélin. Mais nieur aux Cables de Lyon où il devait res court, il est libre.
Polytechnique, puis il entre comme ingé
nous sommes quelques-uns qui avons
ter jusqu’à sa première arrestation.
une dette envers lui. Car ce fut Vélin,
Pour l’équipe, c’était un coup sensible, il
qui, sans qu’il prononçât une parole, André Bollier sera de la première équipe fallut remonter l’affaire. Vélin la remonte.
et sans même qu’il le sût, nous amena à de la Résistance en zone sud, celle de Henry On imprime d’abord chez Dupont (1). Puis
prendre notre place dans le combat libé Frenay. Dès le printemps de 1941 avec Jean c’est en pleine brousse, aux environs de Cré-
rateur. Son histoire sera faite ensuite, et ses Guy, il diffuse à Lyon les Petites Ailes. Tou mieux, que l’imprimerie se transporte. Mais
exploits plus tard seront mieux connus. Mais jours avec Frenay, il passe à Combat qui la campagne a des inconvénients ; il vaut
nous devions souligner avant tout que Vélin succède aux Petites Ailes. Cependant, la se mieux opérer sur place ; on décide donc de
fut un héros, dans le plein sens que Bergson crétaire de Frenay, Mme Albrecht, avait été s’installer à Lyon. L’endroit choisi est une
donnait à ce mot, c’est-à-dire que non seule arrêtée. En simulant la folie, elle avait réussi villa d’une rue de banlieue, la rue Viala,
ment ses actes furent glorieux, mais encore
que sa personne possédait cette incomparable
faculté de dominer et d’entraîner les autres
derrière soi. Ceci ne pourra jamais être ra
conté, son visage énergique, son allure sou
ple et rapide, son regard surtout, étrange et
fascinateur... Nous savions que cet homme,
grand blessé de 40, et souffrant encore des
suites de sa blessure, jeune marié, ingénieur
promis à un grand avenir, avait pourtant
tout sacrifié et menait la vie du hors-la-loi.
Deux fois évadé, trois fois condamné à
mort, et toujours sous des noms différents,
il continuait, refusant de se reposer, refusant
de changer d’activité, refusant de quitter une
ville où pourtant tous les agents de la Ges
tapo possédaient sa photographie...
Quand tout s’obscurcit, quand hommes
d’Etat, intellectuels et théologiens, brouillent
les notions les plus simples, c’est par des
hommes comme ceux-ci que passe d’ordi
naire l’appel du devoir.
ICI DES PATRIOTES ONT ÉTÉ ASSASSINÉS. LA PLAQUE COMMÉMORATIVE.
André Bollier, qui devait prendre dans la
Résistance le surnom de Vélin, André Bollier
n’avait pas 18 ans lorsqu’en 1938, il fut reçu à se faire interner à Bron. Vélin, avec quel qui se trouve derrière Grange-Blanche. Le
à l’Ecole Polytechnique. Il y donnait l’im ques camarades, organise un coup de main: coin est tranquille, l’équipe organise son re
pression d’assez peu travailler, s’occupant le 22 décembre 42, il délivre Mme Albrecht. paire et double les cloisons pour étouffer les
de musique autant que de mathématique. On sait que celle-ci, refusant elle aussi bruits. On devine sans peine les difficultés.
Mais son extraordinaire intelligence suffisait d’abandonner la lutte, devait être reprise et Pour imprimer, il faut d’abord des machi-
à tout, il devait sortir quatrième de l’Ecole. décapitée à Paris.
(i) Dupont qui fut un compagnon de Vélin, a écrit
Sa première année terminée, il passa à Fon Ce fut un ou deux jours après que la l’histoire de l’équipe dans un petit livre admirable de
tainebleau et fait la guerre. Blessé très griè première catastrophe survint. La camionnette naturel, et où tous les résistants retrouveront l’atmos
vement au ventre, André Bollier est soigné • qui transportait « Combat » entre en colli phère qu’ils connurent. (Dupont : «Combats dan»
f’Ombre » Editions P. DERAIN, 8ï,. rue Bossuet,
puis rapatrié par les Allemands. Une fois sion avec une voiture. Désireux d’éviter toute Lyon).