Page 10 - aux armes_8
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histoire le chauffeur prend la fuite à toute
                                                                                                  vitesse. Malheureusement (et tous ceux qui
                                                                                                  ont travaillé dans la Résistance savent l’im­
                                                                                                  portance de ces hasards malheureux) une
                                                                                                  voiture de gendarmerie se trouvait là : elle
                                                                                                  prit la camionnette en chasse, la rattrapa ;
                                                                                                  le chauffeur questionné fit des aveux. Le
                                                                                                  lendemain l’usine des Câbles de Lyon
                                                                                                  est cernée par la Gendarmerie. Les lieute­
                                                                                                  nants de Vélin, qui travaillaient à la même
                                                                                                  usine, prévenus immédiatement réussissent
                                                                                                  à s’échapper. Vélin se trouvait dans un café
                                                                                                  voisin qui lui servait de boîte aux lettres ;
                                                                                                  la gendarmerie survient et l’arrête. Vélin est
                                                                                                  emmené) à la caserne du cours Suchet, inter­
                                                                                                  rogé : l’affaire paraît grave, demain le dossier
                                                                                                  sera transmis à la Sûreté. Comme toujours,
                                                                                                  sans s’inquiéter, Vélin examine les issues et
                                                                                                  mesure les distances. Précisément la sonnerie
                                                                                                  du téléphone retentit dans la pièce où deux
                                                                                                  gendarmes le surveillent. Le premier des
                                                                                                  gardiens va répondre au téléphone, mais la
                                                                                                  ligne devait être mauvaise, il entend mal et
                                                                                                  il appelle à la rescousse le second gendarme
                                                                                                  qui prend l’écouteur. En vitesse, Vélin prend
                                                                                                  la porte. Il est pressé et la cour est grande,
                                                                                                  mais là il faut avant tout, avoir l’air naturel,
                      E n’ai pas eu, dans la Résistance, l’hon­  rétabli, il finit à Lyon sa seconde année de   ne pas courir. Vélin marche d’un pas me­
                                                                                                  suré, mais rapide. La porte est franchie, il
                   J    neur de travailler avec Vélin. Mais   nieur aux Cables de Lyon où il devait res­  court, il est libre.
                                                           Polytechnique, puis il entre comme ingé­
                        nous sommes quelques-uns qui avons
                                                           ter jusqu’à sa première arrestation.
                        une dette envers lui. Car ce fut Vélin,
                                                                                                    Pour l’équipe, c’était un coup sensible, il
                        qui, sans qu’il prononçât une parole,   André Bollier sera de la première équipe   fallut remonter l’affaire. Vélin la remonte.
                   et sans même qu’il le sût, nous amena à   de la Résistance en zone sud, celle de Henry   On imprime d’abord chez Dupont (1). Puis
                   prendre notre place dans le combat libé­  Frenay. Dès le printemps de 1941 avec Jean   c’est en pleine brousse, aux environs de Cré-
                   rateur. Son histoire sera faite ensuite, et ses   Guy, il diffuse à Lyon les Petites Ailes. Tou­  mieux, que l’imprimerie se transporte. Mais
                   exploits plus tard seront mieux connus. Mais   jours avec Frenay, il passe à Combat qui   la campagne a des inconvénients ; il vaut
                   nous devions souligner avant tout que Vélin   succède aux Petites Ailes. Cependant, la se­  mieux opérer sur place ; on décide donc de
                   fut un héros, dans le plein sens que Bergson   crétaire de Frenay, Mme Albrecht, avait été   s’installer à Lyon. L’endroit choisi est une
                   donnait à ce mot, c’est-à-dire que non seule­  arrêtée. En simulant la folie, elle avait réussi  villa d’une rue de banlieue, la rue Viala,
                   ment ses actes furent glorieux, mais encore
                   que sa personne possédait cette incomparable
                   faculté de dominer et d’entraîner les autres
                   derrière soi. Ceci ne pourra jamais être ra­
                   conté, son visage énergique, son allure sou­
                   ple et rapide, son regard surtout, étrange et
                   fascinateur... Nous savions que cet homme,
                   grand blessé de 40, et souffrant encore des
                   suites de sa blessure, jeune marié, ingénieur
                   promis à un grand avenir, avait pourtant
                   tout sacrifié et menait la vie du hors-la-loi.
                   Deux fois évadé, trois fois condamné à
                   mort, et toujours sous des noms différents,
                   il continuait, refusant de se reposer, refusant
                   de changer d’activité, refusant de quitter une
                   ville où pourtant tous les agents de la Ges­
                   tapo possédaient sa photographie...
                     Quand tout s’obscurcit, quand hommes
                   d’Etat, intellectuels et théologiens, brouillent
                   les notions les plus simples, c’est par des
                   hommes comme ceux-ci que passe d’ordi­
                   naire l’appel du devoir.


                                                             ICI DES PATRIOTES ONT ÉTÉ ASSASSINÉS.      LA PLAQUE COMMÉMORATIVE.
                     André Bollier, qui devait prendre dans la
                   Résistance le surnom de Vélin, André Bollier
                   n’avait pas 18 ans lorsqu’en 1938, il fut reçu   à se faire interner à Bron. Vélin, avec quel­  qui se trouve derrière Grange-Blanche. Le
                   à l’Ecole Polytechnique. Il y donnait l’im­  ques camarades, organise un coup de main:   coin est tranquille, l’équipe organise son re­
                   pression d’assez peu travailler, s’occupant   le 22 décembre 42, il délivre Mme Albrecht.   paire et double les cloisons pour étouffer les
                   de musique autant que de mathématique.   On sait que celle-ci, refusant elle aussi   bruits. On devine sans peine les difficultés.
                   Mais son extraordinaire intelligence suffisait   d’abandonner la lutte, devait être reprise et   Pour imprimer, il faut d’abord des machi-
                   à tout, il devait sortir quatrième de l’Ecole.   décapitée à Paris.
                                                                                                   (i) Dupont qui fut un compagnon de Vélin, a écrit
                   Sa première année terminée, il passa à Fon­  Ce fut un ou deux jours après que la   l’histoire de l’équipe dans un petit livre admirable de
                   tainebleau et fait la guerre. Blessé très griè­  première catastrophe survint. La camionnette   naturel, et où tous les résistants retrouveront l’atmos­
                   vement au ventre, André Bollier est soigné   • qui transportait « Combat » entre en colli­  phère qu’ils connurent. (Dupont : «Combats dan»
                                                                                                  f’Ombre » Editions P. DERAIN, 8ï,. rue Bossuet,
                   puis rapatrié par les Allemands. Une fois   sion avec une voiture. Désireux d’éviter toute   Lyon).
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