Page 12 - aux armes_8
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VELIN (Suite de la page précédente)


                                                      La maison était en pleine activité. On   Vacher fut traîné vers la maison en face,
                                                      sortait et diffusait la Marseillaise avec   Jaillet trouvé dans un réduit fut inter­
                                                      succès. Mais un jour, un camion alle­  rogé : « Voulez-vous parler ? » lui de­
                                                      mand fut attaqué près de la rue Viala.   mande le chef. — « Je ne dirai rien »,
                                                      Devant la menace de perquisition, l’é­  répondit Jaillet sans hésitation. Les pom­
                                                      quipe évacua, et fut sans doute remar­  piers arrivèrent à cet instant, pour étein­
                                                      quée. Ce fut sans doute là l’origine de   dre l’incendie provoqué par les grenades ;
                                                      dénonciations, qui sont certaines, sans   ils entendirent nettement un milicien dire
                                                      qu’on en connaisse exactement l’origine.  au chef en désignant le courageux typo :
                                                                                           — Que fait-on de cet homme ? « Fusillez-
     C'EST PAR CET ESCALIER QUE, DE LA COUR INTÉRIEURE.   Le samedi 17 juin 1944, vers 14 heures,   le ». Des volontaires, et l’on vit cette
              ILS BONDIRENT SUR LA TERRASSE.          un car de miliciens arrive rue Viala (3).   racaille infecte, s’offrir pour l’horrible
                                                      Le quartier est cerné. La population   besogne. Jaillet, fermement, dignement,
                                                      affolée se cache. Un silence impression­  boutonna sa veste bleue de travail et fit
                                                      nant, troublé seulement par quelques   face à cette meute sans nom. Des coups
                                                      commandements. Puis un second car,   de feu éclatèrent, il s’abattit comme une
                                                      rempli cette fois d’Allemands, survient.   masse. Ils pouvaient se réjouir, car les
                                                      L’objectif, c’est cette maison de la rue   circonstances de la surprise les avait puis­
                                                      Viala, avec sa petite cour intérieure, et   samment aidés ; si la fusillade n’avait
                                                      son immense terrasse couverte. A l’inté­  pas interdit à Vélin l’accès du second
                                                      rieur se trouve une partie de l’éiquipe   bâtiment où se trouvaient une mitrail­
                                                      Vélin, Jaillet, Vacher et Lucienne. Par   lette, deux grenades, cinq revolvers, dont
                                                      chance, les autres Mazel, Martin, Du­  deux parabellums, la bataille aurait été
                                                      pont, Dédé, Lucien et Philippe sont partis   plus chaude et les Allemands et miliciens
                                                      se reposer car ils ont travaillé toute la   auraient payé plus cher leur équipée de
                                                      nuit.                                forbans. Le destin n’avait pas voulu que
                                                        Les maisons avoisinantes sont occupées   les hommes de la rue Viala se mesuras­
                                                      par les Allemands qui grimpent sur les   sent avec leurs adversaires dans toutes
                                                      toits, armes en mains. Y             leurs forces ; le sang aurait coulé : les
                                                                                           chacals auraient compté leurs morts » (4)
                                                        Trois miliciens passent par un jardin
                                                      voisin, arrivent à pas de loup devant la   Lucienne devait s’évader de l’hôpital.
                                                      pièce où se trouve l’équipe, et crient par   Vélin, lui, était mort.
      VÉLIN ET LUCIENNE SAUTÈRENT LE MUR SÉPARANT     un vasistas : « Rendez-vous, vous êtes
      L'IMPRIMERIE DE LA PROPRIÉTÉ VOISINE A L'ENDROIT   pris ». Vacher tente de fuir, il est aussitôt
                OU SE TROUVE LE SOLDAT.
                                                      abattu. Véllin referme le vasistas, prend   A tout ceci, nous voudrions donner
                                                      son revolver, et tire. Deux miliciens tom­  deux conclusions :
                                                      bent, le troisième blessé, se sauve et va   La première, c’est qu’à l’heure où nous
                                                      chercher du renfort. Des toits et des fenê­  écrivons, le voyou qui acheva Vélin n’a
                                                      tres, Allemands et miliciens tirent sur la   été ni exécuté, ni jugé. Il vit encore en
                                                      maison et criblent de balles la seule issue   prison.
                                                      de secours.
                                                                                             Quant à cette histoire que nous venons
                                                        Vélin qui comme toujours, a conservé   d’esquisser nos camarades l’auront facile­
                                                      son sang-froid, décide de se sauver ; il   ment reconstituée. Que ceux qui n’ont pas
                                                      entraîne Lucienne avec lui. Profitant d’un   vécu l’Epopée de la Résistance, et qui
                                                      instant de répit, ils traversent la petite   quelquefois en méconnaissent la grandeur
                                                      cour. Une grenade explose derrière eux.   réfléchissent du moins sur le courage
                                                      Ils grimpent des escaliers, s’enfuient à   qu’il fallut à cet homme, et sur le sang-
                                                      travers la terrasse, balayée par des ra­  froid qu’il manifesta en toute occasion.
                                                      fales de fusil-mitrailleurs. Les Allemands   Dans une vie où tout était improvisation,
                                                      lancent des grenades du toit voisin.   il sut monter et faire tourner une impri­
                                                      Qu’importe : Lucienne est soulevée par   merie puissante, dans une vie où le dan­
                                                      Vélin. Ils sautent par-dessus le mur, tra­  ger n’était pas seulement devant, mais
                                                      versent un jardin, franchissent un autre   derrière, à côté et partout, malgré les tor­
                                                      mur, courent à toute vitesse. Le cours   tures, obligé de se faire opérer en fraude,
                                                      Eugénie est proche, tous deux commen­  épuisé, consumé, Vélin n’abandonna ja­
    Ci-dessus. - ASPECT EXTÉRIEUR DE L'IMPRIMERIE : L'ATELIER
    ÉTAIT SÉPARÉ DE LA FENÊTRE PAR UNE PAROI CAPITONNÉE.  cent à espérer. Une barrière est démolie   mais la lutte. En vérité, pour ces hommes,
                                                      fébrilement par Vélin. Las, un milicien
    Ci-dessous. - C'EST AU BOUT DE CETTE RUE QUE LUCIENNE                                  le risque du guerrier était un luxe. Lors­
                ET VÉLIN FURENT ABATTUS.              embusqué tire, une rafale de mitraillette   que, le 17 juin, enfin, Vélin tire son re­
                                                      abat Vélin. Lucienne tombe sans être   volver, il ne peut même pas combattre
                                                      touchée.                             à armes égales. Il est cerné, assassiné par
                                                        L’assassin s’approche, il achève Vélin   trois cents ennemis, il est exécuté à bout
                                                      d’un coup de revolver et tire également   portant par un Français. C’est en soldat,
                                                      sur Lucienne. Une balle la traverse de   et c’est en chevalier, que Vélin mourut,
                                                      part en part.                        sans uniforme. Il venait d’avoir 24 ans.
                                                        « Rue Viala, à coups de grenades, on                 J.-M.Domenach.
                                                      avait enfoncé les portes, fait sauter les
                                                      fenêtres ; on se battait maintenant contre   (3) Voir la « Marseillaise » de Lyon, nn 17.
                                                      un mort et un désarmé, Le corps de    (4) « Combats dans l'Ombre » pages 41, 42.
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