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VELIN (Suite de la page précédente)
La maison était en pleine activité. On Vacher fut traîné vers la maison en face,
sortait et diffusait la Marseillaise avec Jaillet trouvé dans un réduit fut inter
succès. Mais un jour, un camion alle rogé : « Voulez-vous parler ? » lui de
mand fut attaqué près de la rue Viala. mande le chef. — « Je ne dirai rien »,
Devant la menace de perquisition, l’é répondit Jaillet sans hésitation. Les pom
quipe évacua, et fut sans doute remar piers arrivèrent à cet instant, pour étein
quée. Ce fut sans doute là l’origine de dre l’incendie provoqué par les grenades ;
dénonciations, qui sont certaines, sans ils entendirent nettement un milicien dire
qu’on en connaisse exactement l’origine. au chef en désignant le courageux typo :
— Que fait-on de cet homme ? « Fusillez-
C'EST PAR CET ESCALIER QUE, DE LA COUR INTÉRIEURE. Le samedi 17 juin 1944, vers 14 heures, le ». Des volontaires, et l’on vit cette
ILS BONDIRENT SUR LA TERRASSE. un car de miliciens arrive rue Viala (3). racaille infecte, s’offrir pour l’horrible
Le quartier est cerné. La population besogne. Jaillet, fermement, dignement,
affolée se cache. Un silence impression boutonna sa veste bleue de travail et fit
nant, troublé seulement par quelques face à cette meute sans nom. Des coups
commandements. Puis un second car, de feu éclatèrent, il s’abattit comme une
rempli cette fois d’Allemands, survient. masse. Ils pouvaient se réjouir, car les
L’objectif, c’est cette maison de la rue circonstances de la surprise les avait puis
Viala, avec sa petite cour intérieure, et samment aidés ; si la fusillade n’avait
son immense terrasse couverte. A l’inté pas interdit à Vélin l’accès du second
rieur se trouve une partie de l’éiquipe bâtiment où se trouvaient une mitrail
Vélin, Jaillet, Vacher et Lucienne. Par lette, deux grenades, cinq revolvers, dont
chance, les autres Mazel, Martin, Du deux parabellums, la bataille aurait été
pont, Dédé, Lucien et Philippe sont partis plus chaude et les Allemands et miliciens
se reposer car ils ont travaillé toute la auraient payé plus cher leur équipée de
nuit. forbans. Le destin n’avait pas voulu que
Les maisons avoisinantes sont occupées les hommes de la rue Viala se mesuras
par les Allemands qui grimpent sur les sent avec leurs adversaires dans toutes
toits, armes en mains. Y leurs forces ; le sang aurait coulé : les
chacals auraient compté leurs morts » (4)
Trois miliciens passent par un jardin
voisin, arrivent à pas de loup devant la Lucienne devait s’évader de l’hôpital.
pièce où se trouve l’équipe, et crient par Vélin, lui, était mort.
VÉLIN ET LUCIENNE SAUTÈRENT LE MUR SÉPARANT un vasistas : « Rendez-vous, vous êtes
L'IMPRIMERIE DE LA PROPRIÉTÉ VOISINE A L'ENDROIT pris ». Vacher tente de fuir, il est aussitôt
OU SE TROUVE LE SOLDAT.
abattu. Véllin referme le vasistas, prend A tout ceci, nous voudrions donner
son revolver, et tire. Deux miliciens tom deux conclusions :
bent, le troisième blessé, se sauve et va La première, c’est qu’à l’heure où nous
chercher du renfort. Des toits et des fenê écrivons, le voyou qui acheva Vélin n’a
tres, Allemands et miliciens tirent sur la été ni exécuté, ni jugé. Il vit encore en
maison et criblent de balles la seule issue prison.
de secours.
Quant à cette histoire que nous venons
Vélin qui comme toujours, a conservé d’esquisser nos camarades l’auront facile
son sang-froid, décide de se sauver ; il ment reconstituée. Que ceux qui n’ont pas
entraîne Lucienne avec lui. Profitant d’un vécu l’Epopée de la Résistance, et qui
instant de répit, ils traversent la petite quelquefois en méconnaissent la grandeur
cour. Une grenade explose derrière eux. réfléchissent du moins sur le courage
Ils grimpent des escaliers, s’enfuient à qu’il fallut à cet homme, et sur le sang-
travers la terrasse, balayée par des ra froid qu’il manifesta en toute occasion.
fales de fusil-mitrailleurs. Les Allemands Dans une vie où tout était improvisation,
lancent des grenades du toit voisin. il sut monter et faire tourner une impri
Qu’importe : Lucienne est soulevée par merie puissante, dans une vie où le dan
Vélin. Ils sautent par-dessus le mur, tra ger n’était pas seulement devant, mais
versent un jardin, franchissent un autre derrière, à côté et partout, malgré les tor
mur, courent à toute vitesse. Le cours tures, obligé de se faire opérer en fraude,
Eugénie est proche, tous deux commen épuisé, consumé, Vélin n’abandonna ja
Ci-dessus. - ASPECT EXTÉRIEUR DE L'IMPRIMERIE : L'ATELIER
ÉTAIT SÉPARÉ DE LA FENÊTRE PAR UNE PAROI CAPITONNÉE. cent à espérer. Une barrière est démolie mais la lutte. En vérité, pour ces hommes,
fébrilement par Vélin. Las, un milicien
Ci-dessous. - C'EST AU BOUT DE CETTE RUE QUE LUCIENNE le risque du guerrier était un luxe. Lors
ET VÉLIN FURENT ABATTUS. embusqué tire, une rafale de mitraillette que, le 17 juin, enfin, Vélin tire son re
abat Vélin. Lucienne tombe sans être volver, il ne peut même pas combattre
touchée. à armes égales. Il est cerné, assassiné par
L’assassin s’approche, il achève Vélin trois cents ennemis, il est exécuté à bout
d’un coup de revolver et tire également portant par un Français. C’est en soldat,
sur Lucienne. Une balle la traverse de et c’est en chevalier, que Vélin mourut,
part en part. sans uniforme. Il venait d’avoir 24 ans.
« Rue Viala, à coups de grenades, on J.-M.Domenach.
avait enfoncé les portes, fait sauter les
fenêtres ; on se battait maintenant contre (3) Voir la « Marseillaise » de Lyon, nn 17.
un mort et un désarmé, Le corps de (4) « Combats dans l'Ombre » pages 41, 42.