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DE LA DIVISION MAI

             A LA XIVe RÉ





                  'EST hier soir à la tombée de la
               f ■ nuit que nous avons quitté le front
               If de la 1“ Armée Française — l’Armée
                   du général de Lattre de Tassigny
                   — pour venir prendre contact avec
              les Lyonnais et toute la XIV* région mi­
              litaire. Nous vous apportons le salut de
              la Division Marocaine que vous avez
              voulu prendre comme filleule en' même
              temps que la fraternelle Division Alpine.
              Vous voyez que c’est un salut tout im­
              prégné encore de l’ardeur du front et de
              l’enthousiasme des grands jours.
                Nous avons fait le voyage — pour re­
              partir aussitôt — parce qu’en apprenant
              que vous pensiez à nous si directement,
              si sincèrement, si affectueusement, com­
              me de vrais parrains, nous avons tous
              éprouvé à la Division Marocaine une im­
              pression si chaude et si profonde que
              notre général a voulu que nous venions
              vous le dire de suite et sans intermé­
              diaire, tel que nous le sentons.
                C’est une grande chose que vous faites
              là d’établir entre vos usines, vos servi­
              ces sociaux, vos groupements de Résis­
              tance et nos unités des liens vivants,
              des liens d’homme à homme.
                Et nous nous réjouissons que vous
              unissiez dans la même affection notre
              Division Marocaine et la Division Al­
              pine. Nous nous trouvions hier coude à
              coude, mêlés dans les mêmes combats.
              Nous mettions alors en commun, pour
              avoir la vie moins dure dans la neige,
              les biscuits d’Amérique et le pain de
              France. C’est peut-être à cette fraternité
              que nous devons aujourd’hui de ne faire
              qu’un dans vos cœurs.
               Nous vous remercions au nom de tous
              les camarades Français et indigènes qui,   b:en su qu’on se battait pour sa libéra­  quelques-uns même égoïstement désireux
              grâce à vos premiers lainages, ont déjà   tion en Tunisie, en Italie, en Corse, avec   de ne plus penser à la guerre, ne nous
              moins froid et qui savent maintenant   les Alliés. Et pourtant, de Naples aux   reconnaissaient pas. Nous nous sommes
              que si le malheur tombait sur eux, ils   portes de Florence, les villages italiens   sentis parfois comme une catégorie mise
              auraient ici de vrais amis pour leurs
                                                   en miettes et les cimetières français qui   à part. Nous en avons souffert.
              foyers lointains, ces foyers que nous   jalonnent la route montrent quelle fut   Mais voici que tout est changé. L’unité
              n’avons pas visités depuis plus de dix-   l’âpreté de la lutte.           de l’Armée, c’est un souffle venu de l’ar­
              huit mois et où les plus petits sont des                                  rière qui l’achève. Plus de catégories
              enfants que nous connaissons à peine.  Cette lutte, comme celle que poursui­  entre les combattants du combat unique.
                                                   vait le Maquis, c’était bien le combat de
               Mais laissez-moi vous le dire, ce qui                                    Un seul cœur à l’usine et au front. Je
              nous touche le plus, c’est tout simplement   la Libération'. Nos rangs ont été grossis   crois que le colonel Descour avec qui
              que vous pensiez à nous ; c’est de savoir   par ceux qui traversaient l’Espagne et   nous avons beaucoup travaillé au début
              — comme, parait-il on veut le faire dans   ses prisons. Il n’est parmi nous, depuis   et que, de ce fait, nous admirons et ai­
              certains ateliers — que si un' coup dur   le général de Lattre jusqu’au simple sol­  mons comme vous, le disait ici même
              frappait l’unité adoptée par l’usine, le   dat, en passant par notre propre général   voici peu de temps.
              travail s’y arrêterait un instant pour   qui fut gouverneur français de Rome, au­  Ah I Lyonnais, Français de la XIV* Ré­
              songer à ceux qui ne travailleront plus.  cun homme qui ait attendu le mois de   gion, ceux de la Division' Marocaine que
                                                   juin 1944 pour savoir où était son devoir.
               Si nous sommes aujourd’hui si sensi­                                     vous adoptez sentent qu’ils vivent avec
              bles au pur lien moral, c’est qu’au début   Et cependant il semblait que trop de   vous un grand moment. Comptez sur
              nous nous sommes sentis très seuls en   Français troublés peut-être par nos uni­  eux pour être de dignes filleuls : le sa­
              France. Oh, ça s’explique : la France a   formes venus d’Amérique ou obsédés   crifice est plus facile quand il est mieux
              été séparée du mon-de, elle n’a pas très   par leurs souffrances personnelles ou   compris.



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