Page 5 - Coeurs Vaillants Num 33
P. 5
Don Geronimo, dit Spinello avec un pauvre sourire. Pensez sur un fond noir infini. « Santa Madona, dit le prêtre avec émo
donc ! Depuis des siècles on les cherche. Les meilleurs sour tion, permettriez-vous que, par cette aventure, nous retrou
ciers y ont perdu leur temps... » vions l’eau qui nous donne la vie? Et que désormais votre
souvenir soit lié à celui de la résurrection d'un village? »
* *
Déjà, de ses bras puissants, Gino commençait à soulever la
statue ; mais Don Geronimo lui dit : « Aspetta, Gino. Vieni,
Le soir même, Don Geronimo partit vers la colline où vivait, nous allons au fond de la grotte ! »
un peu comme un sauvage, Gino il Babbeo. Le colosse s'atten Ils marchèrent à tâtons dans l'obscurité ; le sol devenait
dait à la visite du prêtre, il lui répondit avec douceur mais de plus en plus glissant sous leurs pas, et soudain ils sentirent
obstination : « Non, Don Geronimo, je ne vous dirai pas... Je le contact frais de l'eau à leurs chevilles. Du fond de la salle où
ne vous dirai pas... S'il n’y a plus personne ici, au moins la ils avaient pénétré et qu’on devinait immense, on entendait le
madone y restera. Mais je ne vous dirai pas où, non, je ne vous clapotis de mille ruissellements sur les rochers.
dirai pas... » Don Geronimo était très embarrassé; il voulait Ce fut Gino qui, le premier, hurla sa joie : « De l'eau ! Nous
éviter de prononcer le mot « péché » qui aurait certainement ne partirons pas du village et la bonne madone y restera avec
terrifié le pauvre Gino dont les réactions étaient si inattendues. nous ! — Comprends-tu pourquoi ton père venait si souvent
« La moindre maladresse, songeait Don Geronimo, et il sombre ici? Il y trouvait l'eau qu'il irriguait pour la culture de ses
dans le désespoir. D'ailleurs, si l'on essaie d'entrer dans sa fleurs ; sans doute eut-il le tort d'en garder le secret. Il s'agit là
logique, l'acte qu'il a commis part d’un excellent sentiment. certainement de ces sources de la colline dont on parlait tant
Que faire? Je ne peux tout de même pas profiter de sa naïveté qu'on finissait par ne plus y croire. Au Moyen Age, Pontesecco
pour me livrer à une sorte d’enquête insidieuse où je le ferais existait déjà et il n’était pas question alors du barrage de Caval-
se trahir? Il m'en voudrait trop après... » Ayant réfléchi, le canti ; or ces gens ne pouvaient, pas plus que nous, vivre sans
prêtre dit à Gino i « Écoute, Gino. Dimanche c'est le 15 août, eau. Il fallait bien qu'il y eût des sources dans la colline, ça ne
et il faut que la Madone soit à la procession. Tu ne veux pas pouvait pas être une légende ! » Gino n'écoutait pas le prêtre ;
me dire où tu l'as mise? Va bene. J’ai quatre jours devant moi, - il ne comprenait, il n'enregistrait qu'une chose : le village
je la chercherai... » vivrait et Notre-Dame de Pontesecco resterait chez elle. Il
Et, dès le lendemain, on vit Don Geronimo dans la colline, murmurait inlassablement, comme une mélopée : « Il y a de
s'enfonçant dans les pinèdes, fouillant derrière les rochers. l'eau... Il y a de l’eau... »
Il n'avait naturellement nul espoir de retrouver ainsi la statue ;
mais il songeait: « A me voir ainsi, Gino ne pourra pas y tenir
et, de lui-même, peut-être... » Il ne se trompait pas. Gino,
torturé, vint vers lui. « C’est un péché si j'empêche que la En ce dimanche de 15 août, au sortir de la messe, tout le
madone soit à la procession du 15 août? » demanda-t-il. village suivit en procession Notre-Dame de Pontesecco portée
C’était lui-même qui avait prononcé le mot. « Je crois bien que par Gino et Enrico. A vrai dire, c'était un étrange cortège coloré,
oui », répondit Don Geronimo... Gino hésita encore un peu, plutôt informe et mouvant noyé dans un brouhaha assour
puis dit d'une voix timide vaguement altérée par l'émotion : dissant. Dominant les cantiques, on entendait des voix
« Je l'ai mise dans une cachette que seul mon père connais qui criaient : « Grazie, Santa Madona ! — Grazie mille per
sait et où, sans qu’il s'en doute, je le voyais aller parfois pour l’acqua ! — Grazie per la vita del villaggio ! »
faire je ne sais quoi... » Précédait ce concert bruyant d'actions de grâce, Don Gero
nimo songeait en souriant : « Peut-on les empêcher d’être
* * joyeux? Puisque cette joie va vers Dieu... Moi-même,d'ailleurs,
si je n’avais pas à sauvegarder la dignité de ma soutane...
Brusquement, Don Geronimo se souvint de ce qu'on racon Ah oui... Oui, oui, je crois bien que je crierais plus fort
tait dans le village : le père de Gino était, comme son fils, un qu’eux... »
homme des bois qui avait établi dans la colline une grossière Car dès qu'il avait été averti de la découverte du prêtre, sans
cabane autour de laquelle il faisait pousser des fleurs. Des attendre une seconde, Carlo Spinello était monté dans sa
fleurs ! Mais où prenait-il l'eau ? C'est la question qu’on s’était vieille auto, était allé jusqu’à Potenza où habitait l'ingénieur
posée sans trop l'approfondir. Mais maintenant... Don Gero du génie rural et l'avait ramené dare-dare à la grotte où cou
nimo se reprocha aussitôt un excès d'imagination. Mais Gino laient les sources. Là, cet homme savant, après quelques
continuait, tête basse, comme une confession : « C’est derrière heures d’observation, avait déclaré : « Vous avez de l’eau. »
les pins, là-haut. Il y a un sentier, on descend puis on marche Puis, étonné soudain, il avait repris : « Mais alors pourquoi ne
à travers les ronces, jusqu'à une petite grotte cachée par une le disiez-vous pas? Et pourquoi alliez-vous chercher votre eau
pierre, il suffit de la pousser. — Est-ce que cette grotte est au barrage de Cavalcanti? Avec un système de canalisation
profonde? — Elle doit l’être, c’est tout noir là-dedans, on très simple, vous avez largement de quoi ravitailler tout le
marche dans de la boue. Mais j'ai mis la madone juste à l'en village et les environs. Quand je pense que j'ai mobilisé des
trée, et j’ai replacé la pierre. » camions-citernes ! »
De la boue ! Serait-il possible, mon Dieu... Une fois deiplus,
*
Don Geronimo essaya de faire taire son imagination. Mais * *
était-ce encore de l'imagination? De la boue... De la boue à Ainsi, en ce 15 août, revécut le village de Pontesecco alors
moins de deux kilomètres de Pontesecco...
Il ne put s'empêcher de dire à Gino : « Tu vas me conduire que déjà il agonisait. Notre-Dame de Pontesecco regagna, sa
à la madone... Et peut-être avec elle trouverons-nous l’eau... niche au fond de l’église, comme si elle ne s'était dérangée que
l’eau de la vie... Peut-être le village... Andiamo ! Presto ! pour apporter à ses fidèles les sources qui leur manquaient.
Quant à Gino, il fit à Don Geronimo cette réflexion assez
Andiamo, Gino ! » L'autre, sans un mot, commença à marcher inattendue de la part d’un être réputé naïf : « En somme, si
lourdement sur les aiguilles de pin et Don Geronimo suivit.
j'ayais laissé la Madone dans l'église, on n'aurait peut-être
jamais trouvé les sources... »
A partir de ce jour, comme l'avait prévu Don Geronimo,
Quand ils arrivèrent devant la grotte, Gino, de ses muscles Notre-Dame de Pontesecco fut liée au souvenir de la résurrec
impressionnants, fit rouler la pierre et, immédiatement, Notre- tion d'un village.
Dame de Pontesecco apparut, comme dans une grande niche, Jean-Marie PÉLAPRAT.