Page 4 - Coeurs Vaillants Num 33
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ON GERONIMO, en descendant de l'autocar, retrouva avec
D encore pour une demi-heure de marche à travers ses
plaisir le contact âpre de sa terre paroissiale ; il en avait
rochers brûlants avant d’atteindre son village de Pontesecco
où déjà, maire en tête, devaient l'attendre toutes ses ouailles
massées sur la petite place. Il était resté absent plus d'un an
et même, à un moment, il avait craint que Monseigneur le
change de paroisse; mais l'évêque lui avait dit : «Je vous
confierais bien une paroisse plus importante qui réponde mieux
à vos mérites, Don Geronimo... Ma ché ! Que ferais-je de
Pontesecco qui est une des localités les plus désertiques et
les plus torrides d’Italie? Celui que j'y enverrais pour vous
remplacer irait uniquement par esprit d'obéissance alors que
vous, vous y restez par amour. Perché? Non lo so. Ma va
bene cosi... Vous resterez à Pontesecco, Don Geronimo... »
Et c'était vrai, Don Geronimo aimait cette étendue sauvage
de pierres, ce petit village dressant timidement ses maisons
craquelées par le soleil et se détachant sur la pinède vert
sombre et sèche de la colline ; il aimait cette population de
paysans courageux, jacassants et joyeux dont, depuis plus de
six ans déjà, il avait gagné la sympathie. Et maintenant, il
revenait après une trop longue absence durant laquelle perpé
tuellement il s'était demandé si le curé de Carlocavante avait
pu venir, chaque dimanche, dire la messe à Pontesecco, alors
que déjà il avait fort à faire lui-même dans sa propre paroisse...
« Je serai là pour le 15 août, avait écrit Don Geronimo à Enrico
son sacristain. On fera la procession dans le village avec Notre-
Dame de Pontesecco. Prépare 'tout en conséquence... »
Notre-Dame de Pontesecco était une madone pieusement
vénérée dans une niche de la vieille église, à laquelle on prêtait
beaucoup de légendes mais dont le plus sûr miracle avait été
de résister aux siècles : la statue, en effet, datait du Moyen Age.
*
* *
Or, une déception, — une déception terrible — attendait
Don Geronimo. Quand il arriva sur la place, certes, tout le
monde était là et en costume du dimanche bien qu'on ne fût
que mardi. Mais il régnait un silence de mort. Immédiatement
Don Geronimo pressentit une catastrophe. Se détachant du
groupe, Carlo Spinello, le maire, le cou torturé par un faux col
taché de transpiration, vint gravement se placer devant le
prêtre. « Don Geronimo, dit-il, nous aurions voulu vous
accueillir avec d'autres nouvelles que celles que je vais vous
apprendre. La sécheresse a beaucoup sévi cette année, de plus,
depuis cet hiver, le barrage de Cavalcanti est hors de service.
On a essayé de nous ravitailler avec le barrage de Badiglione,
mais c'est impossible. Un ingénieur du génie rural est venu
examiner la situation, elle est sans issue ; il nous a fait envoyer
quelques camions-citernes, mais nous ne pourrons plus tenir
longtemps. Bref, nous n'avons plus d'eau, le village meurt,
il nous faudra tous partir très bientôt... » Le silence lourd
souligna ces mots, mais Don Geronimo comprit que Spinello
avait encore quelque chose à dire. « En outre, poursuivit le
maire d'une voix éteinte, on a volé la madone de Pontesecco. »
Et tous les villageois évitèrent le regard de Don Geronimo
comme si chacun d'eux fût le coupable. Le prêtre essaya de
garder son calme et demanda d’un ton uni : « Sait-on qui a
fait cela? — Oui, répondit le maire. C'est Gino il Babbeô, it
le reconnaît lui-même, il dit que Notre-Dame de Pontesecco
doit rester dans son pays mais, naturellement, il ne dit pas où
il l’a cachée. Vous savez, Gino... enfin, vous le connaissez,
hein? Brave garçon, fort comme un turc mais simple d'esprit.
Je... je n'ai pas cru devoir prévenir les gendarmes. — Vous
avez bien fait, dit Don Geronimo. Un acte qui commis par
n’importe qui serait un mauvais acte peut prendre, de la part
de Gino, une tout autre tournure... Je lui parlerai. Mais dites-
moi, pour en revenir à l’écu, j'ai toujours entendu dire que sur
la colline il y avait certaines sources qui... — Vieille légende,