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point ruinés par 4 ans d'occupation et les ravages
           sont en route. Pas tous, hélas! Mais dans ces gares      de la guerre, que nous ne possédons plus les
            qui virent partir tant de convois ,d’esclaves enca­     moyens matériels de soutenir seuls une politique
            drés de gardes mobiles et de soldats allemands,         de grandeur. Notre dénuement nous fait à chaque
           arrivent maintenant des trains hérissés de drapeaux,     instant tributaires de l’étranger. Il faut, pour réduire
            et il y a des femmes, sur des quais, qui s'éva­         la garnison de ROYAN l’appui de l'aviation anglaise
            nouissent de bonheur.                                   et des canons américains, il faut pour nos usines
                                                                    des matières premières d'Amérique. Et quelle
                KONIEV et BRADLEY se sont donnés la main            place occuperions-nous dans les conseils interna­
           au coeur de l’Allemagne. Le monde libre est exact        tionaux, si nous n’avions, pour nous soutenir,
            au rendez-vous. La Première Armée Française             l'amitié et la puissance de la grande nation
            prend STUTTGART, prend ULM, et enfonce en               soviétique ?
            plein Allemagne nos étendards outragés. Pour la
            première fois depuis 150 ans, des troupes françaises        Déjà quelques uns remarquent nos insuffisances.
            entrent en combattant chez l'ennemi, et les plus        On voit des protectorats et des colonies, dont la
            apathiques se réveillent à des noms qu'ils ont          mise en valeur est à peine entreprise, une métro­
            déjà entendus à l'école.                                pole où la natalité est la plus basse qui soit en
                                                                    Europe, et que ravagent en outre l’alcoolisme et
                Grâce aux formidables armées des pays alliés,
            grâce à la production américaine, aux bateaux           la tuberculose.
            anglais, grâce à l’héroïsme russe, grâce aussi, ne          Ce sont là des faits, des faits durables, que
            l’oublions pas, à des millions de ‘ sacrifices indivi­  ne peuvent effacer ni les exploits des meilleurs
            duels qui se soldent aujourd'hui, dans bien des         des nôtres, ni les instants glorieux d'une victoire
            pays, par tant de morts et par tant de larmes,          tant désirée.
            cette guerre, où se débattaient également le sort
            de la France et la dignité de' toutes les consciences       Si nous les rappelons, ce n'est pas pour
            du monde, peut-être dans quelques instants, se          entraver de réflexions moroses cette grande aspi­
            terminera par la victoire — une victoire où nous        ration que font tous les rapatriés et avec eux le
            jouâmes notre rôle et où nous aurons notre place.       pays tout entier, dans l'air de la liberté et de la
                                                                    terre retrouvée, ce n'est pas pour diminuer cette
                Le monde respire. La France a le droit d’être       joie qui est comme d’une seconde libération, où
            heureuse. Exista-t-il jamais dans notre histoire        le peuple français communie à nouveau dans le
            pareille menace et pareille délivrance ?                bonheur de la victoire et les retrouvailles de ses
                                                                    enfants. C’est afin que cette joie ne se laisse pas
                Et pourtant, il y a des ombres sur notre joie.
            La France, qui commença cette guerrç parmi les          dévier dans un relâchement général, c’est afin
            grandes puissances, la termine, quoique dans le         qu’à cette victoire ne succèdent pas, une fois
            camp des vainqueurs, parmi les moyennes. Notre          encore, des lendemains faciles.
            Armée qui s’illustra, on sait comment, de Tunisie            Français, apprenons la dure leçon des faits.
            en Autriche, met en ligne deux fois moins de            Dans une époque où pèsent si lourdement le
            divisions que la Yougoslavie, moins que la Pologne,     nombre de la population et la puissance de la
            moins que la Roumanie. Et déjà on lui conteste          production, il nous faudra travailler encore, penser
            ses conquêtes.                                          et construire large, avoir des fils et des filles, si
                                                                    nous voulons que notre pays soit grand, si nous
                Depuis bientôt un an, des garnisons ennemies
            restent attachées à notre flanc, que nous n'avons pu    voulons que notre liberté, que notre bonheur
            toutes réduire. L’Indochine est occupée ; l'influence   soient vraiment et pour longtemps assurés, si
            française dans le Proche-Orient, compromise.             nous voulons que l'esprit que nous représentons
                                                                     rayonne largement sur le monde.
                Il y a plus grave : notre industrie, notre agri­
            culture, nos transports, nos finances ont été à ce                                   J.-M DOMENACH.
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