Page 70 - Histoire de France essentielle
P. 70
Lectures. — 64 — LES TEMPS MODERNES.
28e Lect.— Surprise des Américains à la vue des Européens.
Les habitants du Nouveau Monde regardaient la mer comme un
grand espace défendu aux hommes, qui se joignait au ciel, et au delà
duquel il n’y avait rien. Cependant voilà, un beau jour, le spectacle
le plus étrange et le moins attendu qui se présente à eux : de grands
corps énormes qui paraissent avoir des ailes blanches, qui volent sur la
mer, qui vomissent du feu de toutes parts, et qui viennent jeter sur
le rivage des gens inconnus, tout écaillés de fer, disposant comme ils
veulent des monstres qui courent sous eux, et tenant en leurs mains
des foudres qui terrassent tout ce qui existe. D’où sont-ils venus? Qui
a pu les amener par-dessus les mers? Qui a mis le feu à leur disposi
tion? Sont-ce les enfants du Soleil? car assurément ce ne sont pas des
hommes. Je ne sais si vous entrez comme moi dans la surprise des
Américains; mais jamais il ne peut y en avoir eu une pareille dans le
inonde. (Fontenelle.)
29" Lecture. — Transport de nègres en Amérique.
Comptez les dévastations, les incendies, les pillages auxquels il a
fallu livrer la côte d’Afrique pour en tirer, avec des peines et des frais
infinis, le petit nombre de noirs qui survivent à la capture; comptez
aussi ceux qui, durant la traversée, se donnent la mort ou périssent
dans les révoltes du désespoir. Figurez-vous ce qu’est cette traversée
de deux mille, quelquefois de trois mille lieues.
Voyez le navire chargé de ces infortunés et tâchez de ne pas détour
ner vos regards !... Comme ils sont entassés les uns sur les autres!
Comme ils sont étouffés par les entre-ponts! Ne pouvant se tenir de
bout, même assis, ils courbent la tête : bien plus, ils ne peuvent mou
voir ni leurs membres, étroitement garrottés, ni leur corps même. Le
vaisseau qui roule les meurtrit, les mutile, les brise l’un contre l’autre.
Les infortunés! je les vois, je les entends: altérés d’air, leur langue
brûlante et pendante peint leur douleur et ne peut plus l’exprimer.
licoutez ces hurlements, suivez ce navire, ou plutôt cette longue
bière flottante, traversant les mers qui séparent les deux mondes.
Arrivés à terre, ces malheureux ne sont considérés que comme des
animaux, des bêtes de somme!
Je demande quand nous abolirons l’infâme trafic de la traite; songez
qu’une année de retard autorise en Afrique des assassinats et condamne
des millions d’hommes à l’esclavage.
(Mirabeau, Sur l’abolition de l’esclavage, 1791.)