Page 50 - Histoire de France essentielle
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Lectures. MOYEN AGE.
i8ü Lecture. — Le grand Ferré.
La victoire de Charles V sur les Anglais ne fut pas due uniquement
à la sagesse du roi et à la valeur de Du Guesclin, elle fut due aussi aux
résistances populaires, qui avaient commencé dès le règne de Jean le
Bon. Le soldat anglais n’avait été d’abord pour nos paysans que l’en
nemi de leurs biens et de leur vie; mais, quand la haine eut éveillé en
eux le sentiment national, il fut aussi l’ennemi de leur patrie, et ils
le combattirent avec courage. L’histoire du grand Ferré en est une
preuve.
Deux cents paysans, las d’être pillés par les Anglais, s’étaient re
tranchés dans un lieu assez fort près du village de Longueil. C’étaient
tous laboureurs ou gens habitués à gagner leur vie avec le travail de
leurs mains. Leur chef était un paysan comme eux., Guillaume l’Alouette,
qui avait avec lui son valet de ferme, le grand Ferré, une espèce de
bon géant, doux et timide avec les siens, mais terrible dans ses colères.
Les Anglais, qui tenaient le fort de Creil, assaillirent un jour à l’im-
proviste Longueil, et, d’abord victorieux, tuèrent le capitaine français.
Mais au bruit le grand Ferré accourt, armé de sa lourde hache; il se
jette au milieu des Anglais, et frappe à coups redoublés, abattant les
bras, fendant les tètes, enfonçant les poitrines. Ses compagnons font
comme lui et frappent sur les Anglais comme s’ils battaient leur blé
dans l’aire. Les Anglais prennent la fuite, laissant une bonne partie
des leurs sur le terrain. Le grand Ferré à lui seul en avait bien assommé
quarante. Le lendemain, nouvelle attaque des Anglais et nouvelle
victoire du grand Ferré. Mais la besogne avait été rude à ce dernier
combat, le grand Ferré s’y était fort échauffé. Il but, ayant chaud, de
l’eau froide à pleine gorgée et fut pris de la fièvre. Il dut alors retourner
à son village et s’aliter. Les Anglais, informés de sa maladie, envoyèrent
douze soldats pour le tuer. Mais le grand Ferré, averti de leur approche
par sa femme, oublie son mal. Il se lève vivement, et, prenant sa
hache, il sort dans sa cour : «Ah! brigands, s’écrie-t-il, vous venez
pour me prendre au lit; vous ne me tenez pas encore! » Adossé au
mur, il frappe sur les Anglais, en tue cinq et met les autres en fuite.
La lutte l’avait échauffé; avant de se recoucher, il but encore de l’eau
froide. La fièvre redoubla, et, quelques jours après, il trépassa.
Le grand Ferré fut enterré au cimetière de son village. Tout le
pays le pleura : car, lui vivant, les Anglais n’auraient jamais osé en
approcher.
(Choublier.)