Page 11 - Coeurs Vaillants Num 19
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Gino avait dormi entre deux barriques. La nuit était
                                                            d’un noir d’encre, mais le roquet tirait sur sa veste. Après
                                                            un bâillement qui lui permit de se rendre compte qu’il était
                                                            tout courbatu, le garçon sentit le caoutchouc brûlé... L’odeur
                                                            venait du "hangar, là-bas... Déjà les premières flammes s’éle­
                                                            vaient ; elles étaient trop importantes pour qu’il pût espérer
                                                            maîtriser seul l’incendie. Il fallait partir, partir avant qu’on
                                                            arrive et ne le trouve... Il se redressa bien vite. Ses yeux
                                                            tombèrent sur une pancarte toute proche : « Italian Petro­
                                                            leum. » JLes lettres de papier argenté reflétaient dans la nuit.
                                                            Un peu plus loin un grand immeuble dans lequel des cen-
                                                           * taines de gens devaient dormir surplombait le port.
                                                              Gino comprit que si les secours n’arrivaient pas immédia­
                                                            tement tout allait flamber, un quartier entier serait détruit
                                                            avec d’innombrables victimes, or les alentours étaient déserts.
                                                            Il fallait donc que ce soit lui, Gino, qui donnât l’alerte.
                                                              Il descendit la rue en courant. A trois heures du matin
                                                            rien n’est ouvert et il cherchait depuis cinq minutes où frap­
                                                             per lorsqu’il découvrit un poste de police. « Évite-les surtout
                                                             quand tu seras échappé, car c’est là qu’on enverra tout
                                                             d’abord ton signalement », lui avait dit un copain rencontré
                                                             au cours d’un transfert et auquel il avait confié son projet...
                                                             Gino hésita quelques secondes, mais, les flammes n’attendant
                                                             pas, il entra.
                                                               — Il y a le feu au hangar près des citernes d’essence !




                                                               H s’en était fallu de peu. Plusieurs tonnes de vieux pneus
                                                             Stockés par un ferrailleur avaient brûlé, mais les pompiers,
                                                             arrivés à temps grâce à Gino, avaient maîtrisé le sinistre
                                                             avant que les citernes ne soient en péril. Dans la nuit, les
                                                             sirènes avaient hurlé lugubrement et, par mesure de précau­
                                                             tion, la police avait fait évacuer les maisons menacées jus­
                                                             qu’au matin.
                                                               Gino, tout de suite reconnu, avait été arrêté et reconduit
                                                             à l’établissement d’où il s’était échappé... Le roquet, lui,
                                                             avait disparu.
                                                               Pendant deux jours le garçon n’entendit parler de rien.
                                                             H s’habituait lentement à sa nouvelle existence, puis un
                                                             matin il se retrouva devant le directeur.
                                                               — Vous nous avez faussé compagnie, Gino, le jour même
                                                             de votre arrivée... Savez-vous que je suis coupable de ne
                                                             pas vous avoir mieux gardé, car le juge m’avait prévenu que
                                                             vous tenteriez de le faire.
                                                               L’homme se tut quelques instants, regarda Gino gauche­
                                                             ment assis sur la chaise en face du bureau. Il reprit.
                                                               — Quand vous vous êtes aperçu de l’incendie, à quoi
                                                             ave z-vous pensé P
                                                               — A m’en aller.
                                                               — Et pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?
                                                               Gino ne répondit pas, il ne voulait pas expliquer qu’il
                                                             avait eu peur pour l’immeuble, pour les dormeurs qui s’y
                                                             trouvaient ne se doutant de rien.
                                                               — Allons, Gino, vous n’êtes pas de la si mauvaise graine
                                                             que cela. C’est bien ce que vous avez fait là et j’espère que
                                                             vous ne resterez pas trop longtemps parmi nous.
                                                                                              Jean-Paul BENOIT.
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