Page 10 - Coeurs Vaillants Num 16
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SOUS
sceau
UAND le jeune avocat Jean Bartier pénétra sous la voûte
O de la prison, il avait le cœur battant. C’était sa première
affaire, à lui, depuis la fin de son stage chez Me Lesturrier.
Une affaire sans importance, un cambriolage banal ; mais
il faut un début à tout.
***
Or Quand il fut dans le parloir de la prison, seul à seul avec
son client, il éprouva une étrange impression. L’homme sem
blait frappé de terreur. « Je suis votre avocat, dit Bartier,
vous n’avez rien à craindre... » L’autre le dévisageait toujours
avec inquiétude et finit par dire : « J’ai volé, c’est vrai ;
j’avais préparé mon coup de longue date. Mais Quand, en sor
tant de la maison, j’ai vu ce type, je vous jure Que j’avais
aucune intention de le tuer, fai eu peur qu’il m’ait surpris
et qu’il prévienne la police, j’ai frappé, frappé... Je ne savais
plus ce que je faisais. Je me suis mis à courir comme un fou ;
naturellement des agents m’ont vite repéré et m’ont arrêté. »
Sous le choc, Bartier s’était assis et, à son tour, éprouvait une
sorte de panique. « Mais... mais... balbutia-t-il, on a trouvé...
enfin, on a cru trouver le meurtrier de cet homme. C’est un
nommé Grandval, son associé à qui il devait de l’argent...
Vous, vous n’êtes inculpé que de cambriolage... Voici ce que
porte votre dossier que m’a communiqué le greffier du Juge
d’instruction : « Blancher Jacques, 34 ans, arrêté pour vol
avec effraction. » Rien d’autre. »
Blancher eut un rire rauque qui aussitôt se figea : « Mais
qu’ai-je fait ? Moi qui vous ai dit tout ça, comme un
imbécile, vous allez me dénoncer... » — « Je suis votre défen
seur, dit Bartier. Je suis lié par le secret professionnel. »
— « Des mots », ricana Blancher. — « Non, Blancher. C’est
une chose terrible, injuste, atroce en la circonstance. Mais ce
qui se lit entre nous est strictement secret. Un avocat ne
trahit jamais, en quoi que ce soit, son client ; il a partie liée
avec lui, même si — et sa voix s’étrangla un peu — même si
un autre est accusé... Blancher ! Je n’ai même pas le droit
de vous influencer, je serais radié immédiatement de l’ordre
des avocats et porterais sur ma profession le déshonneur, le
discrédit. Je ne vous dis qu’une chose : vous avez une cons
cience. Moi, je n’ai rien appris. Vous ne m’avez rien dit. Si
vous voulez sauver un innocent, c’est de votre propre gré
que vous devez le faire et en vous adressant à la police, non
à votre avocat. » Et, faisant sur soi un effort terrible, il parla
de l’affaire de cambriolage.
Quand il se trouva seul, dans la rue, Bartier fut pris d’une
sorte de vertige. Il tenait en soi la vérité et, du même coup,
sans doute, la vie d’un homme... D’un innocent. Dans quel
ques jours, la session d’assises allait s’ouvrir avec le procès de
Grandval, qui toujours niait avec force avoir commis le crime.
L’instruction avait retenu contre lui la préméditation, toutes
les apparences l’accablaient. Il risquait sa tête. Non, non,
Bartier, tu ne peux pas laisser passer ça. Tu trahirais ton
client ? Et alors ? Un bandit. Un homme sans cœur. Et qui
ne risquerait même pas la peine capitale puisqu’il n’a pas