Page 10 - Coeurs Vaillants Num 10
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J Réunissez, si vous le pouvez, une demi-douzaine de chats
affamés, quelques casseroles, un troupeau d’oies sauvages à la
veille de leur migration annuelle, un moteur de Ford 1920,
plus deux ou trois roquets se disputant le même os, mettez
tout cela ensemble et vous obtiendrez un bruit à peu près
identique à celui qui s’échappait ce soir-là de la salle des fêtes
de Bafouillis-les-Corneilles : l’orphéon municipal répétait
pour le 14 juillet.
Je m’empresse de dire que je n’ai jamais pensé de mal des
fanfares municipales en général ni de celle de Bafouillis-les-
Corneilles en particulier, et qu’il avait fallu un affreux con
cours de circonstances pour arriver à pareille cacophonie.
Voici les faits : depuis quelques semaines, sévissait dans le
village une épidémie de grippe tardive dont tous les membres
de la fanfare furent victimes; leur chef s’en fut donc trouver
le maire pour lui dire ses regrets de ne pouvoir assurer, cette
année, les cérémonies du 14 juillet.
— Il n’en est pas question, mon ami, répondit le maire,
très contrarié, le village doit absolument avoir sa musique
pour la fête nationale; trouvez des bonnes volontés, débrouil
lez-vous.
Et, congédié sur ces mots, le chef d’orchestre chercha les
bonnes volontés demandées : Mirounet, Petit-Pierre et
Jacquot, qui prenaient depuis peu des leçons de musique,
acceptèrent surtout pour porter la belle casquette des musi
ciens; le père Anselme oublia ses rhumatismes, tout heureux
qu’il était de taper à nouveau sur une grosse caisse, et, ô sur
prise, madame la baronne de Tremblevent accepta de jouer du
tuba, à la grande colère du baron qui ne faisait pas mystère
de ses opinions royalistes. J’en oublie, bien sûr, il y avait les
frères Benoît qui avaient joué du clairon au régiment, mais
cela remontait à 1925, Onésime Lebègue, ancien tambour au
temps où il n’était pas encore affligé de son étemel tremble
ment nerveux, et Mlle Beauvallon, ravie d’avoir retrouvé pour
la circonstance le fifre de son grand-père.
Dès la première répétition, il parut évident que le résultat
n’était pas à la mesure des bonnes volontés. Le chef, agité,
suant à grosses gouttes, allait de l’un à l’autre de ses musiciens
improvisés, essayant vainement de mettre un peu d’harmonie
dans ce déluge de fausses notes. Plusieurs répétitions eurent
lieu ainsi sans apporter la moindre amélioration; on était le
11 juillet. Ce soir-là, le malheureux chef d’orchestre rentre
chez lui, désespéré, songeant au déshonneur qui n’allait pas
manquer de mettre, dans trois jours, une fin lamentable à sa
carrière. Il s’étendit sur son lit, la tête en feu, après avoir
pris dans le réfrigérateur un bac à glace qu’il posa sur son
front brûlant. Il s’endormit d’un sommeil peuplé de cauchemars