Page 10 - Coeurs Vaillants Num 04
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VULCAIN






                FORGEANT




                                                                                 UN DE CES 4 I-



                                                                          Mon collègue Napoléon Fulaccioli et moi, nous étions
                                                                        perplexes ; il s’agissait de choisir nos dates de vacances et
                                                                        nous voulions tous les deux le mois d’août. Lui à cause de la
                                                                        beauté des couchers de soleil sur la baie de Bonifacio, moi à
                                                                        cause des oursins. Ce fut le divisionnaire qui nous mit d’accord.
                                                                        « Vous ne partirez ni l’un ni l’autre », nous dit-il. Toujours
                                                                        compatissant, le patron ! « Il s’agit d’une affaire de taille et
                                                                        vous ne serez pas trop de deux pour vous en occuper. Je vais
                                                                        vous l’expliquer rapidement, car dans deux heures je dois
                                                                        prendre le train pour partir en vacances. » Voilà des choses
                                                                        qui font plaisir à entendre ; si un jour vous trouvez quelqu’un
                                                                        de plus prévenant et de plus délicat que le patron, vous me
                                                                        ferez signe.
                                                                          Tout le monde connaît « Vulcain Forgeant », ce fameux
                                                                        tableau du peintre de la Renaissance italienne Eschimo Ger-
                                                                        vezzo, célèbre par la chaleur de ses tons. Depuis 1848, cette
                                                                        toile est un des fleurons du Musée des Arts Picturaux de Mar­
                                                                        seille, et vous dire qu’elle n’est assurée que pour une cinquan­
                                                                        taine de mille francs vous surprendrait peut-être si je ne vous
                                                                        précisais qu’il s’agit de francs nouveaux. Par ailleurs, tout le
                                                                        monde connaît, du moins à Marseille, Marius Boustigue.
                                                                         C’est un peintre extraordinaire qui s’est spécialisé dans les
                                                                        copies. Il vous torche une Joconde en trois après-midi et, si
                                                                        vous ne vous y connaissez pas, vous vous cassez le nez. Mais
                                                                        attention, ne confondons pas : je n’ai pas dit que Boustigue
                                                                        était un faussaire ; il pratique un métier parfaitement hono­
                                                                        rable et, dans sa petite boutique, il vend au grand jour, et à des
                                                                        prix très raisonnables, ses reproductions courantes (« Angé­
                                                                        lus » de Millet, « Le Moulin de la Galette » de Renoir, etc...).
                                                                         Si vous avez une commande particulière à lui faire, il vous
                                                                        l’exécute dans son atelier qui se trouve au dernier étage de
                                                                        l’immeuble. Vous allez jusqu’au fond de la cour, vous péné­
                                                                        trez sous la petite voûte sombre, à gauche, vous allumez la
                                                                        minuterie, vous montez six étages, vous frappez, vous enten­
                                                                        dez : « J’ai pas le temps ! Quel est le fada qui vient encore me
                                                                        déranger » (Boustigue a toujours horreur d’être réveillé en
                                                                        sursaut), vous ne vous troublez pas pour autant et vous
                                                                        entrez. Si je peux vous donner tous ces renseignements, c’est
                                                                        que, un jour, j’ai eu envie de m’offrir « La Ronde de Nuit » de
                                                                         Rembrandt.
                                                                          Vous voyez déjà, je pense, où je veux en venir : « Vulcain
                                                                        forgeant » disparaît du musée. On enquête, on va, à tout
                                                                        hasard, chez Boustigue, mais on ne le trouve pas car il est
                                                                        parti en vacances. Néanmoins la concierge dit aux inspecteurs
                         UN DE CES QUATRE HOMMES A MENTI!               chargés de l’affaire que trois clients sont venus dernièrement
                                                                        solliciter de M. Boustigue une reproduction de « Vulcain for­
                                                                        geant ». Le réseau policier s’étend sur tous les amateurs de
                                                                        tableaux de Marseille et, en effet, on en découvre trois possé-
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