Page 11 - Coeurs Vaillants Num 07
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pas leur approche ; ils savent à peu près dans quelle direction   annoncent le soir. Va-t-on rentrer sans rien après une si dure
       aller, car la veille un guetteur a signalé la présence d’un léo­  journée ?
       pard vers les grands rochers, un peu plus loin vers le nord.  Fédor s’est laissé distancer ; ses bottes s’enfoncent lourde­
        Boris donne le signal de lâcher les chiens. Aussitôt, la   ment dans la neige dure et, soudain, il « le » voit tout près sur
       meute bondit en hurlant vers le sommet des rocs. Fédor sent   l’éperon rocheux qui domine la forêt. L’angoisse lui serre la
       son cœur battre à coups redoublés ; il voudrait avoir la tran­  gorge ; il voudrait crier, mais aucun son ne parvient à sortir
       quille assurance des hommes, mais il doit s’avouer qu’il a   de ses lèvres. Comment prévenir les chasseurs sans que
       peur, très peur...                                      le léopard mis en garde ne prenne la fuite à nouveau ou ne
                                                               bondisse sur les derniers hommes de la colonne ? C’est alors
                                                               qu’il a une idée : il pense au jour récent où son père lui a
                                                               appris à imiter le ululement de la chouette, en lui disant :
                                                               « C’est un cri de ralliement facile qui rend souvent service
                                                               lorsqu’on veut s’appeler sans donner l’éveil. »
                                   ES chiens ont rejoint l’en­
       droit où se tenait le léopard ; celui-ci, qui a senti le danger,
       fuit maintenant d’arbre en arbre, car son instinct lui dit que
       c’est le seul endroit où les chiens ne pourront l’atteindre.
       Les hommes ont pris en main le long bâton fourchu avec
      lequel ils pensent immobiliser leur gibier et s’élancent der­                       l< TERRANT les poings pour
       rière les chiens.                                       dominer sa peur, il module le long cri plaintif en espérant
        — Reste en arrière, petit, dit Boris à Fédor, pour la pre­
       mière fois, tu ne dois pas prendre de risques.          que le léopard ne fera pas attention à lui et que les chas­
        Les chiens hurlent pour leur échapper ; le fauve bondit à la   seurs, eux, comprendront. De longues secondes s’écoulent,
       cime des arbres ; les chasseurs se déploient en éventail pour   les hommes n’ont pas l’air d’avoir entendu ; Fédor répète son
       lui couper la retraite. Brandissant leur gourdin, ils avancent   cri longuement, le léopard n’a pas bougé, et voilà que Boris
      lentement, les nerfs tendus, car c’est maintenant'que la partie   se retourne ; c’est fait, il a compris ; d’un même coup d’œil,
                                                               il a vu le garçon et le fauve ; vite, il donne l’alerte.
       se joue ! Mais soudain, d’un bond prodigieux, le léopard   Le léopard, qui a senti le danger, a bondi sur un arbre,
       s’élance sur un arbre éloigné, hors du cercle des chiens.  mais il est trop tard, déjà la meute est sur lui, l’arbre sur
        Il bondit d’un arbre à l’autre à une allure folle. Les chiens,
       décontenancés, ont un instant d’hésitation, instant très court,   lequel il est grimpé est isolé, il n’a plus de retraite possible.
                                                               Après une courte lutte, les hommes sont parvenus à le faire
       mais qui suffit au fauve pour disparaître à leurs yeux ; les
                                                               descendre, le voilà pris entre les fourches des bâtons et tenu
       chiens, déçus, tournent, haletants, autour des chasseurs,   en respect par les chiens. Voici le grand filet qu’on tend sur
       flairant à droite et à gauche, cherchant à retrouver la piste
       de leur gibier perdu.                                   lui. Enfin, la chasse est terminée pour aujourd’hui.
                                 (L


                                 VUELQUES instants se                                       E cortège, qui revient len­
      passent, les hommes ont repris ’ leur marche silencieuse,   tement vers le village en fredonnant les vieux airs de la steppe,
      inquiets, se demandant s’ils vont retrouver la trace du fugitif.   ne sent plus sa fatigue. Fédor a lu tant de fierté dans les yeux
        Fédor suit de loin, fatigué, déçu lui aussi, après une si   de son père qu’il en a oublié toutes ses angoisses, Fédor,
      belle occasion perdue ; et les heures passent, le pas des pay-   qui a dignement passé aujourd’hui son premier jour parmi les
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