Page 10 - Coeurs Vaillants Num 07
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             ËDOR avait mal dormi cette nuit-
              là. Pendant des heures, il avait
              écouté le vent sifflant en rafales                                           ES chasseurs arrivent à
              dans la grande forêt sibérienne.                 l’aube près de l’isba de son père. C’était le lieu de rendez-
              La tempete de neige ne s’était                   vous, car elle était juste à la lisière des bois, là où la dure
              pas calmée de la nuit ; les flocons              poursuite s’engageait dans la neige profonde jusqu’à ce qu’en-
                                                               fin des traces plus fraîches signalent la présence du léopard.
         f s’écrasaient sur les fenêtres de                      Oui, vous avez bien lu, c’est un léopard que les chasseurs
         l’isba et, si aucun bruit ne venait du                sibériens allaient poursuivre dans la forêt. Aussi étrange
         village endormi, on entendait au loin                 que cela paraisse, ces animaux vivent en grand nombre dans
         le hurlement des loups mêlé au siffle­                les solitudes glacées de la Sibérie et, comme ils sont très
                                                               demandés, par tous les zoos et tous les cirques du monde,
         ment du vent.                                         leur chasse est l’une des occupations des paysans de la région.
                                                                 Ce qui rend cette chasse si périlleuse, c’est qu’il faut
                                                               prendre le fauve vivant. Aussi bien, si les hommes emportent
                                                               des fusils, il n’est pas question de s’en servir, sauf en cas de
                                                               péril. Fédor le sait et pense qu’il saura être aussi brave que ses
                                                               aînés...
                                                                 Enfin l’adolescent voit arriver le jour et, avec lui, chacun
                                   AIS ce n’était pas la tem­
      pête qui avait empêché Fédor de s’endormir ; le jeune    tenant son chien en laisse, les chasseurs entrent dans la cour
      garçon pensait à ce qui l’attendait le lendemain : pour la   de la maison. Serguéiev, prêt depuis longtemps, serre les
      première fois, les hommes avaient décidé de l’emmener à   mains tendues. Boris, le plus âgé des chasseurs, dont la barbe
      la chasse ; il attendait depuis longtemps que son père   blanche semble empruntée à la neige du paysage, a aperçu
      accepte sa venue, mais maman Tania trouvait toujours de   Fédor et, souriant, il lui dit en lui envoyant une tape amicale
      bons prétextes pour qu’il refuse :                       sur l’épaule :
        — Serguéiev, cet enfant est encore bien trop jeune et
      votre chasse trop dangereuse; en outre, il ne vous serait
      d’aucune aide, il ne pourrait que retarder votre marche, et,
      s’il lui arrivait un accident, tu ne te pardonnerais pas de                        T
      l’avoir emmené.
        Mais hier, le père avait longuement regardé avec un bon                        « U viens avec nous, petit
      sourire ce fils presque aussi grand que lui et, passant outre   homme, j’en suis heureux. Tu es d’une bonne race, je suis sûr
      tous les arguments de sa femme, il déclarait :           que tu deviendras un grand chasseur ; puis, s’adressant à
        — Tania, il est temps maintenant que cet enfant fasse   tous ses compagnons : en route, mes amis, la journée sera
      son apprentissage d’homme, il viendra demain avec nous.  rude, il ne faut pas prendre de retard. Salut, Tania, ne sois
        Fédor avait bondi de joie et passé la soirée à aider son père   pas en peine pour Fédor, il rentrera sain et sauf ce soir ! »
      dans ses préparatifs. Puis, toute la nuit, il avait rêvé à l’expé­  Depuis bientôt une heure, les chasseurs avancent en file
      dition du lendemain ; il en avait entendu tant de fois le récit   indienne dans l’épais tapis de neige qui recouvre les sous-
      qu’il savait d’avance ce qui allait se passer.           bois. Ils marchent contre le vent pour que l’animal ne sente
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