Page 12 - Coeurs Vaillants Num 35
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Aujourd’hui, les cinq cents habitants du village de Car-   De la Saint-Fiacre à la Saint-Gustave, il y a juste le temps
      nielhan, dont moi, maudissent le soleil que vante le dépliant   d’un jeûne d’escargots Un jeûne d’escargots, c’est un art
       du syndicat d’initiative. Oui, le soleil. Il s’est levé réguliè­  qui, chez nous, se transmet de génération en génération.
       rement chaque matin depuis celui de Pâques. Et aujourd’hui,   Il faut savoir choisir la caisse où on les place et surtout savoir
       Saint-Fiacre, nous n’avons aucun espoir de voir tomber,   la couvrir. Il faut donner aux bestioles du thym des garrigues
       quelques gouttes d’eau. Des sommets du Carroux aux      de Cossenon (le meilleur du pays) et quelques branchettes
       rivages de la mer, pas le moindre petit nuage. Des chemins,   de frigoule. Pas n’importe quelle frigoule, celle qui est
       la poussière se soulève. Dans les gorges, la poussière pénètre.   agréable à sentir et qui fait un jeûne d’escargots très par­
       La gorge a soif, le vin est chaud ; donc l’homme est triste.  fumé... Quand j’y songe, l’eau m’en vient à la bouche.
                                                               L’eau !
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                              ★ ★                                A la Saint-Gustave, Carnielhan sera déshonorée pour des
                                                               années. La fête des escargots, c’est notre Tour Eiffel, notre
         Pas la moindre goutte d’eau ! La rivière est sèche, les   statue de la liberté, notre tour de Londres. A Pialhès comme
       puits ont tari, l’homme ne sait plus suer. Ce n’est plus le
                                                               à Lagnan, ils n’attendent que le jour de la fête pour venir
       Languedoc, c’est le Sénégal.
                                                               nous narguer, sous les fenêtres derrière lesquelles nous
         Moins que le manque d’eau, ce sont ses conséquences qui
                                                               n’oserons nous montrer
       attristent les villageois. Dans trois semaines, le 19 septembre,
                                                                                        ★
       c’est la Saint-Gustave... Chez nous, c’est aussi la fête des                    ★ ★
       escargots... Or, sans pluie pas d’escargots, sans escargots
       pas de fête. Il n’est pas besoin de sortir de l’école d’agri­  Mais dans le village, six habitants croient encore à la
       culture de Montpellier pour comprendre pareille chose.  Saint-Gustave : la fanfare. Et j’en suis. Malgré le désespoir
         A cause de tout cela, notre village se meurt. Oui, il se   de tous, nous continuons à répéter, sourds que nous sommes
       meurt. On n’entend plus les boules qui, le soir, s’entre­  au silence inquiétant de toute la population. Il faut dire,
       choquent sous les platanes. Les écoliers ne prêtent aucune   sans que cela ôte quoi que ce soit à la valeur de notre fanfare,
       attention aux cours que l’instituteur n’a aucune envie de   que nous avons quelques efforts à faire, pour jouer, d’abord
       donner. M. le Curé a perdu tout espoir de trouver dans ses   avec ensemble, ensuite en harmonie. La preuve que ces
       livres de nouveaux saints qui font pleuvoir. Le Conseil   défauts sont bénins est que nous n’avons jamais réussi à
       Municipal ne se réunit plus. C’est la fin de tout.      faire pleuvoir.
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