Page 33 - Coeurs Vaillants Num 33
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       Au fond du bateau, elle prend un grand panier d’osier    — Il faudrait que vous m’aidiez à border les voiles! Tout
     tressé, chargé jusqu’au ras bord de poissons divers : maque­  seul, je n’y arriverai pas...
     reaux irisés, congres, mulets, bars...                     Pierrick et Jean-François, affreusement malades, sont inca­
       Nos deux grands navigateurs en restent silencieux une   pables de quoi que ce soit...
     seconde...                                                 — Ce n’est pas des équipiers que j’ai embarqués, bou­
       — Bah, dit Pierrick, elle a dû aller acheter tout ça à un   gonne l’oncle Pierre, mais des bons à rien !
      chalutier mouillé dans l’avant-port !                     Bien sûr, il a pitié de ses neveux, mais il a tellement besoin
       La fillette s’éloigne sur ses pieds nus...             d’aide !
                                                                Le vent a fraîchi. Les choses deviennent de plus en plus
                             * **                             difficiles. C’est au moment précis où l’oncle Pierre se demande
       Le lendemain, branle-bas de combat à bord du « Cap Cod ».   s’ils ne vont pas être obligés de passer la nuit en mer qu’un
     L’oncle Pierre a décidé de faire une première sortie en mer. Il   vieux bateau noir, aux voiles défraîchies, se rapproche d’eux.
     comptait sur la présence d’un ami, officier de la Marine mar­  Il remonte très bien au vent, lui !
     chande, mais celui-ci n’a pu venir. Tant pis, on se débrouil­  — Besoin d’aide ? dit une voix claire.
     lera sans lui.                                             Pierrick et Jean-François parviennent à lever la tête et
       — Je peux compter sur vous ? a-t-il demandé à ses neveux.   reconnaissent le bateau. Mais, cette fois, ils ne font aucun
     Pierrick et Jean-François se sont presque indignés d’une telle   commentaire.
     question.                                                  — Votre foc est mal réglé ! dit la fillette.
       — Alors, en route ! a dit l’oncle Pierre.                D’une voix claire, elle donne ses conseils.
       L’appareillage s’est à peu près bien passé. Pierrick a un   Mais, voyant qu’ils ne sont suivis que très approximative­
     peu confondu drisse de foc et drisse de grand-voile, Jean-   ment :
     François s’est coincé un doigt sous la chaîne de l’ancre, mais   — Attendez, dit-elle.
     enfin le « Cap Cod » a pris la route. Oncle Pierre, s’il n’est pas   Avec une adresse stupéfiante, le vieux rafiot vient longer
     un navigateur émérite, se débrouille tout de même assez bien.   la coque immaculée du « Cap Cod ». La fillette lance une
     Les jetées sont franchies, le grand large s’ouvre devant   amarre à l’oncle Pierre, saute à bord. En trois ou quatre gestes
     l’étrave du joli bateau...                               précis, elle règle la voilure, indique à l’oncle Pierre les cou­
       Très vite les choses se gâtent un peu... La mer, sans être   rants de marée qui vont l’aider à gagner le port... Elle n’a pas
     forte, est « formée » comme disent les marins : un clapet léger   eu un mot pour les deux garçons, qui cependant commencent
     fait rouler le bateau... et les estomacs de l’équipage. Pierrick   à aller mieux.
     est vert, Jean-François blanc comme neige...               Puis elle regagne son bateau. Très vite le vieux rafiot prend
       — Ça ne va pas ? dit l’oncle Pierre.                   l’avantage sur le « Cap Cod ». Quand ils arrivent au Port, il
       — Si.                                                  y a belle lurette que le bateau noir est à son poste.
       — Si, ça va très bien !                                                        * ¥
                                                                                       *
       Hum ! C’est vite dit... L’oncle Pierre continue sa route,
     tandis que les vaillants navigateurs affalés sur la lisse donnent   — Dis, a demandé humblement Pierrick, tu ne voudrais
     à manger aux poissons !                                  pas nous apprendre à naviguer.
     ' L’oncle Pierre, conscient des difficultés éprouvées par ses   — Tu es rudement forte, a ajouté Jean-François. Et ton
     neveux, s’apprête charitablement à virer de bord et à rentrer   bateau marche merveilleusement.
     au port... Mais le vent a fraîchi, une brise de terre tenace,   — Ce n’est pourtant qu’un sabot à la voile rapiécée, a dit
     bien établie, qui entraîne le bateau vers le large. L’oncle   la fillette.
     Pierre essaie bien de « remonter au vent », mais il n’y par­  Les deux garçons ont rougi jusqu’aux oreilles. Mais elle
     vient guère... Nos deux capitaines donneraient pourtant cher   riait si gentiment qu’ils se sont sentis pardonnés.
     pour pouvoir à nouveau fouler le plancher des vaches.                                           Guy DENIS.
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