Page 32 - Coeurs Vaillants Num 33
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EGARDE-MOI ce sabot !
— Et cette voile ! Elle est tellement rapiécée qu’on
R ne sait même pas si elle est rouge, bleue, jaune ou verte !
— Quel sabot !
Fièrement plantés à l’avant du « Cap Cod », Pierrick et
Jean-François examinent dédaigneusement le rafiot qui ose
venir prendre place à côté de « leur » bateau. Un pauvre
rafiot, c’est vrai, à la coque fatiguée, à la voile défraîchie,
pas un yacht, oh non ! Pourtant, si nos deux grands amiraux
voulaient bien consentir à ouvrir un peu mieux leurs yeux,
ils verraient de quelle magistrale manière le barreur effectue
la difficile manœuvre d’accostage... Le barreur, ou plutôt la
barreuse, car c’est une fillette d’une douzaine d’années —
cheveux blonds flottant au vent, joues bronzées, yeux clairs,
— qui se tient toute seule à l’arrière du vieux canot.
Mais nos deux grands navigateurs sont beaucoup trop
fiers d’eux-mêmes et de leur « Cap Cod » pour s’attacher à de
semblables détails. Pensez donc ! « Le Cap Cod » est tout
neuf ! Tellement neuf que la navigation des deux vieux loups
de mer a consisté pour l’instant à prendre le train à Paris, à
venir jusqu’en Bretagne, à faire des « essais » dans le port de
lïuédel... C’est tout !... Mais bientôt ils doivent partir en
croisière, avec leur oncle Pierre, propriétaire du bateau. Belle-
He, Noirmoutier, La Rochelle, Santander... Us en rêvent
tellement que c’est comme si ils y étaient déjà allés...
— Elle ne doit pas dépenser beaucoup d’argent en pein
ture !
— Ni en cordages !
Pierrick et Jean-François sont habituellement des garçons
polis et bien élevés, mais que voulez-vous, ils sont victimes
de ce virus qu’on pourrait appeler « Plaisançomanie », virus
curieux qui a tendance à transformer, durant une période qui
s’étend de juin à septembre, les paisibles citadins en loups de
mer boucanés, aussi sûrs d’eux-mêmes que s’ils avaient
doublé le redoutable Cap Horn une douzaine de fois.
La fillette ne semble d’ailleurs pas entendre. Elle a emmené
son bateau « mourir » au ras du quai, elle bondit comme un
chat, passe une amarre, range sa barre, ses avirons, serre sa
voile, le tout avec une adresse qui dénote une longue habi-