Page 11 - Coeurs Vaillants Num 31
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Les chasseurs, par intervalles, percevaient, juste derrière   Entrer, se glisser dans le fourré comme un souple animal fut
      eux, de l’autre côté duvillage.de longs hurlements auxquels   pour Cottereau l'affaire d'un instant.
      répondaient les aboiements rageurs et impuissants des chiens   Au fond du trou, entre les racines du chêne, il a senti le
      qu'on n’osait plus détacher — face à l'intruse. Les deux gars   pelage chaud des louveteaux qui crient comme de jeunes chiots
      hâtaient le pas. Quittant la route ils s’enfoncèrent dans le   et lui mordillent les poignets. Posément, dans l'ombre lourde et
      chemin creux qui traverse le bois du pendu. Cottereau, de   tiède, Jacques accomplit sa besogne sanglante de chasseur...
      temps à autre, baissait le nez. Il était vêtu de velours brun,   Quand, venant du dehors, une masse pesante, rageusement, le
      moins brun que ses cheveux. Il serrait nerveusement dans   repousse... .
      l’ample poche un antique couteau de chasse, lame brillante,   — Qu’est-ce?... C'est toi, Ardouin?
      finement aiguisée. Petit, sec, c’était un garçon de peu d’ap­  Sous sa main tendue dans le noir, une fourrure fonce.
      parence. Georges, au contraire, était l'image de la force. Sa   — La louve !
      face rougeaude, un peu épaisse, débordait de santé et ses dix-   L'homme sent fondre ses moelles. D’un grand effort déses­  W
      huit ans faisaient honneur à maître Ardouin. Lui, caressait la   péré, à demi étouffé, Cottereau, la lame au poing, fait face. Il
      crosse neuve d'un fusil...                              est vainqueur sans savoir comment et pousse, machinal et
       — Vois-tu, Georges, c'est par là...                     oppressé, la bête morte et les petits sacrifiés sur la neige qu'ils
       ils retenaient leur souffle, étouffaient leurs pas. Un chêne   ensanglantent.
      gigantesque, dans la direction indiquée, s'élançait des fourrés.   — Ardouin ! Eh, Ardouin !...
      L’arbre énorme cliquetait de toutes ses feuilles sèches et   Le fusil est au pied du grand chêne. Ardouin sur la branche
      rouillées.                                               n’est plus qu'une chiffe. Blême et bras ballants, terrorisé et
       — Il s'agit, maintenant, d'exécuter notre plan, dit le gars   l'œil rond, il contemple la scène.
      brun. Grimpe à l'arbre, essaie d'atteindre la seconde branche.   Ce que c’est que nous, tout de même...
      Dissimule-toi de ton mieux. Tiens ton arme prête et tire, dès   Cottereau a gagné la prime... Mais il a bien failli casser la
      que paraîtra la bête... L’important est que je sache... N’importe   tête au « fi » de maître Ardouin... Ce pourquoi il n’eût pas été
      si tu la manques.                                        payé de la même monnaie.            j _p GEORGES.
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