Page 11 - Coeurs Vaillants Num 29
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Le canot des permissionnaires accosta. En deux bonds,
un énorme chien s’affala sur le plateau de la coupée, juste
dans les jambes du capitaine d’armes.
— Bigre ! Vous savez pourtant bien qu’il est interdit
d’amener un animal à bord sans la permission du comman
dant.
Les permissionnaires s’étaient alignés sur le pont.
— Il s’est précipité tout seul dans le canot, expliqua le
petit matelot. On n’a pas pu l’en déloger.
Le capitaine d’armes jeta un coup d’œil méfiant sur les
crocs puissants luisant entre les dentelures des lèvres et
s’avoua convaincu ! ’
— Bon, ça va, je vais en référer au commandant.
Les matelots s’engouffrèrent avec leur nouveau compa
gnon dans une écoutille et firent une entrée très remarquée
dans le poste d’équipage. Aux camarades qui les assaillaient
de questions, ils répétèrent leur petite histoire tandis que l’ani
mal allait tranquillement s’allonger dans un coin.
C’était un magnifique Terre-Neuve, d’un poids respec
table, au poil ras et frisé. Malgré son aspect redoutable, il
paraissait doux et même bonasse. Indifférent aux discussions
qui s’élevaient à son sujet, il se contentait de promener sur les
matelots son bon regard de chien sans maître. Après avoir
dévoré quelques morceaux de viande et autres gâteries qu’un
débrouillard avait rapportés de la cambuse, il remua longue
ment la queue et alla flairer un à un tous ses nouveaux amis.
— Croyez-moi, les gars, c’est une brave bête.
Comme s’il avait compris cet éloge, le chien s’approcha
du matelot et lui lécha les mains avec reconnaissance.
— Bravo, vieux. Tu sais, on va t’apprendre des tas de
choses, des tours extraordinaires. Il ne nous reste plus qu’à te
trouver un...
— Fixe !
Le petit canonnier Martin ne put achever sa phrase. Au
commandement, comme tous ses camarades, il s’était dressé
dans la position du garde-à-vous.
Le commandant Marnac venait de faire irruption dans le
poste. C’était un homme d’une quarantaine d’années, petit et
râblé, aux colères aussi brutales qu’imprévisibles. Sévère,
mais juste, il ne transigeait pas avec la discipline.
Il s’avança lentement, les sourcils froncés, entre la double
haie de matelots, et pointa un doigt précis sur le Terre-Neuve.
Dans la rade endormie, bercé par ta douce — Qu’est-ce que c’est que ça ?
caresse de la brise venant du large, le patrouilleur Le matelot, vers qui il s’était légèrement tourné, crut bon
de répondre.
« Gardénia » se balançait mollement sur son
— Ça, commandant ? C’est un chien.
coffre de mouillage.
— Tonnerre ! Je le vois bien. Qui vous a permis de l’ame
Sur l’étroite plate-forme de l’échelle de coupée, ner à bord ?
le capitaine d’armes consulta une fois de plus le Marnac s’empressa de donner l’ordre de débarquer l’indési
rable passager à quatre pattes. Les hommes chargés de cette
cadran lumineux de sa montre. Quelques minutes
corvée revinrent à bord et personne n’osa plus reparler du
s’écoulèrent puis il prêta l’oreille aux halètements chien.
sourds d’une embarcation à moteur se dirigeant A l'aube suivante, sa courte mission accomplie, le « Gardé
nia » reprit la route des côtes de Provence. Les rivages de
vers le « Gardénia ».
l'île de Beauté s’estompaient déjà au loin dans la brume mati
nale lorsque le petit matelot Gillou se présenta sur la passerelle.
— Commandant, est-ce que je pourrais vous parler ?