Page 21 - Coeurs Vaillants Num 22
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Rémy, le “berger prodige”







    cien missionnaire — ramène les choses   Trop de pente et trop
    à leur juste valeur, en me disant :
    « Après tout, il faut être intelligent pour
    faire un bon paysan. » Et c’est bien vrai,      de rochers
    à notre époque de tracteurs et de Marché
    commun !                               — Que vas-tu faire maintenant ?
      Quant à Rémy, il est retourné à ses   —- En octobre, je partirai au service
    moutons et à ses lectures. Il ne « se   militaire. Je crois qu’on me fera rentrer
    monte pas le cou », mais réfléchit à son   directement à l'Ecole de Strasbourg, qui
    avenir. C’est ce qu’il m'a confié, au cours   prépare à Saint-Cyr. Cela me permettra
    d’une longue conversation, tandis que le   de travailler.
    coucou chantait dans les arbres voisirft :  — Par quoi te sens-tu attiré ?
     — Quelle impression cela te fait-il   — Par les mathématiques. Pourtant je
    d’entendre dire que tu es supérieurement   n’ai jamais fait d'algèbre...
    intelligent ?                          — Tu n’iras pas dans une école d'agri­
     — Oh, “vous savez, cela ne veut rien   culture, pour revenir ensuite à la cam­
    dire. C’est maintenant qu’il va falloir   pagne ?
    travailler. Des journalistes m’ont emmené   — Non.
    à Lyon, voir Jean Frêne, un garçon qui   — Tu n’as pas peur de regretter la vie
    a été découvert comme moi par les tests   proche de la nature ?
    militaires, il y a deux ou trois ans. 11   — Non. La poésie, c'est bien beau,
    est très chic et il m’a utilement conseillé :   mais il faut être réaliste.
    je sais que j'ai des années à rattraper et   Le visage de Rémy s’est durci. Il faut
    que ce sera dur de travailler tout seul.  vous dire qu'Ousté est un de ces villages   tagne l’autre village qui lui est confié.
                                          de montagne qui se vident peu à peu,   Rémy sent tout cela. Il enchaîne :
  ' Sans l’Armée qui a mis le doigt sur   parce que la vie y est trop dure, les pro­  — Ici, ce sera viable quand il n’y aura
  t sa jeune intelligence, en montrant que l’on   priétés trop petites, parce qu’il y a trop   plus qu’une seule famille à vivre sur l’en­
    n’avait pas le droit de laisser perdre de   de pente et trop de rochers pour méca­  semble des terres du village. Nous avons
  tf telles aptitudes, Rémy Crampes serait sans   niser la culture. En douze ans, le village   une existence trop dure et trop pauvre
    doute resté un modeste berger, ou serait   a perdu 33 habitants (mort, départ, ma­  avec la situation actuelle. Au moment de
    allé en ville, sans métier, tenter sa chance.  riage hors de la commune) contre 10   nous marier, ce n’est pas une situation
     — C’est la grande chance de ma vie.   naissances seulement. Chaque dimanche,   bien brillante à offrir à une jeune fille !
    Je vais certainement pouvoir reprendre   M. le curé doit faire une heure à dos   Des villages comme le nôtre coûtent à
   ' mes études.                         d’âne pour desservir à travers la mon­  l’Etat davantage qu’ils ne lui rapportent...
                                                                               Il faut que tout cela évolue.
                                                                                 11 n'y a dans sa voix ni rancœur, ni
                                                                               désespoir, mais de la clairvoyance et un
                                                                               tranquille courage.
                                                                                 Et parce que pendant des années le
                                                                               jeune berger a profité des longues heures
                                                                               passées, seul avec ses bêtes, pour lire
                                                                               et apprendre, il va pouvoir aujourd'hui,
                                                                               à condition de travailler encore beau­
                                                                               coup, prendre dans la vie la place de
                                                                               choix qu’il mérite. Pour avoir su ne pas
                                                                               laisser éteindre la petite lumière que le
                                                                               créateur avait mise en lui.
                                                                                 Comme sa mère avait raison de s’excla­
                                                                               mer, en apprenant que je venais pour
                                                                               ] 2 : « A cœur vaillant, rien d’impos­
                                                                               sible ! » Rémy, une fois de plus, vient de
                                                                               nous en donner la preuve...
                                                                                                    Yves COLIN.
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