Page 11 - Coeurs Vaillants Num 21
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miraculeuses, avait dit Lavennec, j’allais pas bien loin,
c’est sûr... » Et encore : « Je n’ai jamais prétendu avoul
affronté la tempête à ton âge. » Loïc chercha, du regard,
père Lavennec dans l’église ; quand il le trouva, il s’aper
que le vieux le regardait avec le même sourire qu’à'
avait vu, au bord de la mer en furie.
Loïc passa toute la journée dans les rochers. MaintenànT
la mer, bleue, était un miroir du ciel. Le soir, il se mitlà
nettoyer la barque, à la vider d’un fond d’eau qui ne se dé
dait pas à sécher, à gratter les avirons.
Et le lendemain matin, alors que tout dormait encore dans'
la petite maison, il se leva, ouvrit la vieille armoire sculptée
où se trouvaient les suroîts et s’en fut dans le bleu. Comme'\
tout était facile... Trop facile... Loïc poussa la barque de
toutes ses forces, avec une sorte de rage. Arrachée au sable,
brusquement, elle sembla s’éveiller ; en sautant dans la
coque, Loïc eut l’impression de monter un de ces chevaux
bretons trop nerveux, aux réactions imprévues. Il prit son
équilibre, instinctivement, tenant ferme ses jambes écartées,
puis il s’assit, empoigna les avirons et, tout petit, il se lança
dans l’immensité plate.
En souquant, il ne pensait qu’à une chose : son retour
tout à l’heure. Sa mère et ses sœurs viendraient à peine de
se lever et se demanderaient où il est passé. Il arriverait,
mouillé, heureux, et dirait simplement : « Je viens de jeter les
filets. »
Maintenant, il était assez loin. Il tira, du fond de la coque, le
filet comme une longue chevelure et le laissa courir mollement
sous l’eau où il s’épanouit. Non, bien sûr, cela n’était pas si
terrible. Il suffisait de ne pas trop regarder l’horizon qui, de
toutes parts, était comme un trait qui soulignait l’angoisse ; ni
il suffisait de ne pas trop penser que, debout dans la barque, au
moindre faux mouvement, on risquait de tout faire chavirer ; C’EST A MOI D'AGIR!
il suffisait de... Il suffisait de songer au retour et à cette petite
phrase qui deviendrait quotidienne : « Je viens de jeter les Robert n’en a pas cru ses oreilles ! Depuis toujours, il est le
filets. » laissé pour compte. « On n'a pas besoin de toi pour nous
faire perdre ! » Il regarde les autres jouer et se referme chaque
Quand Loïc regagna la terre, il vit avec étonnement que jour un peu plus dans son isolement et dans sa solitude.
Et voilà que, aujourd'hui, sans que rien le laisse prévoir,
le vieux Lavennec était là, qui l’attendait. « Comment, soudain tout a changé. Paul est venu vers lui et gentiment l'a
s’exclama Loïc, vous saviez que... » — « Je m’en doutais, dit invité à jouer au volley dans son équipe, un type bien, Paul,
Lavennec toujours avec ce sourire qui semblait pénétrer le un vrai sportif. Chacun désire être dans son camp. Et Paul
fond des cœurs. Maintenant, tu es un homme, fiston ! » Ils l’a choisi, lui ! Tout d’abord, il a fait quelques maladresses.
marchèrent un moment en silence, tous deux. Puis le vieux Paul n'a pas crié, il lui a expliqué gentiment la manière de s'y
s’arrêtant encore : « Tu connais la Maryvonne ? C’est un prendre et petit à petit Robert a pris goût au jeu. Les autres
chalutier qui va prendre le large après-demain. Ils ont besoin n'ont plus fait attention à sa présence. Il est devenu plus sûr
d’un mousse. Je ne leur ai pas parlé de toi tant que je n’ai de lui, plus content parce que gentiment un gars a su l'inviter
pas eu la preuve que j’attendais, tu saisis ? Maintenant je à partager sa joie. Paul a pensé : « C’est à moi d’agir ! Et tout
vais le faire et tu gagneras trois fois plus qu’en jetant tes est changé ! »
Dans la lettre que nous lisons, le dimanche après l'Ascen
filets tout seul... Voilà qui va bien arranger les choses, chez sion, saint Pierre demande aux premiers chrétiens de s'aimer
toi, hein ? » Loïc était tellement étonné qu’il resta quelques sans cesse les uns les autres, car « l'amour rachète la multi
secondes sans voix avant de remercier Lavennec. « Ce n’est tude des péchés ». Il leur demande de savoir accueillir les
rien, ce n’est rien, dit le vieux. Je fais simplement pour toi ce autres et de se mettre joyeusement au service de leurs
que j’aurais souhaité qu’on fît pour moi quand j’avais ton frères !
âge. Alors, tu es content ? Dame, sur la Maryvonne, tu iras C'est ce que Paul a fait tout simplement en disant à Robert :
loin, mais tu ne seras point seul. » « Viens jouer avec nous ! »
Non, désormais Loïc ne serait plus seul. François LORRAIN.
L’avait-il jamais été ?
Jean-Marie PÉLAPRAT.