Page 4 - Coeurs Vaillants Num 19

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Mon moulin ne tourne plus. Il y a
belle lurette que ses ailes se sont
abaissées comme celles d’un papil­
lon collé sur du carton. Il y a belle
lurette que Don Quichotte ne par­
court plus les campagnes d’Espagne
et que les rois de France n’épousent
plus les meunières. Il y a belle
lurette que maître Cornille n’est
plus là pour donner du sable à man­
ger à ses grosses meules plutôt que
de les voir perdre la face.
Et pourtant, il y a un ou deux
siècles, qu’il était beau mon mou­
lin, planté comme un bonhomme de
neige sur la colline et tournant ses
grands bras « au souffle du Bon
Dieu »
CHAMAN. C^Lf°immeS’jLeî ailes de certains se sont figés définitivement
C est le cas du fameux moulin d’Alphonse Daudet oue^m.»
Photo voyons ci-dessus. Certains ont été transformés en bals nonu Photo BEMJNG.
Uires comme le Moulin de la Galette que nous voyons à drohë'
Certains, par contre, sont encore habités et utilisés comme les
tro's que nous voyons sur la page de droite. Les deux derniers
sont hollandais, I autre, français.
Qu’il fait bon chez vous maître Écoutez le tic-tac du moulin... moulins, côte à côte, et travaillant de
Pierre... concert surveillés par un seul meunier.
Si les jolis moulins à vent de jadis Il arriva aussi que l'on construisit des
Tant que les hommes se sont servis nous semblent maintenant bien démodés moulins mixtes, c'est-à-dire marchant
du vent pour moudre leur grain, le meu­ devant l'électricité, il ne faut pas oublier avec l'eau de la rivière quand celle-ci
nier a été un homme fort important dans qu'ils représentèrent un indéniable pro­ était abondante et au vent dans le cas
le village. Quoi qu'en dise la chanson, grès technique. contraire. Ce type de moulins était très
il ne dormait pas souvent. Il travaillait Les premières meules furent tout sim­ répandu en Gascogne, par exemple..
beaucoup, chantait souvent et dansait plement maniées à main. C'était le
plus encore. Dans tous les folklores système utilisé en Antiquité. Les es­ Le secret de maître Comille...
du monde, le meunier apparaît en effet claves enchaînés tournaient jusqu'à la De n’importe quelle sorte qu'il soit, le
comme un joyeux drille... Il est de toutes mort autour de la meule. Le fouet du moulin vise à écraser du grain entre
les fêtes. C'est en quelque sorte un gardien était là pour faire accélérer la deux meules. La mécanique n'est pas si
maître de cérémonies. Ainsi, en Bre­ cadence dès que les muscles faiblis­ simple qu’il pourrait sembler à première
tagne, la première salle du moulin était saient. Plus tard, des animaux, aveuglés, vue. Sur la maçonnerie, appelée « tour »,
toujours décorée de petits bouquets de furent préférés. C’était un peu le sys­ se trouve le toit. Ce dernier est posé un
fleurs séchées. En effet, à chaque ma­ tème, encore utilisé de nos jours en peu à la façon d’un couvercle de salière
riage, un petit sac de blé était moulu Orient, pour faire monter l’eau des puits. qui ferait vis sans fin. Montée sur un
spécialement pour le premier repas des Ensuite, vinrent les moulins sur l'eau. pivot, elle tourne tout entière, entraî­
époux. Le cheval apportant ce petit Là, la force qui faisait tourner la meule nant les ailes qui s’y trouvent solide­
sac de blé avait un bouquet noué à son était gratuite et, en principe, inépuisable. ment fixées. Quand il n’y avait pas de
collier. C'est ce bouquet qui restait en­ Le mécanisme devint plus complexe. On vent, on disait que le moulin était « en
suite au moulin. Cette tradition de gaieté était également obligé d'ouvrir un canal deuil ». Au contraire, dès que le vent se
s'est même souvent maintenue jusqu'à de dérivation pour acheminer l'eau né­ levait, le meunier orientait la toiture de
transformer d'anciens moulins en bals cessaire jusqu’à la roue. Pour éviter ce telle façon que les ailes reçoivent le
populaires et en guinguettes. travail de creusement, on utilisait sou­ maximum de souffle. Cela se faisait à
Ainsi en fut-il du fameux Moulin de la vent une île et l'on posait le moulin sur l'aide de deux grosses perches fixées
Galette, sur la colline de Montmartre, et le petit bras de la rivière.
qui inspira à Renoir un de ses plus au toit. On disait « mettre dans le vent ».
Enfin, au Moyen Age, sous l'influence
grands chefs-d'œuvre. des Croisades sans doute, apparut le Le mouvement des ailes faisait tourner
un axe à l'intérieur de la tour et ce der­
Si le moulin participait aux fêtes moulin à vent ; la machinerie était encore nier actionnait une énorme meule qui
joyeuses, il lui arrivait aussi de rendre plus complexe, mais n’oublions pas que s'appelait la «tournante ». Elle écrasait
un dernier hommage aux morts du vil­ le Moyen Age a connu de merveilleux le grain contre une autre, au-dessous, et
lage. Ainsi, en Bretagne toujours, lors charpentiers. Le gros problème tech­ qui, elle, restait immobile, portant pour
de l'ensevelissement, le meunier tour­ nique qui se posait aux constructeurs cette raison le nom de « dormante ».
nait les ailes de son moulin en direction était d’orienter le moulin suivant la Et ainsi de blé en farine, puis plus tard
de la maison mortuaire. Pour la Tous­ direction des vents pour pouvoir en de farine en pâte... vous connaissez la
saint, tous Iqs moulins s’orientaient profiter d’une façon permanente. A ce suite. De nos jours, le pain arrive toujours
vers le cimetière. problème, deux solutions : faire tourner sur votre table, mais la farine n’en vient
le moulin en entier sur un pivot (dans ce
Ainsi, pour le travail, les fêtes ou les cas, il était construit en bois), ou simple­ plus de ces jolis moulins qui défilaient
deuils, le moulin jouait un rôle très im­ sur la colline.
portant. Il ne se contentait pas de mettre ment la toiture avec le mécanisme, le Seule, la Hollande entretient jalouse­
une note de poésie sur la colline, il fai­ corps du moulin restant fixe. ment les siens. Et elle a bien raison.
sait corps avec tout le village. Il arriva que l’on construisit plusieurs H. S.
TAVAR.D.
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