Page 20 - Coeurs Vaillants Num 15
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Pendant qu
lisez ce nu i
Voici ce que nous a raconté, avant son départ,
l’un des chasseurs de cette flottille...
« Nous étions partis de Aalesund, en Nor Et puis, un matin, ils découvrent une
vège. Douze bateaux qui avaient décidé de « caste » de phoques. Il y en a à peu près
rester en liaison, arrivés au Grand Nord. Mais, 2 000. Aussitôt, c’est à bord le branle-bas de
en tout, sur les territoires où l’on chasse le combat. On sort en hâte les carabines norvé
phoque, il y eut quelques jours après 200 ba giennes et les « drag toq », des crochets qui
teaux, norvégiens, suédois et russes. Le nôtre servent à remorquer les phoques morts. 11
avait 35 m de long. Un moteur diesel, mais en y a là beaucoup de petits, qui ne bougent pas,
mer on ne s’en sert pas, car la voile permet de tandis que les mères, glacées de peur, se
mieux gouverner parmi les banquises en éco cachent sous l'eau et que les mâles s’enfuient.
nomisant le carburant. Dix marins à bord, Près de 500 petits seront tués en peu de
tous des jeunes, dont moi, encadrés par un temps : leur peau coûte cher...
capitaine et deux lieutenants. Pas de radar,
mais la radio pour le guidage. Un bateau-
hôpital, un peu plus grand, nous suivait. En
cas de maladie ou d’accident à bord, on de
mande les conseils par radio et, s’il y a vrai 48 heures de travail sans arrêt
ment urgence, on rejoint le bateau-hôpital... »
L’homme qui nous racontait cela, à Paris,
il y a quelques semaines, est maintenant très « La nuit, du bateau, nous entendions crier
loin, dans les solitudes glacées du Grand Nord, ces petits phoques. Leur vacarme, alors, res
en train de chasser le phoque. Parti à la fin semble à celui d’enfants qui s’amusent et qui
de février, il ne retrouvera la terre ferme qu’en pleurent. Quelques semaines plus tard, à leur
juin. Avant son départ, il avait bien voulu changement de peau, ils vivront en bande
nous confier pour vous les souvenirs de la d’une cinquantaine, sous la direction d’un vieux
campagne précédente. phoque. A son école, ils apprendront à nager,
à plonger, à chasser le poisson... »
Mais la chasse aux phoques est un métier
très dur...
Par —50°, nous découvrons
« Nous avons eu de la neige. C’est terrible.
une bande de 2 000 phoques Avec le vent, tous nos cils étaient couverts de
neige et de glace, et il nous fallait quand même
chasser ! Pas perdre une seule peau, c’était
« Nous naviguions depuis huit jours, restant la consigne formelle. Une vraie folie. C’est très
constamment en contact radio avec les autres curieux chez ces nordiques, d’ordinaire flegma
bateaux de la flottille, pour savoir si l’un de tiques. Il nous arrivait de travailler quarante-
nous découvrait des phoques. Au fur et à huit heures de suite. Nous récupérions la peau
mesure que nous approchions du Grand Nord, et la couche de graisse immédiatement en
le jour raccourcissait. Et puis, nous nous dessous. Seuls les Russes récupèrent aussi la
sommes enfoncés dans les glaces. Du haut du viande et les os dont ils font de l’engrais. La
« tonneau », le capitaine ou les lieutenants glace nous encerclait. En vingt-quatre heures,
criaient leurs ordres. L’homme de la barre trois bateaux distants de cinq kilomètres se
devait faire un véritable slalom pour éviter les sont retrouvés, par elle, bloqués l’un contre
banquises. Le vent se leva. Il se mit à souf l’autre (notre photo, en haut, à gauche). La
fler très fort, hurlant dans les cordages ; mais nuit, elle faisait craquer le bateau, et cela don
la mer ne bougeait pour ainsi dire pas, main nait un bruit étrange, angoissant. Et quand, en
tenue par les glaces. La température descendit plus, l’aurore boréale venait incendier le ciel,
à — 50". Malgré trois pantalons, beaucoup de nous avions vraiment l’impression d’être perdus
chandails et un anorak, j’avais froid... » dans un autre monde... »