Page 10 - Coeurs Vaillants Num 34

D'APRÈS UN ONTE JAPONAIS
C’était grande fête chez le plus riche marchand du village. ainsi que le va-et-vient des petites tasses à la bouche des
Ün fils lui était né, pensez donc un fils après six filles. convives, voici que la figure de Chirou devient rouge, puis
Aussi tous les amis étaient réunis chez Tamiyamaho. On violette.
buvait ferme le bon saké suivant l’usage en pareil cas. Que lui arrive-t-il, grand Dieu ?
Son voisin, intrigué, lui demande la raison de cette angoisse
qui oppresse Chirou.
— Est-ce que les dragées vous font du mal, cher ami ?
Seul, uu invité, le brave Chirou, ne partageait pas la gaieté — Je n’y ai pas goûté, soupire Chirou avec regret, non,
générale car le médecin lui avait interdit l’usage des liqueurs, voyez plutôt.
en si petite dose soit-elle. En effet, la main du malheureux qui est entrée facilement
Chirou avait bien essayé à différentes reprises de passer dans l’orifice du vase ne semble pas pouvoir en ressortir.
outre aux conseils du médecin. Mais il avait été si malade Pourquoi ? Je vous le donne en mille !...
ensuite que vraiment aujourd’hui il ne pouvait pas être ques­
tion de boire la moindre petite tasse de saké.
Tamiyamaho était fort ennuyé. Peut-on laisser un convive
se morfondre sans lui offrir quoi que ce soit lorsqu’on est Les invités se pressent autour de lui. Il rougit de plus en
tant soit peu bien élevé ? plus, très fâché d’être le point de mire de tous les invités.
Il offrit successivement du thé, des confitures, des biscuits Le maître de maison s’efforce de tirer sur le vase. Rien n’y
à Chirou, mais celui-ci répondait toujours que cela lui faisait fait. Chirou hurle de douleur. Cela fait un véritable attroupe­
du mal. Enfin, une idée géniale vint au maître de maison. ment. Chacun donne son avis. Enfin le maître de maison
Il fit signe à la servante d’apporter le vase de dragées qui décide de sacrifier le beau vase auquel il tient pourtant beau­
trônait sur la table. coup.
Il s’arme de( sa canne de bambou et donne un bon petit
coup sec au vase précieux.
Que voit-on alors avec stupeur ? La main de Chirou cris­
Chirou, en homme qui a des usages, refusa naturellement
par trois fois. Enfin il se laissa fléchir et accepta de goûter aux pée sur une grosse poignée de dragées...
Vous pensez si cela a fait bon effet ! Un éclat de rire géné­
dragées. L’assistance respira d’aise. La séance avait duré ral retentit dans la salle, un immense éclat de rire, un rire
assez longtemps pour le goût de la plupart. On allait tout de
même pouvoir reprendre les conversations joyeuses en savou­ qui n’en finissait pas d’éclater en vrilles, en volutes, en cas­
cades...
rant le saké. Vous pensez bien qu’on ne peut pas déguster au
On en rit encore quand on raconte aux enfants
nez d’un malheureux à qui la liqueur est interdite. Du reste» gourmands la bonne histoire du brave Chirou qui ne voulait
tant que le maître de maison ne boit pas qui oserait porter pas lâcher sa poignée de dragées pour libérer sa main
la tasse à sa bouche P emprisonnée...
Donc, Chirou plongea la main dans le joli vase pour goûter
Aussi, vous pensez si sa réputation a été bien établie. Ces
à ces délicieuses dragées, cela au moins ne le rendrait pas choses-là ça vous marque un homme pour la vie...
malade.
Mais, tandis que les conversations reprenaient joyeusement FAUVERNAY.