Page 10 - Coeurs Vaillants Num 23
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OUÏS XVI entra dans la salle   aller à Paris. Depuis fort longtemps, M. le Principal du Col­
       du Manège et s’assit dans son box, en face du bureau du pré­  lège Louis-le-Grand sollicite l’honneur de recevoir dans son
       sident de la Convention. Messieurs de Malesherbes, Tronchet   établissement le Roi de France. Je ne peux plus m’y sous­
       et de Sèze, ses avocats, prirent place autour de la petite table   traire... » Marie-Antoinette fit la moue : « Comment ferons-
       qui se trouvait devant le box et commencèrent à défaire les   nous, Louis ? Nous avons bal ce soir, vous le savez... Et vous
       courroies de leurs dossiers.                             savez aussi combien ces visites de collèges m’insupportent.
         Et les débats s’engagèrent.                            Croyez-vous, par ailleurs, qu’il plaise tant à ces pauvres
         Depuis le début de son procès, le roi déchu considérait avec   enfants de se lever plus tôt que d’habitude, d’être soumis à une
       une froide résignation tous ces yeux braqués sur lui. H sem­  revue de détail sévère, de se mettre en rangs serrés et
       blait étranger à ces débats acharnés où les envolées grandilo­  d’attendre debout pendant des heures pour nous apercevoir
       quentes étaient coupées d’interruptions lapidaires, ponctuées   quelques instants et, pour la plupart d’entre eux, de loin ?»
       de coups de clochette aigres et obstinés. Soudain, une voix   Louis XVI eut un sourire et dit : « Madame, vous êtes reine.
       âpre et criarde s’éleva au-dessus du tumulte : « Citoyen Pré­  Cela entraîne quelques obligations... » La reine soupira. « Je
       sident, je demande la parole ! » La clochette s’agita furieu­  suis heureuse et fière d’être votre épouse, Louis... Mais par­
       sement : « Silence ! dit le président. Laissez parler le citoyen   donnez-moi s’il me vient parfois, avec quelque mélancolie, le
       Robespierre ! » Alors un petit homme sec, aux lèvres minces,   souvenir de mon enfance insouciante à Vienne. On y passait
       aux yeux de métal, la perruque poudrée et le corps gainé dans   des soirées charmantes à écouter jouer au clavecin un tout
       un habit bleu clair d’une élégance irréprochable, se détacha   petit enfant qui se nommait Mozart... » — « Madame, vous
       de la foule et, désignant l’accusé d’un geste théâtral, s’écria :   verrez demain d’autres enfants, — des Français, ceux-là. Et
       « Il n’y a pas ici de procès à faire. Vous n’êtes point des juges   peut-être parmi eux se trouve aussi un futur génie qui saura
       mais des hommes d’État, les représentants de la Nation !   vous charmer. » La reine finit par accepter de bonne grâce,
       Vous avez une mesure de salut public à prendre. Point de   assista néanmoins au bal du soir et fut, le lendemain, prête à
       jugement ! Louis Capet doit mourir pour que vive la patrie ! »   l’heure dite.
       Ainsi parla le citoyen Robespierre.                        Et, dans une berline aux rideaux fleurdelisés, on s’en fut
         Or Louis XVI l’avait à peine écouté. Comme toujours sa   vers Paris.
       pensée était ailleurs ; elle voguait vers des souvenirs, déjà.
       Dans cette salle surchauffée, en ce mois de janvier 1793,
       l’accusé Louis Capet évoquait les printemps dorés du roi
       Louis XVI...
                                                                                            U collège Louis-le-Grand, on
                                                                était aux cent coups et tout se déroulait à peu près comme
                                  I U’IL faisait bon vivre alors,   avait prévu la reine. Les enfants de toutes les classes réveillés
                                                                presque à l’aube avaient dû se laver soigneusement, puis se
       à Versailles. On partait, au petit matin, avec un fusil soigneu­  soumettre à l’inspection des répétiteurs qui examinaient par­
       sement fourbi, et l’on galopait toute la journée dans les   ticulièrement les oreilles, puis s’habiller de leurs plus beaux
       forêts, au son du cor de chasse. Le soir, on passait par Trianon   costumes, puis se mettre en rang dans la Cour d’honneur. Les
       où l’on venait saluer la reine qui, en habit de bergère, longeait   prêtres qui dirigeaient le collège se démenaient tant qu’ils
       l’étang de son hameau en portant deux petits seaux de lait.   pouvaient. Au dernier moment il manquait quelque chose ;
       Puis on s’enfermait dans son atelier où, l’œil attentif, le doigt   on n’avait pas prévu ceci ; on n’avait pas pensé à cela... Et
       précis, on se mettait avec amour à fabriquer une nouvelle ser­  pourtant, depuis des mois... Peu à peu les carrés se formaient
       rure. Bien sûr, le métier de roi ne se bornait pas à ces aimables   et tout allait finalement le mieux du monde quand un abbé
       occupations. Il fallait recevoir M. de Beaumarchais, ce singu­  s’écria : « Et le discours de bienvenue ? Quel est l’élève qui
       lier auteur de comédies qui venait demander un million au   doit dire le discours de bienvenue ?» H courut dans le bureau
       nom de l’indépendance de l’Amérique ; lui emboîtait le pas   du préfet des études, l’abbé Saint-Vaast. « Monsieur le Préfet,
       un petit jeune homme de dix-huit ans nommé La Fayette. Il   on avait prévu qu’un élève des grandes classes dirait une
       fallait discuter avec M. de Calonne de la prochaine réunion de   harangue... » — « Je sais, je sais, répondit l’abbé Saint-Vaast.
       l’Assemblée des Notables. Il fallait siéger au Parlement. Il   Je me suis occupé de cela et j’ai choisi le plus brillant de nos
       faUait... il fallait...                                  élèves. » Il désigna alors un jeune garçon qui se tenait timi­
         Il fallait aussi et surtout se soumettre à ce qu’on appelle   dement à côté de lui. Ce jeune homme avait sans doute dix-
       des « représentations officielles ». Alors on partait pour Paris   huit ans, mais il n’en paraissait pas plus de quinze tant il était
       avec la reine et l’on inaugurait une exposition, on se faisait   petit et malingre. Son visage émacié, aux lèvres minces, lan­
       acclamer dans les rues, on paraissait à un balcon, on applau­  çait l’éclat froid d’un regard de métal. Son costume — son
       dissait à un feu d’artifice, on écoutait des discours d’ambassa­  plus beau — était pauvre mais propre et bien coupé. « Depuis
       deurs, de maires, de ministres, d’officiers et même d’enfants.   qu’il est question d’une visite du roi, dit l’abbé Saint-Vaast, il a
       Car on visitait des écoles, aussi, bien sûr.            composé lui-même un compliment et l’a appris par cœur. Il
         Et ce jour-là...                                      est d’une famille pauvre mais c’est un de nos meilleurs
                                                                élèves. Lisez son petit discours, monsieur l’Abbé, vous y ver­
                                                               rez des richesses littéraires peu communes et un attachement,
                                                               un respect à la personne royale fort attendrissants. » Et
                                  E roi s’était présenté chez la   l’abbé Saint-Vaast tendit les îeuillest du discours à son
       reine de bonne heure et lui avait dit : « Madame, il nous faut   confrère. Celui-ci les parcourut et s’écria : « Oui, en vérité,
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