Page 34 - Coeurs Vaillants Num 28
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Les deux plongeurs nageaient maintenant par vingt mètres
de fond, environnés de bulles. Soudain, devant eux, à l’entrée
d'une caverne, ils aperçurent comme une porte gigantesque.
Luc se retourna, indécis. François lui fit signe de filmer et
tous deux s’approchèrent lentement, au battement régulier
de leurs palmes, de cette porte monumentale, véritable chef-
d'œuvre de la nature. C'était comme s'ils pénétraient dans
un temple aux grandes colonnades rocheuses soutenant la
voûte, irradiée de lumière, de l’eau diaphane. Fascinés, ils
avançaient avec prudence, sachant que ce genre de cavernes
sous-marines est souvent le lieu d'élection des pieuvres. Un
rapide tour d'horizon les rassura. Nul n'habitait ce temple
jusque-là inviolé.
Luc filmait, filmait. Sa caméra emmagasinait une moisson
d'images inoubliables qu'aucun œil humain n'avait jusqu'alors
contemplées. Il fallait toutefois se hâter, car déjà l'air s’épuisait
dans les réservoirs.
Au milieu de la pièce immense, François se retourna et vit
tout à coup Luc faire de grands gestes comme s’il se débattait
contre un ennemi invisible. Dans son désarroi, il avait lâché sa
caméra qui pendait à sa ceinture. Il s'agita encore, puis Fran
çois le vit partir vers la surface à grands coups de palmes.
*
♦ *
A vingt mètres de profondeur, il est très dangereux de
remonter en moins de deux minutes. Pendant que François
observait prudemment son palier de décompression aux
alentours de dix mètres, Luc continuait sa folle ascension.
Il remontait plus vite que ses bulles, fonçant vers la catas
trophe.
Lorsque François parvint à son tour à la surface, le pauvre
Luc flottait, évanoui, avec du sang qui lui coulait des oreilles.
Il nagea vers lui, mais déjà une barque s'approchait à force de
rames. Deux bras puissants se saisirent du naufragé et le
hissèrent à bord. François grimpa dans le canot pendant que
D’un coup de palmes puissant, Luc rejoignit l'homme commençait à pratiquer la respiration artificielle.
son camarade et lui fit signe de le suivre. Il — Vite ! Ne perdons pas un seul instant, ordonna l'inconnu.
venait de repérer une plate-forme rocheuse, Ramène-nous au port !
avec des grottes mystérieuses ouvertes Sans même prendre le temps de quitter son équipement,
François pesa de toutes ses forces sur les avirons. Au loin,
comme des meurtrières dans l’épaisseur de la
la vieille barque se dandinait sur la mer.
muraille d’un étrange château-fort englouti.
Sitôt arrivé au port, l'inconnu plaça Luc, toujours inanimé,
François passa devant à la recherche d’un dans son automobile et fonça vers l'hôpital. Tout fut mis en
passage praticable pour s'introduire dans la œuvre pour arracher le malheureux à la mort. Quand on le
déclara hors de danger, trois jours plus tard, François fut enfin
citadelle sous-marine.
autorisé à lui rendre visite.
— Mon clapet s'était bloqué, lui expliqua Luc. Plutôt que
l'asphyxie, j'ai pris le risque de remonter en vitesse.