Page 12 - Coeurs Vaillants Num 09
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E Centre de Formation à la Plongée sous-marine était   grenouilles. Ce fut seulement alors qu’il se souvint de l’objectif
      I  installé à Saint-Raphaël, sur un vaste terrain en bordure   et s’arracha à sa contemplation.
         de la mer.
        Une trentaine de jeunes gens de dix-huit à vingt-cinq ans   Dans la chaloupe, Carsin suivait avec attention les sillages
      y accomplissaient un stage sous la direction de moniteurs   des bulles. Il constata bientôt que, si trois plongeurs progres­
      diplômés. Former des hommes-grenouilles civils dont les   saient normalement vers l’embarcation du moniteur, le qua­
      services sont des plus appréciés pour les constructions de   trième, par contre, s’égarait. Inquiet, il mit le cap sur le
      ponts, les vérifications de barrages, les poses d’égouts, les   chapelet de bulles qui s’éloignaient de la route à suivre.
      récupérations d’épaves et bien d’autres travaux sous-marinS,   Celles-ci arrivaient de plus en plus irrégulièrement en surface.
      tel était le but du centre. L’entraînement y était rigoureux.  Sans doute le plongeur essayait-il de tourner la manette pour
                                                              passer d’une bouteille sur l’autre.
        Carsin et Pelletan, deux solides garçons, faisaient partie de   Carsin tourna son regard alarmé vers son compagnon.
      l’équipe du moniteur Toumut.                              — Qu’est-ce qui se passe P H respire mal.
        Ce jour-là, peu avant l’heure du rassemblement, les deux   Leroy se pencha au-dessus de l’eau.
      jeunes gens échangèrent des paroles très dures au sujet du   — Tu crois qu’il est en difficulté ?
      scooter que Carsin avait emprunté à son camarade et qu’il   — Mais oui, mon vieux, tu vois bien que les bulles s’es­
      venait de ramener un peu tordu à la suite d’un dérapage.   pacent.
      Pelletan, réputé pour son mauvais caractère, alla se mêler   Elles devenaient, en effet, inégales et de plus en plus rares.
      au groupe des stagiaires et en profita pour bousculer Carsin.   Une à une, les dernières vinrent crever à la surface.
      Celui-ci ne broncha pas.                                   Carsin se redressa avec angoisse.
        Un quart d’heure après, dans la chaloupe où étaient instal­  — Cette fois, il ne respire plus.
      lés sur un râtelier une demi-douzaine d’équipements de sca­  Il ordonna à Leroy de prendre la barre, puis, sans hésita­
      phandriers autonomes, les élèves, en maillot de bain, écou­  tion, plongea.
      taient les dernières recommandations de l’instructeur.    — Mais il est fou, murmura Leroy. A cette profondeur,
      Pour cette cinquième plongée profonde, ils étaient autorisés à   sans scaphandre, il ne peut rien faire.
      lâcher le filin lesté et à faire une courte promenade.    Il se redressa et, les mains en porte-voix, appela Toumut.
       — Je ne vous rappellerai jamais assez que nager trop vite   Le moniteur, en voyant plonger Carsin, avait deviné le
      est la meilleure façon de consommer une grande quantité   drame. Équipé de son scaphandre, il n’arriva qu’à l’instant où
      d’oxygène, insista Toumut. En plongée, il faut savoir doser   le courageux sauveteur, à bout de forces, apparaissait en
      son effort. Je vais m’éloigner de trois cents mètres. Vous   surface, une main crispée sur une courroie des bouteilles
      plongerez l’un après l’autre et vous vous dirigerez vers moi   d’air du plongeur inanimé. Tournut plongea, passa sous le
      sur le fond.                                            noyé et le sauveteur et les souleva de tout son poids. Carsin
        Pour Carsin, patron de la chaloupe, il ajouta :       abandonna alors l’infortuné Pelletan et s’accrocha au bordé.
        — Vous suivrez les plongeurs dans leur progression.   Aussitôt alertée, la vedette rapide du Centre accourait avec le
        II fit un signe. Les élèves débordèrent et l’instructeur,   médecin et le matériel de réanimation.
      dans son canot, s’éloigna dans la petite crique aux eaux
      calmes.                                                   Deux heures plus tard, allongé sur un lit de l’infirmerie,
        Pelletan boucla sa ceinture lestée, ajusta les lunettes qui   Pelletan serrait avec reconnaissance la main de Carsin.
      lui recouvraient les yeux et le nez, passa une jambe par­  — Tu m’as sauvé la vie au péril de la tienne. Je ne l’ou­
      dessus bord et commença à descendre les degrés de l’échelle   blierai pas.
      crochée sur le bordé. Avant de disparaître sous la surface,   — Bah 1 à ma place, tu aurais fait la même chose, répondit
      il plaça l’embout dans sa bouche.                       simplement Carsin.
        Puis il se laissa couler lentement... n écouta avec attention   Le rescapé vrilla son regard ému dans les yeux de son
      le bruit que le détendeur faisait derrière sa tête à chaque   camarade.
      inspiration d’air frais. Tout allait bien. Au-dessus de lui, la   — Dis-moi, savais-tu, en plongeant, que c’était moi qui me
      coque de la chaloupe se déformait en ondes dansantes dans   noyais ?
      l’eau opaline. Il plongea délibérément, la tête la première,   — Je m’en doutais, car j’avais suivi ton sillage de bulles.
      et vit se déployer la féerie du paysage sous-marin. Évoluant   — Et tu n’as pas hésité une seconde après ce qui s’était
      au-dessus du tapis de sable fin, des bandes de poissons res­  passé entre nous ?
      serraient autour du plongeur leurs cercles curieux. Pelletan   Carsin secoua la tête en souriant. Alors le visage du blessé
      sentit passer les, ombres mouvantes des autres hommes-  s’illumina
                                                                                                     Guy DENIS.'
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