Page 484 - Les fables de Lafontaine
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482 FABLES. — LIVRE DOUZIÈME
Rongemaille, à ces mots, se retire en un trou, 105
Le Corbeau sur un arbre, en un bois la Gazelle ;
Et le Chasseur, à demi fou
De n’en avoir nulle nouvelle *,
Aperçoit la Tortue et retient son courroux.
« D’où vient, dit-il, que je m’effraie *? 110
Je veux qu’à mon souper * celle-ci me défraie. »
Il la'mit dans son sac. Elle eût payé pour tous,
Si le Corbeau n’en eût averti la Chevrette.
Celle-ci, quittant sa retraite,
Contrefait la boiteuse et vient se présenter. 115
L’homme, de suivre et de jeter
Tout ce qui lui pesait, si bien que Rongemaille,
Autour des nœuds du sac, tant opère et travaille
Qu’il délivre encor * l’autre sœur
Sur qui s’était fondé le souper * du Chasseur. 120
Pilpay conte qu’ainsi la chose s’est passée.
Pour peu que je voulusse invoquer Apollon *,
J’en ferais, pour vous plaire, un ouvrage aussi long
Que l’Iliade ou l’Odyssée.
Rongemaille ferait le principal héros, 125
Quoiqu’à vrai dire, ici chacun soit nécessaire.
Portemaison, l’infante11, y tient de tels propos
Que Monsieur du Corbeau va faire
Office * d’espion, et puis, de messager.
La Gazelle a, d’ailleurs, l’adresse * d’engager * 130
Le Chasseur à donner du temps à Rongemaille.
Ainsi, chacun, en son endroit *,
S’entremet, agit, et travaille.
A qui donner le prix ? au cœur, si l’on m’en croit.
Exercice complémentaire. — Supposez que la Gazelle, « pauvre
chevrette des montagnes », raconte à une compagne la grande aventure
qu'elle a vécue en compagnie de ses trois amis.
11. La Tortue. Les infantes étaient les princesses royales d’Espagne.

