Page 75 - La Lecture Expressive
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                Lecture             34.  Les  sabotiers

               1.  Les  sabotiers  sont installés  près  d'une  taille  où  un  ruisseau
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             chante  clair  comme  une  flûte.  Toute  la  famille  est  là :  le  maître
             avec  son  fils  et  son  gendre,  les  apprentis,  la  vieille  ménagère  et
             les  marmots.
               Sous  les  aulnes  s'élève  la  loge  de  planches  où  couche  la  maison-
             née.  Non  loin,  les  deux  mulets sont attachés  à  des  pieux et tirent
             sur leur  longe  pour donner  çà  et là  un  coup  de  dent  à  l'herbe  du
             fossé.    ,
               2.  Toute  la  troupe  est en  mouvement.  Sur  le  haut  de  la  pente,
             les  femmes  jasent en  reprisant les vêtements déchirés.  Les  hommes
             abattent les  arbres  au  ras  de  terre  avec  la grande  cognée.  Chaque
             corps d'arbre est scié en tronces   2   ;  et si les billes  sont trop  grosses
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             on  les  fend  en  quartiers.
               3.  Les  premiers  sabots,  les  plus  grands,  sont  faoriqués  dans  les
             larges  billes,  voisines  de  la  souche.  Ceux-là  chausseront  les  pieds
             robustes du travailleur qui, dès l'aube, s'en va par la pluie et le vent
             vers  son  atelier.  Aux  premières  heures  du  matin,  ils  retentiront
             sur  le  pavé  de  nos  rues  désertes,  aux  pieds  des  balayeurs  et  des
             paysans qui viennent au marché.
               4.  Dans  les  billes  moyennes  sont  taillées  les  chaussures  des
             femmes  : le  sabot solide,  toujours en mouvement,  de  la  ménagère,
             et  le  sabot  plus  léger  et  plus  coquet  de  la  jeune  fille.  Celui-ci,
             on  l'entend  partout battre le  sol  avec  un  bruit  allègre 4,  sonore et
             rapide comme la jeunesse : sur les dalles du lavoir, autour du bassin
             de  la  fontaine,  et,  la  nuit,  dans  le  sentier  pierreux  qui  mène  au
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             veilloir  •
               5.  A  mesure  qu'on  arrive  au  dernier  tiers  du  fût  de  hêtre,  le~
             billes se raccourcissent ; on y taille les sabots du petit pâtre qui s'en
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             va dans les longues friches  nues à la suite d'un troupeau de vaches.
             On  y  façonne  aussi les  sabots de l'écolier ; lors  de  l'entrée à  l'école.
             leur bruit lent et mélancolique a l'air de ramper sur les pavés, mais,
             en  revanche,  à  la  sortie,  quel  tapage  assourdissant  et  joyeux!

                                 AndnS  THEURIET  (Sous  Bois,  Fasquelle,  éditeur).
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